Quelques réflexions sur les blocages de lycées

par J-B.
lundi 3 avril 2006

Les enseignements que l’on peut tirer des blocages de lycées complaisamment relayés par les médias.

Depuis plusieurs semaines, les médias relayent complaisamment les blocages de lycées, au point même de paraître parfois, dans certains reportages, donner un mode d’emploi aux lycéens en mal d’idées. On n’avait encore jamais vu à ce jour ce genre d’action (qui s’apparente au piquet de grève) menée essentiellement par des mineurs. Je suis moi-même professeur dans un lycée bloqué, situation que je juge particulièrement grave, et je me suis demandé, en tant que professeur, ce que des élèves peuvent bien apprendre, lorsqu’ils réussissent à interdire aux autres (élèves et enseignants) l’accès à leur lieu de travail.

Nul doute que bon nombre des élèves qui se déclarent favorables au blocage se mettent en vacances. De la sorte, se trouve confirmé le discrédit jeté sur le travail, scolaire en l’occurrence. Si l’on ne va pas en cours, cela ne présente pas beaucoup de risques, le système scolaire s’adaptera, les cours seront plus ou moins rattrapés, les modalités des examens seront revues. De plus, puisqu’il s’agit de mineurs, ils peuvent empêcher les autres de travailler en toute impunité. Et, les professeurs étant des fonctionnaires, ils ne travaillent pas, mais sont quand même payés. Ne pas travailler n’a finalement pas de conséquence bien grave -sauf pour ceux qui veulent travailler. Le premier enseignement qu’on peut tirer de la situation, c’est qu’aller ou ne pas aller à l’école, pour un certain nombre de lycéens ou d’étudiants, ne sert finalement pas à grand-chose.

Le deuxième aspect du blocage, c’est la pratique du vote. Voter semble aller de soi et donner une caution "démocratique" au blocage et au droit de grève, pourtant parfaitement illégitime pour les élèves qui ne sont pas des salariés. Or bloquer l’accès à un établissement scolaire est illégal, tous les élèves ont le droit d’accéder librement à l’école, qui est un service public. Et ce sont les adultes (chefs d’établissement et professeurs) qui doivent garantir ce droit. Bloquer un lycée est un coup de force, le faire cautionner par un vote n’a rien de démocratique, c’est une méthode fasciste, le pourcentage majoritaire d’élèves favorables au blocage n’ayant en soi rien de démocratique, puisque ce sont les élèves minoritaires qui sont dans leur droit . De plus, là encore, on donne à des mineurs, par un vote en dehors de toute structure légale, un pouvoir de décision sur les autres qu’ils n’ont pas à avoir ; on légitime le fait qu’ils puissent ne pas respecter les droits des autres, ici au travail et à l’instruction. Ce qui, bien évidemment, est la porte ouverte à n’importe quelle autre usurpation de pouvoir. On mesure bien, dans cette situation nouvelle, le rapport très problématique des mineurs à la loi et à l’autorité, et la difficulté pour les adultes de faire face à une telle situation.

Le troisième aspect du blocage, c’est sa motivation : le retrait du CPE. Là encore, ce qui est frappant, c’est l’illusion d’un pouvoir donné aux mineurs : le pouvoir de juger et de décider de quelque chose devant quoi ils sonts ignorants, incompétents -ils ne connaissant rien du monde du travail (quel crédit apporter à la contestation de lycéens de quinze ans, parfois même de collégiens ?) ; et aussi le pouvoir de discuter une loi (quoi qu’on en pense par ailleurs) votée par le Parlement. Et, sur ce point aussi, le rapport des mineurs à la loi semble perverti - ce qui est d’autant plus alarmant qu’un certain nombre d’adultes les ont poussés à cette contestation.

Toute expérience est formatrice, l’expérience que sont en train de faire ces lycéens pourrait avoir des conséquences plus graves que ce contre quoi ils protestent. La fin (le retrait du CPE) ne justifie pas les moyens. En bloquant un lycée, on apprend à ne pas respecter la valeur du travail. On apprend à ne pas respecter les autres, leurs droits et leur liberté, et on court donc le risque d’être traité de même par la suite. On grandit avec des illusions de droits et de toute-puissance, et on oublie les devoirs que l’on a envers la communauté. Et finalement, on est plutôt mal préparé pour affronter la dure réalité du monde du travail.


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