Information et vérité
par Argoul
mercredi 22 février 2006
Armand, l’un de mes lecteurs sur Agoravox - le journal citoyen, m’écrit à propos de son mémoire de fin d’études sur le pétrole. « La question qui me vient régulièrement à l’esprit lors de mes recherches est comment valider mes sources d’information, comment juger de la fidélité de ces informations vis-à-vis de la réalité . (...) Le sujet du pétrole en lui-même est propice à la manipulation de l’information, les conclusions des documents qu’on peut trouver sont extrêmement différentes, et parfois très imprégnées des fameuses théories de complot. J’ai amassé des documents dont je ne sais pas trop quoi faire. En fonction des points de vue, les opinions divergent, ce qui est normal, mais comment tirer de cette masse d’informations les fondements d’une réflexion personnelle fidèle à la réalité sur le sujet ? »
Il est très à la mode de dire que tout égale tout, que tout le monde « il » est beau et gentil, et que le relativisme général règne en tous temps et en tous lieux. Mais on ne construit nul discours, nulle relation humaine ou sociale sur l’absolument relatif ("Je t’aime, mais attention, mon discours est de circonstance, avec des arrière-pensées, tout à l’heure je ne t’aimerai plus, mais je te dirai le contraire pour ne pas que tu croies...). La vérité n’est qu’un idéal à approcher et surtout à rechercher ; personne ne dit qu’elle sera atteinte, surtout pas moi. Il n’y a pas d’info "objective", mais je préfère qu’elle soit "honnête". Ce qui signifie (on n’a rien inventé) : appliquer les méthodes de l’honnêteté en vigueur dans la recherche scientifique, observer, recouper, émettre des hypothèses, raisonner logiquement, tester, garder l’esprit critique (et après tout, si une autre hypothèse était possible ?), identifier le degré de véracité des sources (qui a intérêt à quoi ?), préparer une recherche en complément, intégrer le tout dans une problématique (que voulez-vous montrer ?).
Pour cela, nous devons faire confiance à des méthodes éprouvées : la précision des mots (dictionnaire), la rigueur logique (attention aux sophismes), la clarté de l’exposition (ce qui se conçoit bien s’énonce clairement), la distinction entre les sources et les spéculations, les éléments de vérification (nom et position des interlocuteurs, bibliographie, sources Web). Cela demande du travail, et l’époque aime à croire au tout cuit tout de suite, au "spontané" innocemment révélateur. C’est du rousseauisme vaguement écolo, très "tendance", mais inadapté à la rigueur et à la probité de qui veut approcher la vérité (d’où le zapping permanent des médias, qui trouvent l’émotionnel plus "facile").
Dans votre étude, Armand, vous devez distinguer :
• les faits qui, vérifiés, deviennent « vrais »
• des spéculations qui sont des hypothèses plausibles ou non (à vous de les soumettre à critique ou de les opposer l’une à l’autre)
• et des dérapages qui tordent les faits en raison de dispositions psychologiques particulières.
Par exemple, le Club de Rome en 1972 énonçait des faits « vrais » (l’épuisement inévitable des ressources naturelles à terme), des spéculations (si l’on poursuit l’industrialisation au même rythme, on peut calculer approximativement la date où la consommation dépassera le niveau des réserves exploitables), enfin les dérapages (il reste à peine de 20 à 50 ans, au secours la planète, rien ne va plus). Saisissez-vous la nuance entre ces trois niveaux ?
Il est nécessaire de faire une différence entre une connaissance et une ignorance, entre une interprétation sujette à débat et à vérification et un dogme asséné sans preuve ou un mensonge, et entre un délire et une démonstration. Par exemple, le recours au complot n’est pas une modalité de la vérité mais une déviation du raisonnement, pour des motifs qui ne résident pas dans l’objet de l’information mais dans la psychologie de qui l’interprète. Pour le sophiste, rien n’est vrai ; pour le sceptique, rien n’est certain. Le premier pourra justifier de n’importe quoi ; le second sera soumis par tous à vérification (l’anglicisme « falsification » de Popper). « Approfondissement et ratures », disait Pascal de la recherche de vérité, « essais et erreurs », disons-nous aujourd’hui de la méthode expérimentale en usage dans les sciences. Vous n’avez pas à rechercher des vérités platoniciennes, valables de toute éternité, mais des vérités partielles et révisables, ce que nous appelons des « faits établis ».
Exposez surtout votre démarche, le résultat de votre recherche importe peu car il sera provisoire. Seule la méthode pour parvenir à établir les faits et à formuler des hypothèses qui en rendent compte importe.