Hamas... caduque ? Vous avez dit caduque ? Comme c’est caduque...
par Patrick Adam
mardi 25 avril 2006
Dans la Palestine occupée, des élections libres ont porté au pouvoir un parti doté jusqu’à présent d’un référentiel ouvertement terroriste. Analyser le comment-on-en-est-arrivé-là ne mène pas à grand-chose, si ce n’est à remuer le couteau dans la plaie. On peut disserter à l’envi sur les frustrations d’un peuple floué par l’histoire (et par ses voisins). Ce qui compte aujourd’hui, c’est de savoir ce qu’il convient de faire avec les nouveaux dirigeants qu’il s’est choisi.
Aider le peuple palestinien... Personne ne met en doute le bien-fondé de cette obligation morale. Peuple sans avenir immédiat, lui couper les vivres, c’est lui octroyer plus de souffrances et faire la part belle à plus d’injustice et de fanatisme, et c’est aussi ouvrir la porte aux gouvernants des pays voisins, plus ou moins extrémistes, qui avaient été, jusqu’à présent, plutôt chiches de leurs deniers et qui, cours du pétrole aidant, vont s’empresser de jouer les joyeux donateurs.
Mais quid de nos sacro-saints principes concernant nos rapports avec le terrorisme ?
L’Occident n’en finit pas de tourner autour du pot, et notre président use les fonds de tiroir de ses vieux 80 % en croyant pouvoir jouer encore une fois au plus fin, et en s’essayant à un de ces numéros d’équilibriste dont il a jalonné sa carrière politique. Mais bientôt il ne pourra plus se contenter de paroles généreuses, car la question sera de savoir s’il va sortir le stylo et s’il va libeller des chèques au nom du Hamas.
De quelle astuce linguistique devra-t-il user pour faire ce geste abracadabrantesque ? Peut-être que, pour l’occasion, la sémantique reprendra enfin un peu de ses droits bien malmenés par les différentes crises diplomatiques qui secouent la planète. Espérons qu’elle sera alors assez claire pour servir de repère et de ligne de vie, tant aux donateurs qu’aux récipiendaires. Il va bien falloir que chacun s’y reconnaisse. Pour une fois, l’argent aura une odeur (celle du développement humain ou celle du sang) et rien ne serait plus dangereux que de chercher à « noyer le poisson avec l’eau du bain ».
Alors, pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour tenter de savoir si le but d’une démocratie (sans parler de ses intérêts) est de porter au pouvoir des anti-démocrates ? D’autant que cette question n’a pas fini de se poser dans bien des parties du monde.
La démocratie ne peut se résumer à mettre, de temps en temps, un bulletin de vote au fond d’une boîte et à s’en retourner illico vaquer à ses occupations. Utiliser le terme de démocratie dans le cas d’une société qui vit en grande partie de rapports tribaux et claniques n’a pas de sens. La démocratie ne se résume pas à l’acte électoral. La démocratie, c’est une identification à un projet collectif incluant l’autre.
Parlant de Clisthène l’Athénien, chef du parti démocratique (508-507) - sans doute le premier parti au monde ayant pu se réclamer d’un tel label - Aristote disait : « Il répartit l’ensemble des habitants entre dix tribus au lieu des quatre précédentes [...] voulant les mêler afin qu’ils fussent plus nombreux à participer à la gestion de la cité ; et [...] ne pas faire de distinction entre les tribus aux gens qui voulaient examiner les origines familiales. » Plus loin il ajoute : « Et il rendit frères de dèmes, les uns des autres, ceux qui habitaient dans chacun des dèmes, afin d’empêcher, s’ils se saluaient en donnant le nom de leur père, de révéler les citoyens de fraîche date et pour les forcer à proclamer publiquement leur appartenance aux dèmes ; donc à la suite de cette mesure également, les Athéniens s’interpellent en indiquant leur appartenance à un dème. »
Nous sommes loin du Hamas et de la Palestine ? Pas tant que cela. Disons plutôt qu’à la lecture d’Aristote, c’est la société palestinienne dans son ensemble qui est encore loin de la démocratie.
Le peuple palestinien a choisi. C’est un fait. Mais à l’évidence, il a mal choisi. Pourquoi ? Simplement parce qu’il va lui falloir désormais attendre que le Hamas fasse le long cheminement que l’OLP de Yasser Arafat avait accompli en son temps, dans la douleur, mais avec courage et lucidité, pour rayer d’un seul mot la charte de son mouvement. Caduque... Vous avez dit caduque... Mais, une fois de plus, quel temps perdu ! Encore des années de culte de la haine, de murs de haine qui ne s’abattront pas, de blessures de haine qui ne se refermeront pas. Encore des années de souffrances. Encore des morts, des orphelins, des familles déchiquetées moralement et physiquement, des terres brûlées, des maisons détruites. Encore des enfants sans terrain de jeux autre que des rues ouvertes par les obus, encore des diplômés sans affectation, une administration à la dérive et une économie gangrenée de trafics gérés par la violence. Encore un avenir broyé chaque jour davantage par des déclarations aussi intempestives qu’inefficaces. Pourtant, tôt ou tard, le Hamas devra bien le prononcer, ce petit mot qui avait arraché un sourire complice à Arafat. Caduque...
L’historien hongrois Istvan Bibo disait : « Etre démocrate, c’est être délivré de la peur ». Souhaitons que les Palestiniens connaissent un jour cette délivrance, même s’il n’est pas sûr qu’avec le Hamas, ils aient emprunté le meilleur chemin.