L’Union ne doit pas être utilisée à contre-emploi
par Europeus
vendredi 3 juin 2005
Si la très grande majorité des Français est attachée à l’Union et à sa
construction, n’est-il pas plus judicieux de plonger dans leur
quotidien pour mieux comprendre le refus du traité ? Il y a peu, était
présenté dans la presse un reportage sur une employée française à qui
on proposait un reclassement dans un des nouveaux pays adhérents à
l’Union pour un salaire de 100 euros ! Cette semaine c’est le personnel
d’une société de développement de jeux pour PC qui a « proposé » à ses
salariés un poste en Arménie payé 900 fois moins cher. Dans quelques
jours le « joyau » de l’usine Dacia, la Logan, sera officiellement mis
sur le marché hexagonal. « Petit prix serré pour une grande berline
familiale dépourvue de technologie », annonce la presse spécialisée et
généraliste à longueur de colonnes. Les salariés des usines Renault
apprécieront certainement qu’un projet de véhicule financièrement
accessible aux nouveaux adhérents de l’Est vienne concurrencer leurs
productions... Le seront tout autant les ouvriers de Volkswagen dont la
Fox fabriquée au Brésil est la concurrente directe de notre Logan ? Et
que dire à cet ouvrier allemand travaillant chez Michelin qui déclarait
récemment au quotidien Le Parisien : « Tous les jours on nous rappelle
que nous sommes trop chers » ?
C’est promis. Juré. On va défendre bec et ongles le textile européen,
entend t-on actuellement. Les dirigeants patronaux réagiront. Feront
tout pour sauver l’emploi en Europe... Après avoir implanté des usines en
Afrique du Nord ou au Bangladesh pour finir en Chine ! La lutte pour le
textile est donc lancée. Au moins dans le texte. Mais qui parle des
autres secteurs ? De l’industrie du jouet, de l’électroménager, de
l’outillage, de l’informatique et de l’électronique professionnel et
grand public, du cadeau d’entreprise, des arts de la table (verrerie et
porcelaine), du mobilier ? Cela fait bien longtemps que tous les
responsables politiques et économiques font le plus grand silence sur
ces transferts de technologie et de lieux de production.
De temps en temps, un reportage met à la Une des salariés polonais,
slovaques, tchèques, roumains, chinois, indiens. Tous sont devenus des
agents de production pour les consommateurs de nos « vieux pays » comme
aiment le dire tant de grands penseurs libéraux, voire
sociaux-démocrates. En réponse, l’amertume grandit et, dans de
nombreuses régions économiquement sinistrées un sentiment de xénophobie
gagne les populations, revanchardes à l’égard de ceux « qui prennent
notre travail pour 3 sous ». Le pire dans cette stratégie, c’est que
ces mêmes Polonais, Tchèques ou Slovaques seront à terme remplacés par
des Roumains, des Bulgares qui céderont à leur tour leur place à des
Ukrainiens, Arméniens, Biélorusses ou Moldaves.
En fin de compte opposer les nouveaux pauvres aux anciens est la
négation même de la construction européenne et le champ ouvert à toutes
les théories les plus extrémistes en termes de populisme et de
nationalisme. C’est pour cela qu’il importe que les nations, les élus,
les institutions de l’Europe fassent de l’emploi leur priorité.
L’inscrivent de toute urgence à leur agenda et cessent d’avoir les yeux
fixés sur les seuls chiffres mensuels de l‘inflation. Car à défaut,
c’est d’une tout autre hausse qu’il sera question.
Jean Claude Benard est consultant en stratégie commerciale sur le Web