Srebrenica, plus de dix ans de honte, déjà...

par Alain Hertoghe
jeudi 2 mars 2006

Le massacre de Srebrenica, en juillet 1995, restera gravé comme une souffrance honteuse pour toute une génération d’Européens à laquelle j’appartiens. Plus de dix ans déjà et, à l’heure où la Bosnie poursuit la Serbie pour génocide devant la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ), les chefs des assassins courent toujours...

L’Union européenne (UE) vient de donner jusqu’à la fin mars à la Serbie pour livrer à la justice internationale Ratko Mladic, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, et leur président de l’époque, Radovan Karadzic. Sinon ? Interruption des négociations sur une future adhésion à l’UE. Terrifiante menace ! Plus de dix ans déjà que Mladic et Karadzic ont été inculpés de "crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide" par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Et ils courent toujours.

Je n’oublierai jamais ces jours de juillet 1995. J’étais en vacances, dans une station balnéaire de l’Atlantique. En famille. Mon fils jouait avec ses petits cousins sur la plage, sur la pelouse de la villa. Pendant ces temps de détente et de bonheur pour les miens, à moins de 24 heures en voiture, les tueurs serbes du général Mladic séparaient quelque huit mille hommes et adolescents musulmans de leurs familles pour les exécuter sommairement. Au vu et au su de l’Europe entière...

Car nous ne pourrons jamais dire que nous ne savions pas. Nous savions ! Nous avons été témoins de la macabre chronologie presque en direct, par CNN interposé : l’avancée des tueurs serbes vers Srebrenica, les avions de l’Otan qui frappent des chars serbes, les avions de l’Otan qui retournent à leur base, les deux cents soldats de l’ONU barricadés dans leur base à Srebrenica, les habitants qui les supplient de les protéger, les tueurs qui paradent dans Srebrenica, les soldats de l’ONU qui laissent faire, le général Mladic et son sourire d’assassin satisfait, les enfants, les femmes et les vieillards évacués, les mâles en âge de se battre emmenés par les tueurs...

Les soldats de l’ONU à Srebrenica étaient néerlandais ; le commandant des casques bleus en Bosnie était français. Les premiers n’ont pas tiré un coup de feu, le second n’a pas autorisé les frappes aériennes sur les tueurs.

Les meilleures armées du monde - américaine, britannique, française... - auraient pu empêcher le massacre de 1995. Les meilleures armées du monde et leurs services secrets auraient pu, depuis plus de dix ans déjà, capturer Mladic et Karadzic, morts ou vifs.

Epuration ethnique ? Intention génocidaire ? Qu’importe finalement. Cinquante ans après la libération des camps de concentration et d’extermination de l’Allemagne nazie, cinquante ans après le plus solennel des Plus jamais ça !, cinquante ans après l’exécution pour actes de résistance de mon grand-père, Jean, par les SS flamands d’Anvers... l’Europe, mon Europe, celle que mon père et moi-même étions supposés construire pour mon fils de six ans, avait laissé faire ça . Et je me souviens, comme si c’était hier, de mon humiliation : que dirons-nous à nos enfants quand ils seront grands ?

Aujourd’hui, mon fils a seize ans. Mladic et Karadzic, ces minables héritiers des nazis, courent toujours. Les parents des suppliciés de Srebrenica attendent que justice soit faite. Alors, que dire à nos enfants, que dire à Alexandre ? Sinon que nous avons honte, immensément honte. De ce qui aurait dû être fait en notre nom et n’a pas été fait en notre nom. Pour sauver les habitants de Srebrenica d’abord, traduire en justice leurs bourreaux ensuite.

Plus de dix ans déjà. Et ils courent toujours...


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