Canal+ repart de Zéro
par LM
vendredi 17 mars 2006
Après avoir annoncé son retrait du PSG, la chaîne cryptée semble décider à se débarrasser des bras cassés : le contrat du fantaisiste Karl Zéro ne serait pas reconduit en juin prochain. Epilogue logique pour un journaliste entre guillemets.
Karl Zéro viré ! C’est ce qu’on pouvait lire dans la presse (Libération) en début de semaine. L’animateur aux lunettes floquées d’un Z qui veut dire...zozo ?... poussé vers la sortie par son employeur, cette fois-ci pour de bon, cette fois-ci définitivement. Il paierait, entre autres, ses dérapages dans l’affaire Allègre, et la lecture, notamment, de cette fameuse lettre du tueur en série, qui avait alimenté diverses rumeurs sur l’existence d’un prétendu réseau, d’un complot, de l’implication de certains notables toulousains dans cet autre Outreau évité de peu.
A l’époque, pour se couvrir un tant soit peu, l’animateur zébré d’un z qui veut dire...zigoto ?...avait invité quelques confrères journalistes locaux pour ouvrir en leur compagnie ledit courrier et le lire pieusement, en masquant certains noms bien sûr. Du grand n’importe quoi en guise de journalisme d’investigation, sous l’alibi de savoir la vérité, ou du moins de la chercher, l’animateur proposait là un de ces numéros de music-hall loin de l’enquête sérieuse dont il a le secret, une de ces macédoines compliquées et suspectes dont il s’est fait le spécialiste.
Mais cette lettre n’est pas la seule pièce à verser au dossier à charge de l’animateur à chaussures oranges, il y a aussi quelques espèces sonnantes et trébuchantes versées à certaines prostituées en échange de leur témoignage sur Canal, dans ce Vrai Journal, qui, alors, n’avait de vrai que le nom. Monnayer les déclarations d’un témoin peut tomber sous le coup de la loi. Pour Karl Zéro, il s’agissait surtout d’inciter les personnes à dire ce qu’elles savaient. N’importe quoi, encore. Surtout qu’on sait, maintenant, qu’elles ne savaient rien, sauf la valeur de l’argent. Dans cette affaire Allègre, Karl Zéro n’est pas le seul, bien sûr, à avoir fait tout sauf son métier, et ce seul motif avancé pour justifier son éventuelle éviction fait sourire.
Si le départ de Karl Zéro est confirmé, il est à souhaiter qu’il ne s’agisse pas uniquement de la volonté d’un prince, à savoir le président du CSA, Dominique Baudis, traîné dans la boue, comme on le sait, dans cette affaire haute-garonnaise. Mais, bon, cette piste n’est pas à écarter quand même. On sait que Baudis a juré de faire payer tous ceux, journalistes locaux ou autres, qui l’avaient diffamé. Karl Zéro serait-il le premier de ces dominos à chuter ? On verra bien. Attendons, déjà, qu’il chute, car ce n’est pas la première fois que le départ de cet animateur est annoncé. Et puis, si départ il y avait, franchement, ce ne serait pas vraiment une très grande perte pour le journalisme, de toute façon.
Car en fait, c’est quoi le Vrai Journal ? Des sketches, des reportages, des interviews tutoyantes mais jamais dérangeantes, des sketches, et puis voilà. C’est une sorte de mélange, du vrai du faux, du vrai, de l’info, un peu tout avec beaucoup d’à peu près, de l’info plus ou moins étayée, des preuves, ou bien des rumeurs, ou des documents qu’on ne voit pas très bien en guise de preuves, ou des voix off qu’on n’entend pas très bien mais qui sembleraient indiquer que...le Vrai Journal, c’est le règne du probable. C’est une émission qui se veut d’information et qui doit contenir autant de faits avérés qu’un hebdomadaire people.
C’est Voici au pays d’Al Qaïda ! C’est la version Gala de Pièces à Conviction, l’émission de France3. Le Vrai Journal, c’est les guignols de l’info avec des vrais personnages, comme ces yaourts avec de vrais morceaux de fruits dedans. Une confusion des genres qui ne peut, quoi que dise Karl Zéro, n’entretenir que la confusion, et rien d’autre. La confusion, sœur de la rumeur, sœur de la désinformation, sœur de la diffamation. Donc de l’erreur. Le Vrai Journal, d’ailleurs, commence par des applaudissements, d’un public de jeunes, voire de djeunes, bien chauffé, bien drivé par l’émission. Après les applaudissements, on a droit à une avalanche de jeux de mots lourdauds, de photos détournées, de sketches foireux, puis, enfin, viennent les vrais reportages. Puis l’interview d’un homme politique, qu’on tutoie de préférence, qu’on charrie mais jamais méchamment, à qui on sert la main, qu’on malmène mais tranquillement, qui ne répond que s’il le souhaite, d’ailleurs.
