Sarko-Zorro face aux périls d’une « Intifada » à la française
par Daniel RIOT
vendredi 4 novembre 2005
Que Sarkozy paye cher sa « méthode » est une chose. Ce qu’on appelle déjà le « sarkozysme » (sans le définir) n’est une planche de « salut sociétal » que pour ceux qui confondent « réflexions politiques » et « stratégies de pouvoir »... Mais derrière les déboires actuels du ministre-candidat à la présidence, il y a de vrais problèmes. Vers une Intifada à la française ? Le risque est réel.
Sarkozy, ambitieux ( à juste titre peut-être) n’est pas le seul (mais il le fait mieux que d’autres) à confondre « effets médiatiques » et efficacité, l’intéressant et l’important, l’action réelle et la fiction, l’agir et le jouer, l’être et la paraître, le faire et le faire-savoir, le savoir- faire et le faire parler, le verbe (pas toujours contrôlé) et l’action efficace...
La « politique-spectacle » a ses limites : trop poussé, le souci de la « séduction » mine la démocratie à force d’user (en l’abusant) un système médiatico-politique qui tue à la fois le journalisme et la politique...
Sarko est à la politique ce que nombre d’animateurs médiatiques sont au journalisme... Jean-Claude Guillebaud avait raison : nous sommes dans une ère où le journalisme est la première victime du système médiatique (avec la démocratie).
C’est lui, Sarko, qui a exhibé sa vie privée dans les médias et mélangé le plus « vie privée et vie publique » : il est le premier à en souffrir. Il dit en tirer les leçons.
C’est lui, Sarko, qui a transformé le ministre de l’intérieur en Zorro, pour la plus grande joie des humoristes, ces chansonniers d’aujourd’hui. Un Zorro qui a plus de gueule que d’épée... Il est le premier à en subir les conséquences. Il devra en tirer les leçons.
C’est lui, Sarko, qui depuis qu’il a pris en mains l’UMP, joue les « gratte-culs » d’une majorité qui n’est unie qu’en apparence : cela se retourne, et risque de se retourner de plus en plus contre lui... Il devra en tirer les leçons. La perfectibilité est la plus grande des vertus, surtout quand on est ambitieux.
Il ne suffit pas de dire pour avoir raison. Il ne suffit surtout pas de dénoncer ce qui a été fait, mal fait ou pas fait, depuis « 20 ou 30 ans » (un slogan digne de Le Pen) pour offrir sur un plateau des solutions idéales. La démagogie commence là. Et Sarkozy, en dépit de ses qualités, est, à sa manière, un modèle de démagogie... à ne pas imiter. « Tolérance zéro » pour les dérives intolérables d’une intolérance trop affichée.
Azouz Begag a raison de dénoncer, avec franchise et courage, la "sémantique guerrière" de Sarkozy, dans deux interviews parues dans le « Parisien-Aujourd’hui en France » et « Libération ». Le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances, originaire de la banlieue lyonnaise, réaffirme sa désapprobation des termes ("Karcher", "racaille", « voyou ») employés par son collègue à l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui rêve d’un destin Iznogoud. "Je conteste cette méthode de se laisser déborder par une sémantique guerrière, imprécise", dit-il à Libération.
Dans Le Parisien , il fait son "mea culpa". "Ca fait cinq mois que je suis au gouvernement, et je n’ai pas été assez incisif, j’ai été trop faible". "A moi de faire le tour des ministres" pour "leur expliquer ce qui se passe réellement dans ces quartiers où l’on souffre", dit-il. "A moi d’aller voir Sarkozy pour qu’on trouve des solutions ensemble, qu’on répare les malentendus, qu’on apaise les passions", ajoute Azouz Begag. Merci et bravo, monsieur le ministre délégué. Il est clair qu’entre Sarko et vous, Villepin et Chirac devront faire des choix... Mais une chose est sûre : le plus « français des ministres », le plus « républicain », comme le disait un jour Jean Lacouture sur France-Culture, c’est vous dans les circonstances actuelles.
Mais cela étant dit, je partage aussi l’avis de Jean-Marie Bockel, le maire (PS) de Mulhouse. Sur le cas précis de Clichy, sur les bavures policières (inadmissibles), sur les errements politiques, Sarkozy ne doit pas être transformé en bouc-émissaire, en cible, en punching-ball, en défouloir. Ce n’est pas le « sarkozisme » qui crée le « mal des banlieues » , engendre des risques réels d’une sorte « d’intifada des banlieues », nous rapproche d’une « guérilla urbaine » de grande ampleur aux conséquences imprévisibles... Ce ne sont pas les « mots » ni le « ton » de Sarko qui sont la cause des maux actuels.
