Trump, clones et sociopathie globale : quand la première puissance militaire se gouverne depuis Truth Social

par Pressenza
samedi 7 juin 2025

par Claudia Aranda

(Crédit image : truthsocial.com)

 

Le président américain Donald J. Trump a encore frappé. Cette fois, ce n’était ni des théories sur des élections volées, ni des conseils pour s’injecter du désinfectant. Non. Cette fois, il est allé plus loin. Le 1er juin 2025, depuis son compte vérifié sur Truth Social, Trump a partagé la publication d’un utilisateur marginal affirmant, sans nuance, que Joe Biden avait été exécuté en 2020 et remplacé par des « clones, doublures et entités robotiques sans âme ni esprit ». Et il l’a partagée sans un mot, comme s’il recommandait un bon vin.

À une autre époque, cela aurait été perçu comme une mauvaise blague surréaliste. Aujourd’hui, le monde retient son souffle, car cet homme détient l’arsenal nucléaire le plus puissant de la planète.

Stephen Colbert, dans son émission nocturne, a traité cette publication avec la finesse qui le caractérise. Il a souligné l’incohérence de la théorie : « C’est un clone ou un robot ? Parce que s’il est les deux, alors le programme « Build Back Better » était littéralement un projet pour construire un meilleur Biden. Mission accomplie ! » Le rire était le seul rempart contre l’absurde.

Mais hors du confort de la satire, les réactions ont cette fois un ton bien moins grave qu’autrefois. Il y a quelques années, alors que Trump montrait déjà des signes inquiétants de déconnexion avec la réalité depuis son poste, la psychiatre légiste et ex-professeure de Yale, Bandy X. Lee, avait publié The Dangerous Case of Donald Trump, avec plus de trente spécialistes en santé mentale. Elle y affirmait que Trump représentait un « risque pathologique pour la démocratie ». Bien que le diagnostic à distance soit éthiquement discutable, elle s’appuyait sur son comportement public répété, sa relation avec le mensonge et son mépris pour les faits pour décrire un tableau clinique préoccupant.

Et elle n’était pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. Dans le passé, plusieurs figures publiques ont levé la voix face à ce qui, à l’époque, semblait inimaginable. Mitt Romney déclarait en 2020 : « La présidence ne l’a pas changé. C’est lui qui a changé la présidence. » Nancy Pelosi, en janvier 2021 après l’assaut du Capitole, affirmait : « C’est terrifiant qu’une personne aussi déconnectée de la réalité ait accès à l’armement nucléaire. » Bernie Sanders, en pleine campagne, le qualifiait de « menace existentielle pour la démocratie ». Depuis le Chili, Gabriel Boric, en 2022 dans The Clinic, rappelait : « Il ne faut pas normaliser l’absurde. Aujourd’hui, des dirigeants disent des énormités et beaucoup haussent les épaules. C’est ça, le vrai danger. » Et Julia Cagé, dans Le Monde Diplomatique en 2023, écrivait : « Quand le délire s’institutionnalise depuis le sommet, il en résulte une culture cynique, privée de toute capacité de stupéfaction. »

La question est donc la suivante : avons-nous perdu notre capacité d’étonnement ? Car ce serait peut-être le dernier pas avant l’effondrement moral et rationnel de nos sociétés. Rien n’est plus dangereux qu’un ignorant sociopathe doté du pouvoir. Surtout lorsque ce pouvoir s’incarne en ogives nucléaires, algorithmes de propagande et millions de suiveurs confondant divertissement et vérité.

Le problème fondamental, ce n’est pas seulement le message : c’est le messager. Que celui qui dirige aujourd’hui la première puissance mondiale diffuse une théorie délirante comme s’il s’agissait d’un simple fait devrait alarmer chaque recoin de la planète. Ce n’est pas un influenceur TikTok jouant au complotiste. C’est un commandant en chef.

Et c’est ici que la sémiotique a quelque chose à dire. Ce que fait Trump, consciemment ou non, c’est d’exploiter la logique du mème pour reconfigurer la réalité. Le signe ne renvoie plus au référent réel (Biden, le président humain), mais à une entité symbolique à laquelle on peut attribuer tout et n’importe quoi : clone, drone, démon. Ce qu’il est importe peu ; ce qu’il symbolise pour sa base, voilà ce qui compte. Et cette base n’exige plus de preuves. Elle exige des récits.

Dans ce contexte, le monde ne fait pas face à un simple populiste. Il fait face à un sociopathe fonctionnel, qui utilise une plateforme numérique comme un véritable cabinet de guerre. S’il avait écrit que « Biden est satanique » ou « un hologramme reptilien », l’effet aurait été le même : distraction, désinformation, radicalisation. Et tout cela sous la menace d’un doigt déjà posé sur le bouton nucléaire.

En somme : le monde est au bord d’une caricature dangereuse. Et pendant que certains en rient, d’autres s’organisent. Comme l’a dit Hannah Arendt, le mal peut être banal, mais il peut aussi être viral. Et au XXIe siècle, les deux ne sont qu’à un clic de distance.

 

Claudia Aranda
Journaliste, elle fait partie de l'équipe de Pressenza au Chili.

 

Cet article est initialement paru sur le site de notre partenaire Pressenza le 3 juin 2025.


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