Faut-il couler Q790 ?
par Roues Libres
vendredi 3 mars 2006
Le Clémenceau a quitté discrètement la une. Le débat sur son destin a laissé place à d’autres émotions. Grippe aviaire, emploi des jeunes. Q790, car c’est son nom depuis qu’il a été libéré de ses obligations militaires, avance lentement derrière son remorqueur.
Sur place, à Brest, on s’agite. Pourquoi ne pas créer une "filière" de déconstruction de navires en fin de vie ? On voit d’ici l’usine à gaz à la française poindre le bout de ses tuyaux. Réanimer nos vieux arsenaux et les transformer en chantiers de démolition est une grande idée, en effet. La déconstruction de Q790 coûterait au contribuable français la bagatelle de 40 à 45 millions d’ euros selon les experts... Ajoutons que le caractère extrêmement pénible des travaux nous obligerait probablement à faire appel à de la main d’oeuvre étrangère, et que l’éloignement de Brest des aciéries susceptibles de retraiter les 25 000 tonnes d’acier résiduel poserait à lui tout seul un problème logistique considérable, s’il devait être systématisé à d’autres navires. Pendant le temps nécessaire à la recherche de subventions, il y a gros à parier que l’ Inde et le Bengladesh se seront équipés des moyens requis pour procéder, dans des conditions de sécurité acceptables, au désamiantage des coques qui leur seront proposées, dans des conditions économiques qui seront sans comparaison possible. C’est la loi de la mondialisation et de la répartition internationale du travail.
Bref, il reste aux plus hautes autorités de l’ Etat quelques semaines pour regarder les choses en face, et prendre les décisions qui s’imposent. Q790 est une coque propre. Tous les polluants qu’elle contenait ont été évacués avant son départ, à l’exception du reste d’amiante. Les réservoirs ont été vidés et rincés, de même que les machines. Il n’y a pas de pyralène à bord. Il est de l’autorité du chef de l’ Etat d’autoriser l’affectation de Q790 à une expérimentation de tir, en l’assignant comme cible à détruire, ce que lui permet la loi. Une tâche qui ne serait d’ailleurs pas sans intérêt pour mesurer la capacité de notre armement conventionnel sur une coque assez lourdement blindée. Un de nos sous-marins d’attaque doit être chargé de cette mission, par une nuit sans lune, au-dessus d’une fosse atlantique, au large de notre continent. Un bref communiqué, publié le lendemain, provoquerait bien entendu les réactions indignées et prévisibles de toutes les oppositions, mais ce dossier aurait été refermé dans l’ honneur par le chef des Armées.
En agissant de cette manière, on épargnerait à Q790, ainsi qu’à notre pays, l’humiliation de ce retour et l’inévitable flot de polémiques qui l’accompagnera. Nous nous éviterions aussi d’ assister à la dégradation rapide d’un bâtiment au retour de cinq mois de mer sans entretien, condamné à rouiller au bout de ses amarres, dans un arsenal de Brest devenu cimetière. Certes la mer n’est pas une poubelle. Mais Q790, quoi qu’en ait jugé le Conseil d’ Etat, n’est pas non plus un déchet. La mer fera son affaire de ces 25 000 tonnes d’acier, en nous laissant le temps de prévoir, pour le prochain de nos grands navires à devoir être désarmé, la Jeanne, une solution compatible avec la dignité des marins qui l’ont servi.
Monsieur le Président, nous attendons votre décision.