Mahomet : les limites de la caricature
par Bernard Lallement
jeudi 2 février 2006
Mahomet : les limites de la caricature
Entre les outrances du régime de Téhéran, et la victoire du Hamas en Palestine, le monde arabe n’avait pas besoin d’une telle surenchère sur le registre de l’intolérance. A croire qu’il s’agissait du but recherché.
Mais, alors que le quotidien danois présentait ses excuses, France-Soir a décidé de publier les dessins incriminés. Certes, le quotidien fondé par Pierre Lazareff est en coma prolongé devant l’érosion dramatique de ses lecteurs, et faire sa « une » sur ce qui est devenu « une controverse d’ampleur mondiale », pour reprendre les termes de son éditorialiste, est plus que tentant. Pour autant, la reconquête, improbable, d’un lectorat ne s’exonère pas d’une éthique, inhérente à la profession de journaliste.
La liberté d’expression ne signifie, nullement, pouvoir tout dire et le droit à la caricature a ses limites, légales et morales.
Nous sommes, certainement, l’un des pays tout à la fois respectueux de l’expression publique mais aussi soucieux de protéger la vie privée et les croyances religieuses.
Contrairement au catholicisme, la religion coranique, mais la juive également, ne connaît pas les symboles divins. Mahomet est un saint homme, mais pas un dieu ; seuls comptent ses préceptes, on ne peut lui donner un visage humain.
Bien sûr, cette interdiction religieuse n’est pas opposable au journaliste dans un pays laïque. Mais il trouve une limite à son expression dans le respect dû aux personnes et aux religions. En outre, parce qu’il est engagé dans son époque, un reporter, fût-il « artiste », ne peut occulter les conséquences de ses écrits et l’impact qu’ils auront sur l’opinion publique à qui il s’adresse et que, parfois, il façonne.
Lors de la diffusion du film Amen de Costa-Gavras, une association catholique avait sollicité, en justice, l’interdiction de l’affiche présentant une croix gammée. Le juge avait débouté le demandeur au motif qu’une telle image, dans le contexte filmographique, n’excédait pas les limites du droit d’expression. En revanche, les mêmes tribunaux ont interdit une reproduction de la Cène détournée à des fins publicitaires. Il en serait de même si, demain, on se plaisait à montrer le Christ revêtu d’un uniforme nazi.
Chaque jour, des hommes et des femmes risquent leur vie pour nous informer. Certains sont morts ou emprisonnés. Ne nous trompons pas de combat. La liberté de la presse est trop précieuse pour être galvaudée et sacrifiée à des intérêts partisans.
Ces caricatures ne témoignent pas d’une grande intelligence chez leurs auteurs. Elles sont empreintes d’un certain mépris, d’une réelle volonté d’amalgame entre le terrorisme islamique et le Coran. Il s’agit là d’un mélange des genres dangereux.
Malheureusement, il est un mal, encore plus sournois, contre lequel nous avons de moins en moins de prise : la bêtise qui, ici, prend tout son (non) sens.
Photo : affiche du film Amen de Costa-Gavras