Et si le CPE ne changeait rien ŕ la précarité ?

par Maxime Gouzevitch
mercredi 29 mars 2006

Il faut le reconnaître, je suis consterné par ce qui se passe : un pays au bout de l’hystérie, une quasi-guérilla urbaine accompagnant des manifestations démesurées... Et tout cela pour un contrat ! Un texte devenu prétexte à une guerre totale idéologique...

Noyé sous un flot de slogans guerriers anti-CPE, submergé par des torrents de mots martyrisés au point de perdre tout leur sens : précarité, capitalisme, bénéfices... je me sentais perdu. Un dimanche, cependant que les acteurs les plus brillants de cette grande salle de théâtre qu’est notre pays jouissaient d’un repos dominical bien mérité, que le flot d’informations sur la "guerre CPE" s’est un peu tari, je me suis dit qu’il était peut-être temps de me poser moi-même la question à froid :

Mais que va-t-il vraiment changer, ce CPE, dans la vie des gens ?

Je ne parle pas du point de vue économique, idéologique ou philosophique, mais concret, pratique, dénué de toute allégeance politique. Le jeune serait-il plus précaire, ou non, qu’il ne l’est aujourd’hui ?. Pour y répondre, reprenons les choses à zéro. Pour comparer, regardons ce qu’il en est aujourd’hui du marché du travail, et essayons de projeter ce qu’il en sera demain dans l’hypothèse où le CPE serait appliqué.

Il est facile de comprendre que dans la structure des emplois au sein d’une entreprise nous rencontrons toujours deux catégories principales. La proportion de chaque catégorie dépend du carnet de commandes de l’entreprise, de son domaine, de la "cyclicité" de ses activités, de sa culture...

  1. Les emplois à vocation « indéterminée ». Ce sont généralement des emplois à responsabilité qui nécessitent souvent une longue (et coûteuse) formation au sein d’une entreprise (comptable, par exemple).
  2. Les emplois à vocation « déterminée ». Ce sont des emplois souvent à faible responsabilité et formation rapide, qui servent de variable d’ajustement en cas de passage à vide de l’entreprise (caissière, par exemple).

Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’employeur dispose aujourd’hui (hors du jeune CNE) globalement de deux contrats possibles : CDI et CDD. Comment sont-ils utilisés ?

  1. Les emplois à vocation « déterminée » sont évidement des CDD (ou des stages). D’une durée maximale de 18 mois (renouvellement compris), l’employé est obligé de quitter l’entreprise au bout de cette période, puisque celle-ci ne prévoit pas sa mutation en CDI.
  2. Les emplois à vocation « indéterminée » peuvent se présenter sous deux formes. Soit l’entreprise est certaine de son candidat et est prête à le prendre directement en CDI afin de l’attirer dans son giron (cas fréquent des élèves issus des écoles d’ingénieur, par exemple), soit l’entreprise veut tester le candidat et le prend en CDD. Si le test est concluant, un CDI peut suivre dès la fin du premier CDD.

Qu’en serait-il avec le CPE ?

Il est raisonnable de penser que des CDI qui sont signés directement le resteront. En effet, s’ils n’ont pas été précédés/transformés en CDD, pourquoi le seront-ils en CPE ? Les élèves ingénieurs et les écoles de commerce ne s’y trompent pas en restant à l’écart de la contestation. Donc, pas de précarisation de ce côté-ci !

Les CDI qui sont précédés d’un CDD deviendront probablement des CPE ou resteront CDD+CDI. La situation change peu, au fond, ici, si ce n’est que la période d’essai peut être rallongée de 18 mois à 2 ans, avec en contrepartie une meilleure appréciation des CPE auprès des banques et une idée du contrat à durée indéterminée qui est présente dans le CPE et ne l’est pas dans le CDD. Pas vraiment de précarisation supplémentaire de ce côté-ci !

Enfin les postes CDD par excellence, resteront CDD ou deviendront CPE, mais rien ne changera, l’employé sera remercié au bout d’un certain temps. Rien ne changera, si ce n’est que l’employé pourra rester 2 ans au lieu de 18 mois avant d’être remplacé. Pas de précarisation spectaculaire par ici non plus !

Il serait peut-être temps que chacun se pose ces questions en son âme et conscience, et décide en homme responsable si le jeu de l’affrontement « jusqu’auboutiste » vaut le bénéfice qu’il va en tirer en cas de victoire... Enfin, dans l’état de surchauffe actuelle des cerveaux de beaucoup de nos concitoyens, ceci risque de rester un cri d’assoiffé dans le désert.


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