Monsieur R VS Finkielkraut... Réflexion sur l’impartialité médiatique
par Nicolas Aubert
vendredi 25 novembre 2005
Il est parfois intéressant de s’attarder sur les hasards de l’actualité. Dans celle du 24/11/2005, deux pyromanes s’illustraient comme sur un ring :
- Dans le coin blanc, Alain Finkielkraut, 54 ans, philosophe, fils de déporté.
- Dans le coin noir, Monsieur R, la vingtaine, rappeur et fils d’immigrés.
Leurs armes pour propager leur haine : les mots, durs et effrayants. Petit rappel :
-
Finkielkraut : « On nous dit que l’équipe de France est adorée par tous
parce qu’elle est “black, blanc, beur”, en fait aujourd’hui elle est
“black, black, black”, ce qui fait ricaner toute l’Europe ».
« L’antiracisme sera au XXe siècle ce qu’a été le communisme
au vingtième” »(d’autres extraits de Finkielkraut sont disponibles ici)
- Monsieur R : ( à propos de la France ) « N’oublie pas de la baiser jusqu’à l’épuiser, comme une salope faut la traiter mec ».
Passons sur la stupidité évidente de ces deux extraits, et arrêtons-nous sur le traitement médiatique de ces deux cas. Tous les médias se sont rués sur cette affaire de rappeur. Impossible d’échapper aux mots de Monsieur R ce jeudi, à moins de ne vraiment pas vouloir être informé. Télé, radio, presse écrite, Internet, personne n’a exclu Monsieur R de ses gros titres, surtout après trois semaines de violences urbaines.
Finkielkraut,
bizarrement, n’a pas eu droit à ce traitement ; seul Le Monde en date
du 23/11/05 a publié ses propos (certes près d’une semaine après qu’ils ont été publiés dans HAARETZ en Israël, le 18/11/05). Aucune télé
n’y a fait allusion, et seulement quelques radios ont osé en parler. A
chaque fois, on a eu droit à une condamnation plus ou moins explicite
du propos, mais dans le même temps, certains se sont risqués à une
analyse compréhensive des déclarations outrageantes de celui qu’il faut
malheureusement appeler un philosophe. Étrange, surtout que ces mêmes
commentateurs refusent obstinément la mise en perspective des mots de
Monsieur R ou des actes des sauvageons “casseurs”. Comment peut-on
expliquer que la haine d’un philosophe soit si peu mise en lumière,
qu’elle soit nuancée, expliquée, alors qu’on livre à l’opinion publique
les mots haineux d’un gosse de banlieue qui ne représente que lui et
ses amis ?
Les outrances d’un philosophe blanc sont-elles moins graves que celles d’un rappeur black ? Y a-t-il en France deux niveaux de haine, l’un plus admissible que l’autre ? Et si oui, la haine d’un philosophe, dont le métier est de penser et d’écrire, n’est-elle pas plus inadmissible que celle d’un gamin qui n’a que très peu fréquenté l’école (en tout cas moins que Finkielkraut) ?
A ces questions, les médias ont répondu. Ils ont choisi, dans leurs conférences de rédaction en ce matin du 24/11/05, d’appuyer très fortement sur la haine de ces jeunes et de la sous culture du rap, plutôt que de nous montrer la haine froide et précise d’un des grands penseurs contemporains. Ils ont même oublié de dire que les propos de Monsieur R n’étaient pas une réaction directe aux violences de ces dernières semaines, et que son texte date d’il y a déjà plusieurs mois. Ceux de Finkelkraut, eux, sont directements liées aux violences, donc sans doute plus indiqués pour apporter des éléments de compréhension sur l’état actuel de notre pays.
Mais bon, les vieux réflexes ont la vie dure, le philosophe sera toujours plus respectable que le rappeur, le BAC+5 plus intéressant que le BAC-2., et cela quel que soit le discours. Sauf que tous ces mots, jetés à la figure du simple citoyen, sans explication, sans analyse, ont des conséquences graves. Finkelkraut et Monsieur R ne sont que les représentants éphémères de deux France qui jusqu’à peu s’ignoraient, et qui après quatre semaines de délire médiatico-politique se haïssent. Que retiendra M. Durand de l’actualité de ce 24/11/05 ? Que les jeunes qui aiment le rap sont des racistes "anti-gaulois" qui "baisent" et "pissent" sur la France ? Et M. Finkelkraut ? “Connais pas, mais si ce qu’il avait dit était si grave, on en aurait parlé aux infos !” répondra naïvement M. Durand, ajoutant même “Vous me dites qu’il est philosophe ?!? Quand même, on ne va pas mettre au même niveau les paroles d’un philosophe et celles d’une racaille qui fait du rap !”. Décidément, quelle étrange impartialité médiatique !
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