Ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir
par Étienne Chouard
lundi 6 mars 2006
Le débat sur le TCE en 2005 a révélé un piège en train de se verrouiller sur les citoyens dépolitisés, trop confiants jusque-là.
Pour sortir de la préhistoire de la démocratie, et donner aux citoyens les moyens de réellement résister à l’oppression, notamment entre deux élections, il faut cesser de tricher au moment d’écrire les règles du pouvoir, au moment d’écrire notre Constitution.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se joue aux moments où l’on écrit ou modifie la Constitution.
Nous sommes, depuis longtemps, trop nombreux pour gérer directement les affaires de la Cité : nous avons donc besoin d’être représentés et de mettre en place des pouvoirs.
Mais ces pouvoirs sont, par essence, très dangereux pour nous tous.
QUI donc écrit le texte supérieur qui définit les pouvoirs et leurs limites ?
QUI met en place les rouages des indispensables contre-pouvoirs ?
Depuis la nuit des temps, ce sont les hommes au pouvoir, ou les hommes candidats au pouvoir, qui se chargent d’écrire eux-mêmes les règles du pouvoir.
Ceci est un vice majeur qui rend impossible l’honnêteté dans ce texte fondateur de la Cité.
En effet, les hommes politiques professionnels, qu’ils soient actuellement au pouvoir ou même seulement candidats au pouvoir, sont juges et parties dans le processus constituant, ce qui les conduit naturellement à tricher et à mettre en place des contrôles factices, ou à refuser aux citoyens les moyens de résister les plus importants, notamment entre deux élections.
Par exemple, ils vont trouver tous les défauts au référendum d’initiative populaire, pour mettre leur propre pouvoir à l’abri du contrôle direct des citoyens, au lieu de défendre l’intérêt général.
Autres exemples importants : ils vont s’arranger pour ne prévoir ni le décompte ni les effets des votes blancs, qui permettraient aux électeurs de refuser simplement tous les candidats en présence, et ceux du mandat impératif, qui permettrait de contrôler que les élus ont bien respecté leurs promesses électorales.
Ils vont autoriser le cumul des mandats et leur renouvellement indéfini, alors qu’on sait que le pouvoir corrompt et qu’il faut donc le faire tourner souvent, comme une indispensable hygiène démocratique.
Etc. (voir mon site pour la liste des principes à faire respecter)
Jamais les hommes au pouvoir n’écriront eux-mêmes les règles dont nous avons besoin, c’est facile à comprendre et à prévoir. Non : c’est à nous, simplement, de les tenir à l’écart de cette phase dangereuse avant de remettre notre sort entre leurs mains.
On peut considérer ce "vice de construction" (laisser les hommes au pouvoir écrire eux-mêmes les limites de leur propre pouvoir) comme un défaut de jeunesse de la démocratie, mais suffisamment grave pour bloquer toute évolution significative. Les citoyens peuvent être négligents sur tout, mais ils ne devraient pas l’être sur ce point décisif :
L’Assemblée constituante ne devrait donc comporter aucun parlementaire, ministre ou juge, actuel ou prochain, parmi ses membres ayant droit de vote.
Par ailleurs, ceux qui ont écrit et voté la Constitution doivent absolument être inéligibles pour longtemps.
L’idée d’un "Parlement constituant" est donc un suicide démocratique (pour les citoyens).
Cette réflexion est essentielle et vaut, à mon avis, pour tous les peuples du monde.
Et elle domine largement les clivages gauche-droite : tous les citoyens ont un intérêt majeur à se protéger contre les abus de pouvoir.
Et de ce point de vue, nos divisions gauche-droite (légitimes dans d’autres contextes) nous affaiblissent, alors que, sur ce point cardinal, nous devrions nous réunir temporairement pour être forts et imposer à nos représentants, de quelque bord qu’ils soient, le droit essentiel de définir nous-mêmes, sans eux, les pouvoirs que nous leur déléguons.
Par ailleurs, puisque c’est la Constitution qui établit les pouvoirs des représentants du peuple (Parlement, gouvernement, juges), à l’évidence, il devrait donc également être rigoureusement interdit à ces représentants de changer eux-mêmes la moindre ligne de la Constitution : ni les parlementaires, ni les juges ne peuvent transformer le texte fondamental qui établit leur propre pouvoir : seul le peuple lui-même, directement, par référendum, peut modifier les institutions (qui sont les siennes, il ne faut pas l’oublier).
Aucune révision de la Constitution, si légère soit-elle, ne devrait donc pouvoir être validée sans référendum.
Voilà, je pense, un premier beau sujet de conversation : est-ce que quelqu’un peut développer ici de bons arguments pour laisser les hommes de pouvoir décider eux-mêmes de leur propre pouvoir ?
Ou, au contraire, est-ce qu’il y a d’autres hommes à écarter du processus constituant ?
Concrètement, comment faire pour donner vie à cette idée simple et forte ?
Une piste non utopique : l’élection en 2007 d’un candidat à la présidence dont le seul programme serait de changer les institutions, en respectant les grands principes (ceux qui protègent les citoyens plutôt que les hommes qui ont fait de la politique un métier), et de partir ensuite.
Pour un argumentaire sur ce point, lire : Grands principes d’une bonne Constitution et notamment le point IB.
J’ai déjà mis ce point en débat (avec d’autres points, très importants) sur mon forum : http://etienne.chouard.free.fr/forum/viewtopic.php?id=16.
Pensez à consulter les liens et documents, ainsi que les bibliographies 1 et 2.
J’attends vos idées comme un jaillissement d’eau claire ou une bouffée d’air pur :o)