Le calvaire d’Ilan et l’antisémitisme secondaire

par Alain Hertoghe
lundi 20 février 2006

Est-ce parce qu’il était juif qu’Ilan Halimi, 23 ans, a été enlevé, torturé et assassiné par le "gang des barbares" d’une cité de Bagneux (Hauts-de-Seine) ?

Pour l’instant, les autorités, les médias et même le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) préfèrent écarter ou minimiser cette interprétation du crime épouvantable, pour lequel l’auteur principal présumé, Youssef Fofana, 26 ans, et deux de ses supposés complices directs étaient toujours activement recherchés ce lundi matin.

"Le mobile affiché du groupe était d’obtenir de l’argent" ; "Au moment précis où nous parlons, le mobile antisémite n’est pas avéré" ; "Ce n’est pas en cette qualité (qu’Ilan) a été enlevé et torturé", déclarait, vendredi dernier, Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, lors d’une conférence de presse. "D’autres victimes n’étaient pas juives", a ajouté François Jaspart, directeur de la police judiciaire de Paris, rappelant qu’il y a eu six ou sept autres tentatives d’enlèvement par cette bande depuis décembre.

La thèse du crime purement crapuleux, aussi horrible soit-il, serait, dans une certaine mesure, rassurante, par ces temps de tensions communautaires en France et dans le monde. Mais, malheureusement, de nombreux indices laissent craindre que la judéité d’Ilan Halimi ait été un facteur déterminant dans le calvaire qu’il a enduré pendant trois semaines et dans sa mise à mort.

Plusieurs de ces éléments ont été relevés vendredi dans un article mis en ligne par Le Monde.fr :

- "Au moins un des treize interpellés, vendredi 17 février, aurait également avoué que la bande aurait identifié de manière claire des "cibles juives", selon une source proche de l’enquête"

- "(Selon certains enquêteurs), les ravisseurs n’ignoraient nullement qu’Ilan était juif. Lors de leurs échanges avec son père, ils auraient proféré à plusieurs reprises des insultes ouvertement antisémites ; ils semblaient également persuadés que le fait qu’il soit juif faisait automatiquement de lui quelqu’un de fortuné"

- "Par ailleurs, les photographies envoyées par le gang à la famille Halimi font apparaître des mises en scène qui semblent s’inspirer de l’actualité irakienne, à la fois celle des sévices dans les prisons et celle des affaires de prises d’otages. On y voit notamment la victime nue, le visage couvert. Une "répétition de scènes connues par ailleurs", selon le procureur de la République, Jean-Claude Marin."

Une information supplémentaire a été recueillie par le correspondant à Paris du quotidien israélien Haaretz, dont l’article a été mis en ligne, ce dimanche, sur la version anglaise du site :

"Quand nous avons dit que nous n’avions pas 500 000 euros à leur donner, ils nous ont dit d’aller à la synagogue et de les obtenir, a déclaré Rafi Halimi, l’oncle d’Ilan. Ils ont aussi récité des versets du Coran."

Par ailleurs :

- Trois ou quatre des six ou sept autres personnes que le "gang des barbares" a tenté d’enlever sans succès auparavant étaient de confession juive. Pourquoi décider qu’il s’agirait d’un simple hasard ? Pourquoi ne pas envisager, dans le cas des "cibles" non-juives, que les kidnappeurs les aient prises pour des juifs en raison de leur apparence ou de leur nom ? Dans mon cas personnel, on m’a plusieurs fois demandé si j’étais juif ,ou on m’a même affirmé que je l’étais, parce que le nom Hertoghe ressemble à Herzog

- Pourquoi celui qui se fait appeler "le cerveau des barbares", Youssef Fofana, surnommé Mohammed dans sa cité de Bagneux, et la jeune femme d’origine maghrébine qui aurait attiré Ilan Halimi dans le piège mortel, échapperaient-ils au climat antisémite qui règne en banlieue, tout particulièrement dans la communauté arabe ?

Enfin, rappelons que le jeune homme, kidnappé le 21 janvier dernier, a été retrouvé le 13 février, nu, bâillonné, menotté, et portant des traces de tortures et de brûlures, agonisant à proximité de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Selon les informations de presse, Ilan Halimi avait reçu des coups répétés, notamment à l’arme blanche, avant d’être aspergé d’un produit inflammable. Son corps était brûlé à 80%...

Peut-on sérieusement penser que le sadisme dont le chef de bande musulman a fait preuve à l’égard de sa victime juive, pendant trois semaines et avec un sang-froid effrayant, ne serait en rien motivé par une haine antisémite ? Pourquoi penser que l’argent serait le mobile principal du "gang des barbares", alors que les kidnappeurs ne connaissaient visiblement pas la situation financière de la famille d’Ilan, et qu’ils n’ont jamais tenté sérieusement de récupérer l’argent qui leur était proposé ?

Les nombreuses questions et informations dérangeantes entourant la tragédie vécue par Ilan Halimi et ses proches appellent des réponses rapides et précises de la part des autorités. La société a besoin de savoir.


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