A force de sécher, je lèche

par Argo
vendredi 25 janvier 2008

Contrepèterie mieux adaptée aux frimas financiers actuels que la belge « Il fait beau et chaud » pour introduire un billet de pure politique fiction, une interview présidentielle, entendu que toute ressemblance avec des personnages ayant existé un jour, y compris dans l’Antiquité, serait naïve coïncidence.

- Monsieur le président, la Société générale a révélé, jeudi 24 janvier, avoir été victime d’une fraude de 4,9 milliards d’euros au sein de son activité de courtage.

- Oui. Et je vais vous dire, Mââme Chameau, je m’en félicite.

- Ah bon, votre seigneurie ?

- Oui, parce qu’en France, on anticipe, on sort nos saucissons avec six mois d’avance sur les Américains. On a raison avant les autres. C’est mon plan. C’est ce que j’avais prédit et c’est ce qui arrive. Qu’est-ce qui vous choque là dedans, Mââme Chameau ?

- C’est stratosphérique, Monsieur le président. Mais une grande banque comme la Société générale... Plus de 120 000 employés à travers le monde. Comment un simple trader opérant dans une obscure sous-division aurait-il pu, seul, étouffer 5 milliards ? Selon le communiqué officiel (bizarrement disparu du site internet de la Société générale au bout de quelques heures), il aurait profité de « sa connaissance approfondie des procédures de contrôle » pour « dissimuler ses positions grâce à un montage élaboré de transactions fictives ». C’est étrange, non ?

- Alors là, Mââme Chameau, sauf le respect que je vous dois, je ne vous suis pas. Regardez, moi par exemple, avec mon « montage élaboré » de promesses fictives combien croyez-vous que je vais coûter à la France ? Mais ça, comme pour le reste, il y a de fortes chances que vous ne l’appreniez que quand ce sera fait, après coup (si j’ose dire).

- Ah, c’est si vrai, Monsieur le président. Vous avez vu ? Le PDG Daniel Bouton a proposé de démissionner et cela lui a immédiatement été refusé par le conseil d’administration. On ne virera finalement que le trader fou et les 4 ou 5 personnes « responsables de sa supervision ».

- C’est normal, un mec qui s’appelle Bouton, on ne peut tout de même pas lui reprocher d’avoir des trous, dans la caisse ou ailleurs. Et son directeur général Philippe Citerne, c’est comme le mien, faudra qu’il cuve encore un moment l’envie de lui souffler la place.
Tenez, un exemple au hasard : Moi. Je vais aussi en virer deux ou trois qui commencent à me laminer la supervision que j’ai de ma personne dans les sondages, le Guaino, l’Albanel, la Boutin. Ceux-là, je vais les renvoyer presto à leurs clystères au motif d’accélération de phase 2 de mon plan que j’ai dit pour la France. Mais je vais garder les autres... mon grand vizir en tête.


Ce n’est pas que l’envie me manque de l’éjecter en plein vol, Iznogoud, mais si je le virais maintenant, il serait capable de revenir pour me piquer la place en 2012 avec Bertrand en Premier ministre. Alors, je vais le garder au chaud, à portée de Matignon. Je trouverai bien une grosse peau de realpolitik à lui glisser sous le tapis volant d’ici 2012.

- Ah quel stratège ! Ca c’est Maginot sur toute la ligne, Monsieur le président. Toutefois, c’est une somme importante. Quand on sait que l’impact de la cataclysmique crise des subprimes sur la Société générale culmine à peine à un modeste 2 milliards d’euros, le trader fou peut se vanter d’avoir battu un record.

- Pas de souci, Mââme Chameau, la situation est sous contrôle. Les milliards, vous savez, ça va, ça vient. C’est pas farouche. Regardez, pour parler d’un sujet que j’aime bien : Moi... Tous ces contrats que j’avais annoncés et qui sont partis en poivre. Quenouilles !
Si je devais faire un vélib à chaque escampette... une mozzarella ou un fromage à chaque fois que je voyais 5 malheureux milliards me filer sous le nez... Je ne vais tout de même pas transformer l’Elysée en crèmerie, Mââme Chameau. Les Français me le reprocheraient. Déjà que ma Carla vient de m’en piquer une bonne aile pour monter son studio d’enregistrement.

- Ah mon pauvre président, vous auriez dû épouser Maïté, elle n’aurait touché qu’aux cuisines. Mais tout de même, c’est plus fort que les subprimes.

- Vous êtes cruelle, Mââme Chameau. Les subprimes... les subprimes... vous êtes marrants vous autres les journalistes. Vous n’avez plus que ce mot à la bouche. Mais ça fait longtemps que j’en abuse, surtout du subprime time chez mes amis de l’audiovisuel. Et je ne m’en porte pas si mal. Non ?

- Comme un charme, votre auguste. Et pour la Société générale, c’est vraiment clos ?

