Dialoguer avec le Hamas ? Le soutien prématuré de Paris ŕ Moscou...
par Daniel RIOT
lundi 13 février 2006
Poutine invite le Hamas à Moscou. Paris approuve... Pourquoi ? Est-ce le bon moment ? Il est des jours où les porte-parole devraient pratiquer l’art du silence. Il est surtout des circonstances où les prises de position devraient être « européennes » avant d’être nationales...
Quand les diplomaties européennes comprendront-elles qu’elles auraient intérêt à accorder leurs discours, avant de les rendre publics, sur des sujets graves, sérieux, et explosifs, au sens propre du terme ?
Paris vient d’éprouver le besoin d’appuyer, sinon d’approuver, l’initiative russe d’inviter les responsables du Hamas à se rendre en visite à Moscou...
Pourquoi ? Besoin de faire acte de présence sur la scène diplomatico-médiatique ? Occasion de se distinguer des Etats-Unis et d’Israël ? « Geste » à l’égard des autorités arabo-islamiques pour « compenser » les effets des « caricatures » danoises reprises stupidement à la sauce parisienne ?
Sur le fond, peu de commentaires à faire : il est sûr que, d’une manière ou d’une autre, la communauté internationale devra composer avec le Hamas, ne serait-ce que parce que ce parti (jadis soutenu bêtement par les services américains) a gagné des élections souhaitées internationalement, et qu’il arrive légitimement au pouvoir dans une Palestine une fois de plus placée dans une situation dont la complexité devrait nourrir l’humilité... et la prudence.
En ce sens, Moscou n’a pas tort de ne pas vouloir « brûler les ponts », de nourrir le dialogue, et de tout tenter pour que le Hamas rejoigne des « positions qui permettent d’atteindre l’objectif de deux Etats vivant en paix et en sécurité ». Mais la prise de position russe présente un inconvénient majeur, que le Quai d’Orsay souligne d’ailleurs : elle a été « prise sans concertation avec les partenaires du Quartette (USA, Union européenne, Russie, ONU) ».
La prise de position de Paris, d’aujourd’hui, présente le même défaut...
L’initiative russe entraîne aussi une question majeure (que souligne l’approbation française) : est-ce le moment de lancer ce type d’invitation ? Les Grecs anciens (Castoriadis l’avait bien analysé) avaient le sens du Kaïros, du moment opportun... En diplomatie, ce Kaïros est souvent déterminant. Décisif même.
A la veille des élections israéliennes, à un moment où le Hamas, qui n’a toujours pas constitué de « gouvernement », est déchiré par des querelles internes, est soumis aux surenchères du Djihad, et éprouve des difficultés à maintenir l’ordre dans ses propres milices, l’heure choisie par le Kremlin pour rendre publique une initiative qui aurait pu rester discrète est-elle « opportune » ? Et l’approbation française est-elle exprimée dans un temps « opportun » ?
C’est un bras de fer qui se déroule, et une course de vitesse qui est engagée entre le « Quartette » et le Hamas. Quel est le préalable de quoi et à quoi ? Cette question qui aurait dû être posée avant les élections palestiniennes prend une importance considérable...
Pour faire la paix (comme la guerre, d’ailleurs), il faut être au moins deux... Comment faire la paix avec quelqu’un qui ne vous reconnaît pas, et qui dit vouloir votre mort ? Le dialogue avec l’OLP s’est noué, avec bien des difficultés et des controverses, après que l’organisation d’Arafat eut rendu « caduque » sa charte, eut admis l’existence d’Israël, eut (au moins officiellement) renoncé à la lutte armée...
Le Hamas en est loin... « Une trêve, oui. Une paix, non »... On comprend que les Israéliens parlent de l’initiative de Poutine comme « d’un coup de couteau dans le dos ». Et on comprend par avance les réactions grimaçantes que va susciter la prise de position du Quai d’Orsay en Israël et aux Etats-Unis.
Le Quai ne s’est exprimé que par un porte-parole. Moscou s’est exprimée par la voix de Poutine. Nuance... Mais cette « nuance » ne gomme en rien l’essentiel : une prise de position européenne aurait été moins prématurée, et aurait pu avoir plus de poids que ce « signe » français. En chantant trop fort, trop tôt et inutilement, le coq a perdu des plumes. En faisant des mécontents en Israël et en provoquant des sourires narquois dans le camp adverse. Ce n’est pas ainsi qu’on donne du sens au mot « crédibilité ». Il est des circonstances où les porte-parole devraient garder le silence. « No comment » est pourtant une expression facilement traduisible...
Daniel RIOT