DADVSI : La démocratie en échec...
par Talion
jeudi 9 mars 2006
Cette semaine est discuté à l’Assemblée nationale un projet de loi initié par le ministre de la culture, Monsieur Renaud Donnedieu de Vabre, sur les droits d’auteur : DADVSI. Ce texte aurait dû être l’occasion de réconcilier les artistes et leur public, mais il s’avère qu’il est surtout révélateur de l’échec et du fléchissement de la démocratie face aux intérêts colossaux qui sont en jeu dans ce dossier.
Alors que l’actualité politique et internationale fut accaparée durant ces dernières semaines par la menace de la grippe aviaire, le CPE ou encore de temps en temps le Chikungunya, je me suis pour ma part (avec je n’en doute pas, un certain nombre de mes compatriotes) plutôt focalisé sur le débat entourant le projet de loi sur les droits d’auteurs ou DADVSI.
Malheureusement, en raison d’une couverture médiatique pour ainsi dire inexistante, je me suis vu contraint de prospecter de façon active les informations sur ce sujet.
On pourrait me répondre que le gouvernement avait mis en place un site d’information censé expliquer les tenants et aboutissants de ce texte ainsi que les enjeux auxquels il répondait. Mais j’ai surtout très vite eu écho de la polémique concernant sa partialité (1) et les informations relativement intrigantes relayées par les multiples pastiches créés par les opposants au projet de loi (2) (3).
Je ne reviendrai pas sur cette polémique concernant le fait que ce forum était en fait un "blog", qu’il était d’une neutralité douteuse, que la censure y régnait en maîtresse, ou qu’il avait été financé avec nos impôts, car là n’est pas le sujet.
Pour ainsi dire, le manque de neutralité des différentes sources d’information traitant de ce dossier m’ont convaincu que nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-mêmes et que je gagnerai du temps à me renseigner directement grâce aux enregistrements des débats publics des 20, 21 et 22 décembre derniers à l’assemblée.
J’ai écouté avec attention les arguments proposés, et je me suis forgé en conséquence un avis. Par ailleurs, et afin de compléter mon point de vue, je me suis permis de contacter l’Assemblée nationale ainsi que les cabinets de quelques députés afin de prendre des renseignements complémentaires sur la façon dont les débats seraient menés.
Bref ! Le 7 mars arrive, et je me retrouve devant mon ordinateur à regarder en direct les débats publics concernant le droit d’auteur, qui ont commencé vers 17 h. J’ai été horrifié par ce que j’ai vu !
Le débat, pourtant d’une importance indéniable puisqu’il est censé avoir des répercussions concernant l’utilisation que nous faisons d’une oeuvre artistique légalement acquise, fut réalisé devant un président de toute évidence partisan dans ce dossier, et un hémicycle anémié.
Presque chaque intervention d’un député opposé au texte présenté par le gouvernement était amputé d’une, voire deux minutes, par rapport aux cinq que le règlement autorisait théoriquement. Et dans le même temps, celles des députés de la majorité soutenant le point de vue du gouvernement ne se voyaient aucunement interrompues, quand bien même le temps imparti était écoulé.
Mais ce fait n’est certainement pas celui qui m’a le plus choqué, puisque j’ai pu apprendre durant cette première journée que l’amendement 272 qu’avait déposé le gouvernement la veille du débat, l’avait été à 19 h, ne laissant pas aux députés de l’opposition le temps de se manifester pour que soient réétudiés les amendements retenus lors de la première session.
Cette procédure, consistant à retirer seulement un article du projet de loi, est non seulement discutable si l’on se plonge dans l’étude du règlement de l’assemblée, mais en plus, il ne fut utilisé qu’une seule fois au cours de l’histoire de la Ve république : il y a plus de 45 ans.
Sans parler du fait que cet artifice a été exploité dans l’unique but de torpiller en traître deux amendements que le ministre de la culture souhaitait à tout prix éradiquer. Ou "quand l’exécutif tente d’imposer ses vues au pouvoir législatif..."
Outre le danger que cela représente pour la démocratie, un employé de l’assemblée avec qui j’ai eu une longue discussion le jour même m’a confié que c’était là une manoeuvre tout à fait inhabituelle.
Et que dire du fait que Monsieur Donnedieu de Vabre n’ait, dans son discours, jamais souhaité se faire le porte-parole des citoyens, mais uniquement celui de l’industrie culturelle et des artistes ? La majorité des Français ne sont-ils pas favorables à cette licence globale que le gouvernement a si promptement rejetée (4) ?
11 des 15 millions de Français
connectés à Internet ne téléchargent-ils pas des oeuvres via P2P (5) ? Le gouvernement souhaite-t-il nous imposer une loi contre notre volonté ?
La loi n’est-elle pas supposée, dans notre type de société, être au service du peuple, et non pas le contraindre ? Ne sommes-nous pas en démocratie ? Et la démocratie ne se définit-elle pas justement comme étant toujours la volonté du peuple ou de sa majorité (6) ?
Pour résumer, le projet de loi proposé par le gouvernement et le débat que ce dernier a initié sont-il véritablement démocratiques ?
Une réponse à cette question peut être suggérée lorsque qu’on sait que le débat public d’hier soir s’est déroulé sous la surveillance du lobbying des industries de la musique (7)... Vous savez, celui-là même qui a tenté de soudoyer nos députés en décembre (8)... Et celui-là même qui a fait pression sur nos élus pour qu’ils votent dans le bon sens (9) (10).
A croire que Didier Mathus avait raison avant-hier, lorsqu’il disait que l’avenir du droit d’auteur et du droit des internautes ne se décidait pas dans un hémicycle au milieu d’élus du peuples, mais était organisé en coulisses par ceux qui détiennent le pouvoir financier.