Des ’bienfaits’ de Mitterrand aux vertus du passé

par Bernard Lallement
mardi 3 janvier 2006

Par les temps qui courent, discerner l’avenir devient une mission quasi impossible. Jacques Chirac, pour ses vœux, a eu beau enfourcher une nouvelle paire de lunettes, l’horizon qu’il nous invite à partager se résume au patriotisme, aux valeurs de la république (prononcé pas moins de neuf fois) et à « croire en la France ». Après onze ans de règne, on hésite entre l’incantation, et le constat d’impuissance et d’échec.

Aussi, dans un tel contexte, rien d’étonnant à voir ressurgir les valeurs d’antan comme palladium de l’avenir.

À quelques jours de la commémoration du dixième anniversaire de sa mort, François Mitterrand serait le meilleur président de la Ve République, selon un sondage CSA pour Libération.

Malgré ses secrets, ses affaires et ses amitiés troubles, pour 35 % des personnes interrogées, il reste le préféré des Français, devançant Charles de Gaulle, avec 30 %, et l’actuel locataire de l’Élysée, qui ne recueille que 12 % des sympathies, dont seulement 19 % à droite.

60 % des sympathisants de gauche approuvent cette mitterrandolâtrie, ce qui ne manquera pas de susciter quelques vapeurs du côté des éléphants de la rue de Solférino où soufflait, jusqu’à ces derniers temps, le vent du droit d’inventaire.

Pour l’intégration des jeunes, la démocratie et la lutte contre le chômage, l’ancien président socialiste reste le plus efficace, alors que Chirac l’est pour la sécurité, l’économie, la place de la France dans le monde et, bien plus inattendu, la construction européenne. En effet, pour les sondés, le non au référendum était, manifestement, un gage plus important d’unité de l’Europe que l’acceptation du traité de Maastricht.


Une histoire chancelante

Il est vrai, qu’en ce moment, la mémoire et notre histoire semblent subir les turbulences de la maladie d’Alzheimer.

Ainsi, pour clôturer l’année 2005, Arno Klarsfeld a donné une interview à Libération et est revenu sur son rôle face à « la loi, l’Histoire et le devoir de mémoire ».

Après avoir rappelé, avec toute la modestie qui le caractérise, les propos de l’historien Henri Rousso : « Je suis l’avocat de la vérité », il répond à une question de Libé :

« Quels sont les « bienfaits » de la colonisation ?

Arno Klarsfeld : La France a construit des routes, des dispensaires, apporté la culture, l’administration… Je ne suis pas un spécialiste du sujet, mais le nier serait de l’aveuglement historique. »

Que dirait notre ancien soldat israélien, si de jeunes Allemands appliquaient ses évidences au IIIe Reich  ? Après tout, nous devons au National-socialisme les premières autoroutes, Heidegger et Carl Schmitt sont venus jusqu’à nous et continuent d’influencer nos idées, le régime nazi entretint une telle pépinière de savants qu’après la guerre ceux-ci émigrèrent aux USA ou en URSS, et nous bénéficions encore de leurs découvertes. Le nier ne serait-il pas de « l’aveuglement historique », et au nom de quelle obscure doctrine la lecture de l’histoire devrait-elle être incommensurable selon la rive du Rhin de laquelle on l’observe ?

Quel étrange paradoxe que de voir le révisionnisme, condamné par ailleurs, s’instiller au travers d’une mission officielle !

L’incertitude du devenir conduit toujours les gouvernants à ressusciter le passé à l’aune de leurs illusions, et gageons que, demain, Jacques Chirac deviendra une valeur refuge, bien au-delà des 1 % de ses concitoyens qui ne souhaitent pas, aujourd’hui, le voir se représenter.

De même, il se trouvera bien un ministre pour missionner une personnalité inculte en histoire, afin de penser les « méfaits » de la colonisation, en considérant comme nuls et non avenus tous les travaux antérieurs sur la question.

Décidément, notre mémoire est bien sélective et… chancelante.

Photo : Reuters - Dessin : Le Monde


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