La triste dérive du Clémenceau

par Roues Libres
mercredi 15 février 2006

Comment en sommes-nous arrivés à traiter si mal un bateau qui, pendant 36 ans, a porté nos couleurs en parcourant plus de 50 fois le tour du monde, réalisant 70 000 catapultages, et participant à la plupart des opérations navales ayant engagé notre pays depuis 1960 ? Comment ne pas envier le sort réservé au Foch, désormais au service de la Marine brésilienne ? Simplement parce que le déferlement de la Bienpensance s’est chargé de couvrir, sous l’invective et les imprécations, une opération de déconstruction que notre Marine voulait exemplaire. On en voit aujourd’hui le résultat. Humiliation pour nos couleurs , tristesse pour les 22 000 marins que le vieux Clem a abrités durant sa longue carrière, ruine possible pour une industrie naissante dans laquelle l’ Inde croyait pouvoir investir, et dont elle a le plus grand besoin. Le tout sur un fond de polémique Arcelor-Mittal. Bref, les conditions idéales pour préparer le voyage prochain de notre Président, justement en Inde.

Ce qu’il convient de préciser tout d’abord, c’est que la déconstruction des navires en fin de vie est un problème majeur, pour lequel aucun des grands pays occidentaux n’a réellement de solution. Les navires US rouillent serrés les uns contre les autres dans les ports militaires. On sait ce qu’il advient de la flotte soviétique, et tout particulièrement de ses sous-marins. Les navires civils ne sont pas non plus épargnés par cette problématique. Le France devenu Lady Blue (...) erre honteusement au large de la Malaisie, avec ses 3000 tonnes d’amiante..

La Marine, consciente des risques de ce dossier et échaudée par la première tentative avortée de destruction, suivie d’un arraisonnement et d’un retour piteux de la coque à Toulon, avait pourtant pris toutes les précautions. Elle souhaitait justement faire de cette opération une opération pilote, lui permettant ensuite de créer une filière industrielle fiable et sécurisée. Le choix de la société Technopure, pour commencer cette opération de désamiantage en France, semble cependant avoir été malheureux. L ’enlèvement de la première centaine de tonnes d’amiante friable, directement accessible sans démantèlement structurel, n’ayant pas été réalisé de manière conforme au cahier des charges, une seconde société, la société Prestocid, a été retenue pour terminer les travaux. Ce qui fut fait en septembre 2005. Dans le même temps, des responsables techniques des chantiers indiens Shree Ram et Luthra Group se sont rendus en France pour y être formés et subir des examens de qualifications identiques à ceux de spécialistes français. Des équipements techniques et des protections individuelles sophistiqués ont été acheminés sur le chantier, et les 60 ouvriers chargés du démantèlement formés à leur utilisation. Le chantier de déconstruction a été visité à plusieurs reprises par des membres de l’ état-major de la Marine, qui ont confirmé la bonne adéquation des moyens mis en place, en conformité avec les normes Iso. Enfin, les travaux eux-mêmes devaient être suivis sur place par des ingénieurs français. C’est bien d’un véritable transfert de technologie qu’il s’est agi, susceptible ensuite de permettre le développement d’une filière devenue indispensable.

Bien entendu, il est facile de gloser sur les conditions de travail déplorables de certains chantiers de la baie d’ Alang, que nos télévisions n’ont pas manqué de nous montrer. Il est bien plus difficile pour la Marine de couvrir ce bruit médiatique ambiant, et de montrer sa bonne foi et la qualité de la préparation de ce dossier. D’autant que le PDG de la société Technopure, qui avait été évincé sans doute pour d’excellentes raisons, puisqu’il est incapable de justifier du sort de 35 tonnes d’amiante supposées enlevées, n’a pas manqué d’agiter les médias et les associations écologistes sur ce dossier. Ils se sont bien entendu précipités, tant la cible était grosse et immobile, remorquée à trois noeuds vers son impossible destin.

Nul ne conteste que les associations écologistes ont fait oeuvre utile, puisqu’elles ont permis que soient mieux pris en compte les très sérieux problèmes posés par le désamiantage des navires civils ou militaires. Elles se sont malheureusement trouvées incapables de faire la part des choses et d’accepter qu’en contrepartie d’un risque calculé et maîtrisé, une activité industrielle indispensable soit développée et encadrée. Car c’est aussi cela, la mondialisation. La déconstruction d’un navire est une activité hautement consommatrice de main d’oeuvre peu qualifiée. Les conditions de cette activité méritent sans doute d’être mieux suivies et encadrées. Mais certainement pas d’être interrompues, sans doute au nom de telle ou telle idée généreuse, mais pour le plus grand malheur de ceux qui n’ont guère d’autre choix pour vivre. Qu’avons-nous à leur donner en échange, Madame Lepage ? Des conférences de Greenpeace, sans doute...


Lire l'article complet, et les commentaires