Le public est libre de huer, mais ça reste bon enfant. Le public a le sourire aux lèvres après les sketches, l’air grave du jeune qui se dit que le monde est pourri après les reportages terribles sur la guerre, ou le trafic d’enfants, ou je ne sais quelle menace effrayante sur l’environnement. Un public acquis, travaillé au corps et apparemment concerné. Le Vrai Journal s’appelle ainsi parce que justement, ce n’est pas un vrai journal. Rien à voir avec ce qu’ailleurs on nomme les « grands-messes » de 13h ou de 20h. C’est un peu le côté « je suis assis sur le bureau pendant que j’interviewe le président » de feu Yves Mourousi. Sauf que ce n’est presque que ça. Ce n’est presque que la pose plutôt que la réflexion. Plutôt que l’information. Et, au bout du compte, on le regarde plus en attendant le prochain détournement, la prochaine imitation, qu’en attendant d’être informé. Et quand on espère quand même apprendre quelque chose d’essentiel, de capital, on nous sert des reportages pseudo-spectaculaires, filmés caméra à l’épaule, dans des « conditions très dangereuses », et on assiste au spectacle invraisemblable d’un journaliste « courageux » qui nous démontre qu’il est assez simple de se procurer une ogive nucléaire... qui ressemble à s’y méprendre à un thermos de café... mais en voyant le journaliste tremblotant à l’arrière d’une improbable voiture mystérieuse, avec dans les mains son « engin de mort », on est plutôt tenter d’y croire... avant d’en rire, plus tard, en réalisant ce qu’on vient de voir.
Y croire, puis en rire, c’est la devise de ce show people qui tient davantage du Grand Cabaret que de Cinq colonnes à la une. Alors, Karl Zéro viré, n’aurait-il que ce qu’il mérite ? On n’ira pas jusque-là, quand même, mais pas loin. Après tout, l’homme à la chevelure bien implantée ne s’est pas embarrassé de grands principes quand il s’est séparé de John Paul Lepers, qui, soit dit en passant, était un de ses meilleurs journalistes. Mais Zéro est-il un journaliste, ou un saltimbanque, ou les deux ? A en juger par les soutiens récents et politiques qu’il a reçus, ceux de Sarkozy, de Fabius, de Strauss-Kahn entre autres, on ne peut aujourd’hui prétendre que monsieur Karl fasse partie de la corporation des journalistes.
Le politique n’aime pas trop les journalistes, et là, que se passe-t-il ? Tous bords confondus, certains ténors demandent à Canal+ de revoir sa décision, si décision il y a. Pourquoi ? Parce que Zéro fait jeune ? Parce qu’à la veille d’une année capitale pour l’Elysée, c’est important de se sentir tutoyé sur certains plateaux télé ? Parce qu’il faut laisser les journalistes faire leur boulot ? Pourquoi ? Pour une raison évidente, au moins une : Karl Zéro égratigne autant qu’il cajole. Il caresse autant qu’il griffe, autrement dit, il ne prend pas position, jamais. Il ne tranche pas. Il ne condamne pas. Il pratique, quoi qu’il en dise, la langue de bois. Comme tous les politiques. Et pour ces derniers, un journaliste qui parle « comme eux », c’est-à-dire sans sortir du convenu, du baratin, de l’art maîtrisé de la défausse, c’est très utile, c’est même indispensable. Parce que c’est un journaliste avec lequel ils trouveront toujours un moyen d’être d’accord. C’est leur allié.
Sans trucage. Sarkozy, Strauss-Kahn, Lang, Delanoë, Panaffieu, tous et toutes peuvent venir lui cirer les tennis, ça fait jeune, c’est tendance, c’est risque zéro, surtout. Rien à craindre de ce spectacle là, fût-il en clair, fût-il « irrévérencieux. » C’est pour cela que l’on peut dire que Karl Zéro n’est pas encore viré, loin s’en faut. Mais s’il reste en place, (ou même s’il est finalement débarqué) ce n’est pas (ce ne sera pas) au nom de la « liberté de la presse », mais bien plutôt au nom de l’intérêt général, à la veille des présidentielles. Les hommes politiques, au cours des dernières semaines, des derniers mois, ont montré qu’ils cherchaient dans la presse des partenaires, des soutiens, des professionnels sûrs et fiables qui puissent leur permettre d’arriver au pouvoir. Le meilleur, pour eux, à la télé, leur plus sûr soutien, ni à droite, ni à gauche, ni révolutionnaire, ni conservateur, ni libéral, ni alter mondialiste, ce champion du ni-ni, c’est Karl Zéro. Un « journaliste » qui brouille suffisamment les cartes pour leur permettre de rafler la mise. Un journaliste, donc, entre guillemets, qui, s’il devait être remplacé par une émission digne de Lundi Investigation, par exemple, qui passe le lundi sur Canal, ne laisserait aucun vide.
Lilian Massoulier