Zola, peintre et sculpteur...

par rosemar
jeudi 25 novembre 2021

Les descriptions sont abondantes dans les romans de Zola, évocations de lieux, de personnages, d'objets, de paysages... Ces descriptions détaillées et précises constituent, souvent, de véritables oeuvres d'art : on peut les comparer à des tableaux somptueux, parfois, même, à des sculptures...

 

Dans un de ses romans intitulé Le ventre de Paris, Zola s'attache à décrire les Halles de la capitale, une ambiance chargée, encombrée de nourriture, légumes, fruits, viandes, fromages. Dans une page célèbre, Zola peint des étals de poissons et leurs différentes variétés : il énumère leurs noms pittoresques aux sonorités si diverses : "cabillauds, aiglefins, plies, limandes, congres, raies, saumons, turbots, barbues, thons, bars, cyprins, merlans, éperlans, maquereaux, rougets..."

 

Ce faisant, il peint un véritable tableau aux couleurs contrastées : gris, bleu, noir, rouge, carmin...A la manière d'un peintre impressionniste, il juxtapose des touches de couleurs, dans une variété infinie des tons de rouges : "les raies à ventre pâle bordé de rouge tendre, avec des plaques de cinabre, les ouies saignantes des harengs, la pointe de carmin des dorades, le vermillon vif des grondins, la rouge enluminure des cyprins..."

 

Des formes diverses sont évoquées et les poissons deviennent matières brutes, sculptures de "bronze", "idoles chinoises", les saumons se transforment : "leurs écailles d'argent guilloché" semblent avoir été "sculptées avec un burin"... Les thons se métamorphosent en "sacs de cuir noirâtres", "les équilles" font songer à " des rognures d'étain ", les harengs sont couverts " d'une robe lamée ", les saumons deviennent " de grandes pièces d'argenterie".

 

Grâce à ces métaphores, Zola nous fait voir et même toucher les différentes variétés de poissons : on en perçoit tous les contours, toutes les formes...

 

Le soleil vient illuminer ce tableau et les poissons sont assimilés, alors, à des bijoux précieux : "opale, nacre, colliers, bracelets, broches, bijouterie fine..."

 

Zola compose un véritable tableau aux couleurs somptueuses, les poissons sous l'effet des éclats de lumière sont magnifiés, embellis, deviennent de véritables bijoux d'orfèvre...

 

Zola suggère bien les différentes formes des poissons, les dessine sous nos yeux avec une précision étonnante. Il nous fait redécouvrir cet étal de poissonnier avec la maîtrise d'un écrivain, d'un peintre, d'un scuplteur. 

 

On peut voir que, dans cette description, différents arts se rejoignent pour former un tableau d'une extraordinaire variété : c'est bien là tout le génie de Zola, il parvient à réunir dans une même page des talents différents, et ce simple étal de poissons se métamorphose, sous nos yeux, en un tableau merveilleux, étincelant de couleurs, de formes, de matières somptueuses...

 

La description oscille même entre beauté et horreur : Zola nous fait percevoir ainsi toute l'ambivalence de ces créatures marines, à la fois superbes et monstrueuses...

 

Voici l'extrait de ce roman :

 

"Les raies élargies, à ventre pâle bordé de rouge tendre, dont les dos superbes, allongeant les nœuds saillants de l’échine, se marbrent, jusqu’aux baleines tendues des nageoires, de plaques de cinabre coupées par des zébrures de bronze florentin, d’une bigarrure assombrie de crapaud et de fleur malsaine ; les chiens de mer, horribles, avec leurs têtes rondes, leurs bouches largement fendues d’idoles chinoises, leurs courtes ailes de chauves-souris charnues, monstres qui doivent garder de leurs abois les trésors des grottes marines.

 

Puis, venaient les beaux poissons, isolés, un sur chaque plateau d’osier : les saumons, d’argent guilloché, dont chaque écaille semble un coup de burin dans le poli du métal, les mulets, d’écailles plus fortes, de ciselures plus grossières ; les grands turbots, les grandes barbues, d’un grain serré et blanc comme du lait caillé ; les thons, lisses et vernis, pareils à des sacs de cuir noirâtre ; les bars arrondis, ouvrant une bouche énorme, faisant songer à quelque âme trop grosse, rendue à pleine gorge, dans la stupéfaction de l’agonie. Et, de toutes parts, les soles, par paires, grises ou blondes, pullulaient ; les équilles minces, raidies, ressemblaient à des rognures d’étain ; les harengs, légèrement tordus, montraient tous, sur leurs robes lamées, la meurtrissure de leurs ouïes saignantes ; les dorades grasses se teintaient d’une pointe de carmin, tandis que les maquereaux, dorés, le dos strié de brunissures verdâtres, faisaient luire la nacre changeante de leurs flancs, et que les grondins roses, à ventres blancs, les têtes rangées au centre des mannes, les queues rayonnantes, épanouissaient d’étranges floraisons, panachées de blanc de perle et de vermillon vif. Il y avait encore des rougets de roche, à la chair exquise, du rouge enluminé des cyprins, des caisses de merlans aux reflets d’opale, des paniers d’éperlans, de petits paniers propres, jolis comme des paniers de fraises, qui laissaient échapper une odeur puissante de violette. Cependant, les crevettes roses, les crevettes grises, dans des bourriches, mettaient, au milieu de la douceur effacée de leurs tas, les imperceptibles boutons de jais de leurs milliers d’yeux ; les langoustes épineuses, les homards tigrés de noir, vivants encore, se traînant sur leurs pattes cassées, craquaient.
 
Florent écoutait mal les explications de monsieur Verlaque. Une barre de soleil, tombant du haut vitrage de la rue couverte, vint allumer ces couleurs précieuses, lavées et attendries par la vague, irisée et fondues dans les tons de chair des coquillages, l’opale des merlans, la nacre des maquereaux, l’or des rougets, la robe lamée des harengs, les grandes pièces d’argenterie des saumons. C’était comme les écrins, vidés à terre, de quelque fille des eaux, des parures inouïes et bizarres, un ruissellement, un entassement de colliers, de bracelets monstrueux, de broches gigantesques, de bijoux barbares, dont l’usage échappait. Sur le dos des raies et des chiens de mer, de grosses pierres sombres, violâtres, verdâtres, s’enchâssaient dans un métal noirci ; et les minces barres des équilles, les queues et les nageoires des éperlans, avaient des délicatesses de bijouterie fine."


 

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