- Ben oui, Mââme Chameau, c’est pas si grave. On passe 7 milliards d’euros en dépréciation d’actifs, pouf pouf... On fait une petite augmentation de capital pour renforcer les fonds propres, 5,5 minuscules milliards... à peine l’entretien de trois ou quatre taupes modèles comme ma Carla-c’est-du-sérieux sur vingt ans, production du prochain album, bague de mariage et pension alimentaire inclus. Une vétille ! 7 milliards à injecter, quatre ans en belotes et pastis aux guichets de la Générale, une journée pour me réélire...

- Ah monsieur le président, décidément, vous êtes le mécano de la Générale. Mais la confiance des actionnaires ?

- Pas de soucis, Mââme Chameau, Riton (Guaino) m’écrit deux ou trois psaumes avec plein de phrases dedans, bourrées de mots que j’aime bien dire même si je les comprends pas toujours, des trucs comme « Moralisation des pratiques financières », « Foi » ou « Dieu »...
On va les rédempter dans leur jus les actionnaires... stopper net leurs petits cyclones de panique et la confiance reviendra, comme avant. En toutes circonstances, nous restons civilisés dans nos bottes... en ligne avec ma politique, celle que je fais parce que j’ai dis que je la ferai et son contraire.

- Mais tout de même, le titre Société générale a déjà perdu 20 % de sa valeur depuis le début de l’année et 40 % sur les six derniers mois. Et si le client de la banque renâclait, cet infâme moustique gavé du sang bleu des fonds de pension ? S’il venait à s’inquiéter... déjà qu’il est haché menu dans le krach. Pire, s’il venait à paniquer pour ses fifrelins... à darder ses rentes Pinay... ses emprunts russes... à geindre pour ses Bouygues... ses Bolloré... ses Lagardère... ses patrimoines... à brailler pour ses Davôsses... ses diââmes... ses carats... Pfuiit ! Je l’entends d’ici l’odieux crapaud... pleurer ses lessives... sa fraîche... son pouvoir d’achat... sa croassance... son dur !

- Ah, mais c’est quand même extraordinaire, Mââme Chameau... On me reproche de rassurer les Français, mais, je vous le demande Mââme Chameau, qu’est-ce que vous diriez si j’avouais que c’était la pire bonne catastrophe, absolue débâcle de mouise de toute l’histoire de la finance internationale. Apocalypses et corridas ! Déroute plus sérieuse que Nick Leeson et ses pauvres 1,3 milliard qui avaient coulé la Barings en 1995. Quand je pense que j’ai avoué pas plus tard que cette semaine que nos banques étaient des « modèles de prudence ».
Et vous voudriez que je dévoile toute la vérité... qu’on court tous aux affreux précipices financiers... aux craques... à la paille... droit dans la meule... Cent foins ! Ecartelés, tirés à quatre chevaux et mille épingles... raides au gibet...
Un peu plus tôt, un peu plus tard, ça change rien... On résonne plus que par les talbins... Bling Bling... depuis trop longtemps. La dette de la France, c’est 1 200 milliards d’euros... Quels grelots ravissants vous avez là, Mââme Chameau, du goût sûr, à bon port, super éminent... La dette des États-Unis, hors banques, c’est 39 000 milliards de dollars... 230 % du produit national américain... Bling Bling... Mirez ma Patek... Le capitalisme est foutu... Patrick Artus le dit. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’hurle.
Croyez-moi, il n’y a plus rien à faire pour sauver les meubles... la bourse... l’inflation... les retraites... le soldat croissance. Je ne donne pas dix ans avant que les dinosaures repaissent à Bercy.
Le Français moyen ? Il aura beau se ruer bolide aux comités de défense... débouler guépard aux Opus dei... foncer aux scientologies... galoper à la SPA... toquer aux loges... crier aux bulles... aux buffles... sangloter aux complots financiers... implorer Kadhafi... Jeanne d’Arc et saint François... déterrer Pinay... Soubirou... se ruer à Lourdes... aux résurrections du Christ... Il est cuit ! Archi-cuit ! Derby couru.
Retraité, chômeur, « working poor » (une invention que j’ai empruntée à un pote socialiste : les calamiteux avec un boulot qui suffit pour les faire sortir des statistiques du chômage, mais pas du seuil de pauvreté. Sacré Tony !) Vieux... jeunes... Tous égaux pétochards... carbonisés 14 ! Tant foireux que responsables. Ah qu’on ne m’en parle plus de ces Smergols. A moi, le saigneur des agneaux. Ça me gâche mon précieux.
Mais si je disais ça, je vous le demande, on aurait l’air malin, nous, les Français, hein, Mââme Chameau ? Alors croyez-moi, ça va fort brillamment.

- Oh oui, Monsieur le président. Comme c’est exact. Et puis, tant qu’il nous reste des hommes de vertige comme vous... des dirigeants de bonnes pratiques... promoteurs de Grenelles académiques... barils de vraie humilité... puits de vertus birmanes et de médicale franchise. Tant qu’il nous reste un peu d’agricole et lyonnais crédits... Tant qu’on a la CNIL... la copie privée... le rapport Attali... les tests Hortefeux... le mini-traité... les pastilles vertes, internet, les quotas sur le merlan et les départements, on est sauvés. Alléluia ! Je cours m’humecter les muqueuses en régie... à force de lécher, je sèche !


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