Suggérer à l’islam de faire son aggiornamento n’a rien d’insultant
par Patrick Adam
jeudi 9 février 2006
L’islam va mal (etc.)
Ma mère est atteinte de polyarthrite. C’est une malade particulièrement douloureuse. A ceux qui me demandent comment elle va, je réponds généralement qu’elle va mal et qu’elle souffre beaucoup.
Est-ce une insulte à son égard ? Un manque de respect ? Une marque de suffisance ?
Généralement, ceux à qui je m’adresse ne me rétorquent pas de la laisser tranquille, ni d’aller consulter illico un médecin pour savoir de quoi je pourrais bien souffrir moi-même. La plupart du temps, que ce soit par simple politesse ou par réelle compassion, mes interlocuteurs cherchent à en savoir un peu plus sur la nature exacte de son mal, sur les gênes qu’il lui cause, et ils manquent rarement de m’interroger pour savoir si les traitements qui lui sont administrés sont efficaces ou s’il existe un dérivatif capable de la soulager...
Bien sûr, je ne suis pas médecin, et je ne peux qu’effleurer la nature exacte de sa maladie en témoignant à ma façon de ses souffrances, mais je ne me sens en aucune façon obligé d’aller m’inscrire à la fac de médecine ou d’apprendre par cœur le Vidal pour pouvoir en parler.
Quoi qu’il en soit, une chose demeure : je vois ma mère souffrir et je n’aime pas ça.
Quel constat hallucinant (et affligeant) de voir tous les thuriféraires des bons sentiments se jeter comme une meute sur ma modeste contribution à un débat d’idées qu’il n’est que temps d’ouvrir, si nous ne voulons pas être rattrapés par les coupeurs-de-tête-qui-dépassent, qu’ils portent turban, calotte, kippa, turban hindou, ou de simples rouflaquettes (pour ceux qui s’imagineraient que nous devons, le samedi soir, nous mettre tous derechef à danser le tango qui, soit dit en passant, est une danse sublime).
Ainsi, avancer que l’islam va mal aujourd’hui déclenche aussi sec une salve nourrie de contre-déclarations plus ou moins bien étayées sur les multiples maux dont souffre l’Occident. Mais quand le communisme allait mal, et même très mal (ce qui n’a pas tardé dans l’histoire somme toute assez brève de cette idéologie concentrationnaire), ceux qui prétendaient le servir insistaient eux aussi sur les tares d’un Occident dépravé et aliénant pour les pauvres prolétaires de tous les pays qui devaient s’unir pour conserver leur dignité... On sait ce qu’il en est advenu...
Loin de moi l’idée absurde de prétendre que l’Occident va bien sous toutes ses coutures, et que toutes les solutions qu’il a mises en œuvre dans sa contribution à l’histoire de l’humanité ne peuvent lui valoir que des louanges béates. Il faudrait être cruellement sot pour ne pas mesurer l’étendue des failles, des fêlures et des précipices qui se sont trop souvent élargis sous ses pas.
N’ayons pas peur cependant de tirer un bilan sans fausse honte. C’est un sentiment peu ragoûtant qui se manifeste facilement, en ces temps de repentance frénétique.
L’Occident a certainement mal à son devenir, à ses repères futurs qu’il ne sait plus transmettre à ses enfants, à ses dérives de consommation maladive, à ses mécanismes d’oppression financière mal régulés, à ses veaux d’or que sont l’argent et le sexe quand ils deviennent obscènes, tandis que l’islam a mal à un passé dont il ne peut ni ne veut se défaire et qu’il mythifie jusqu’à l’outrance, en prétendant que sa doctrine est seule capable d’apporter de justes solutions aux misères de l’humanité, parce que dûment estampillées de l’au-delà, alors que si tel avait été le cas, eh bien, ça se saurait sans doute depuis pas mal de temps...
S’il est incontestable que l’Occident ne se porte pas très bien aujourd’hui (mais peut-être mieux qu’hier après tout), il ne souffre pas des mêmes maux que le monde musulman, qui n’en finit pas de s’enfoncer dans des crises identitaires manipulées par les mouvements en perpétuelle concurrence idéologique que sont les Frères musulmans, les divers partis de la Justice et du Développement qui poussent un peu partout ou autres salafistes (terme qui, soit dit en passant, signifie « les prédécesseurs... » - je laisse juge de l’impact d’un tel vocable sur la jeunesse coincée à longueur de journée le long des murs de la kasba d’Alger... s’ils n’ont que des « prédécesseurs » à se mettre sous la dent). Son pouvoir d’attraction reste bien supérieur à celui de l’Orient. Il n’y a qu’à mesurer les flux migratoires qui s’écoulent quotidiennement de part et d’autre de la Méditerranée pour en juger sans parti pris.
L’oppression n’est pas une invention de l’Occident. Toutes les civilisations qui se bousculent sur la planète s’en sont rendues coupables, et ne se privent de l’exercer dès que l’absence de contre-pouvoir se fait sentir quelque part. L’islam, peu enclin à instaurer le moindre contre-pouvoir, a été et reste parfois colonisateur (au Darfour, au Timor pour les plus récentes manifestations qu’on puisse lui impliquer directement), comme l’ont été en vrac : les Assyriens, les Hittites, les Chinois, les Mongols, les Sassanides, les Japonais, les Tartares, les Coréens, les Thaïs, les Romains, les Teutons, les Saxons, les Arabes, les Francs, les Vikings, les Européens sous toutes latitudes, les Russes, les Américains, les Turcs, les Slovaques, les Bambara, les Madingues, les Soninké, les Incas, les Mayas, les Toltèques, les Aztèques, les Fatimides, les Almoravides, les Almohades, les Beni Hammad, les Hachichins, les Ibn Séoud (et j’en oublie bien sûr, la liste ne sera jamais exhaustive). L’islamisation d’une grande partie du monde ne s’est pas faite avec des bouquets de jasmin à l’oreille et des loukoums sur un plateau.
Suggérer à l’islam de faire son aggiornamento n’a rien d’insultant, bien au contraire. C’est une marque d’estime et d’intérêt, non pas tant pour une doctrine, qui n’est pas et ne sera sans doute jamais ma tasse de thé - j’ai d’autres chats à fouetter - que pour la communauté d’individus de bonne foi et de bonne compagnie, qui ne cherchent qu’à s’en servir de tuteur pour s’élever moralement, et qui, comme tant d’autres, attendent de la vie qu’elle leur permette de vivre en paix avec leurs proches et avec leurs voisins.