On ne combat pas la démagogie par une autre démagogie. Comme l’avait montré Bayrou à Strasbourg, il est des giffles qui se méritent. Comme le proclament les « républicains » qui se veulent « bons », à gauche et à droite, il faut éliminer les « zones de non-droit ». Et contrairement à ce que prétendent nombre de gens (« experts », « universitaires », « chercheurs », « journalistes »...) qui ne mettent jamais (ou très peu) les pieds dans les « zones » incriminées, et ne suivent que de loin des activités des associations et les animateurs qui font un vrai travail « de terrain », il ne faut surtout pas simplifier ce problème complexe. Le simplisme, voilà l’ennemi...
Il faut une approche globale de ces défis qui dépassent très nettement les clivages gauche-droite, les frontières prévention-répression, les « expertises » de « spécialistes » qui refusent de confronter leurs « conclusions » à celles d’autres « spécialistes ». Il faut surtout une politique globale et cohérente : pourquoi annoncer, avec beaux effets de manche, de séduisantes mesures générales, quand, sur le terrain, concrètement, les associations, les acteurs socio-culturels, les éducateurs spécialisés sont privés de moyens ?
Avec mon ami Driss Ajbali qui a des expériences de terrain que je n’ai pas, j’ai publié un livre qui, en majeure partie, traitait de ces problèmes qui sont de vrais défis : « Ben Laden n’est pas dans l’ascenseur »... Une idée force (parmi d’autres) : le degré de civilisation d’une société se jauge par l’intérêt porté à tous les floués et les exclus du « progrès »... Nos « banlieues chaudes » , comme le disent les journaux, sont d’abord des miroirs. Miroirs de nos incohérences, de nos contradictions, de nos imprévoyances et de notre manque de lucidité.
Les gouvernement successifs, depuis plus de trente ans, ont laissé se former des banlieues-ghettos : la France compte 750 zones urbaines "sensibles", où les jeunes Français souvent d’origine immigrée sont exclus du marché de l’emploi, et perçoivent tout ce qui est extérieur à la "cité" -police, pompiers, services de l’État- comme des "ennemis. Vivre dans ces « zones », c’est être condamné à un « tatouage social » selon l’expression de Catherine Trautmann, à une « non-vie », à des horizons de désespérance... « Combien de Mozart assassinés ? » La question angoissée de Camus sur Alger est pleinement d’actualité chez nous, aujourd’hui. Et il n’y a pas que des « Mozart »... Seul le sport, aujourd’hui, fait rêver. Mais « le syndrome Zidane » est l’arbre de la réussite qui ne cache pas des forêts de misère.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés plus que jamais aux risques « d’Intifada des banlieues ». Des risques qui ne seront pas limités uniquement par la CRS... Sarko-Zorro et Borloo : même combat ! Il nous faut jouer sur toutes les touches du « piano sociétal » et tenir les promesses non tenues. Qui, voilà des années, réclamait un « Plan Marshall pour les banlieues » ? L’idée était bonne... à condition de se souvenir de ce qu’était, en investissements, ce « plan ».
« On » a préféré l’assistance aux investissements, la charité à la justice, les traitements placébo aux traitements de fond.« On » a persisté, à gauche comme à droite, à « penser » les problèmes des « banlieues » en termes de « couleur de peau », de « communautarismes », « d’immigrés », plutôt qu’en termes de « problèmes de classe », d’affaires économiques, sociales, éducatives, culturelles.
L’urbanisme qui ne favorise pas l’urbanité n’a rien d’urbain. Surtout dans un pays centralisé comme la France, où l’on ne fait pas confiance aux « pouvoirs locaux », aux acteurs locaux, aux personnes. Et on oublie trop que tous les problèmes d’identité sont surtout des questions d’altérité.
Pourquoi le mot « intégration » , en français de France, est-il le même pour qualifier les problèmes liés aux flux migratoires et les questions reliées à l’Union européenne ? Il faut sans doute, comme le redirait Pierre Legendre, « questionner la question »... Allô Sarko-Zorro ? Vous avez une réponse ? ...