Staline, l’Holodomor et l’Ukraine : une terreur orchestrée
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 10 mai 2025
Hiver 1932, Ukraine. Le vent glacial charrie des relents de terre gelée et de cendres. Dans les villages, les cheminées ne fument plus. Les estomacs grondent, les regards s’éteignent. Une faim monstrueuse, sculptée par la main diabolique de Staline, dévore la chair et l’âme d’un peuple. L’Holodomor, cette famine orchestrée, tue par millions. Dans l’ombre, des actes inimaginables émergent : le cannibalisme, murmuré dans les archives, gravé dans les mémoires.
Une famine programmée : les rouages de la terreur
Les champs ukrainiens, autrefois mers dorées de blé, se taisent sous un ciel de plomb. Dès 1931, le régime soviétique, sous la férule de Staline, impose des réquisitions agricoles d’une brutalité inouïe. Les kolkhozes, ces fermes collectives, deviennent des pièges mortels : les paysans, dépouillés de leurs récoltes, n’ont plus rien pour survivre. Les quotas fixés par Moscou, intenables, visent à briser l’Ukraine, perçue comme un foyer de résistance nationaliste. Les archives du NKVD, la police secrète, révèlent des ordres implacables : "Tout grain non livré sera considéré comme vol d’État".
Cette politique s’accompagne d’une répression féroce. Les brigades de réquisition, armées jusqu’aux dents, fouillent greniers, caves, et même les vêtements des enfants. Une paysanne de Kharkiv, Maria Ivanivna, écrit dans une lettre déchirante à son frère, interceptée par les autorités : "Ils ont pris jusqu’aux graines que j’avais cachées dans mon tablier. Mes petits pleurent, mais je n’ai plus de larmes". Les villages sont bouclés, les routes surveillées pour empêcher toute fuite. Les paysans, qualifiés de "koulaks" ou d’"ennemis du peuple", sont déportés par milliers, laissant derrière eux des hameaux fantômes.
La famine n’est pas un accident. Elle est une arme. Les rapports internes du Parti, découverts des décennies plus tard, montrent que Staline était informé des morts massives dès l’automne 1932. Pourtant, les exportations de céréales vers l’étranger se poursuivent, alimentant les caisses du régime. À Kiev, un fonctionnaire anonyme note dans son journal : "On vend le blé de l’Ukraine pendant que ses enfants se tordent de faim. Dieu nous jugera". Ce cynisme bureaucratique, mêlé d’indifférence, transforme une crise en génocide.
Vivre ou survivre
L’hiver 1932-1933 marque l’apogée de l’horreur. Les corps s’entassent dans les fosses communes, souvent sans sépulture. Les survivants décrivent des scènes dantesques : des chiens errants disputant des charognes, des mères cachant leurs enfants morts pour conserver leurs rations. Dans le village de Poltava, une vieille femme, Olena, raconte dans un témoignage oral recueilli en 1934 : "On mangeait des écorces, des feuilles, de la terre. Certains creusaient pour trouver des vers. On n’était plus des hommes".
La faim, insatiable, brise les tabous. Des cas de cannibalisme, d’abord isolés, se multiplient. Les archives judiciaires soviétiques, bien que lacunaires, consignent des procès expéditifs. À Dnipro, un rapport du NKVD daté de mars 1933 mentionne une femme arrêtée pour avoir dépecé son propre frère : "Elle a déclaré qu’elle n’avait plus rien à manger depuis deux mois et que la faim l’avait rendue folle". Ces actes, bien que rares, hantent les récits des survivants. Une légende populaire, non vérifiée, évoque des "marchés de chair" où des désespérés échangeaient des morceaux humains contre un quignon de pain.
Ces récits, souvent tus par honte, émergent dans les témoignages tardifs. Un survivant, Petro, confie en 1989 : "J’ai vu un homme, un voisin, couper la jambe de sa femme morte. Il pleurait en le faisant. On ne juge pas, quand on a vu ça". La famine dépouille l’humanité de ses oripeaux, révélant une lutte primitive pour la survie. Pourtant, même dans ce chaos, des gestes de solidarité persistent : des familles partagent leurs dernières miettes, des prêtres clandestins bénissent les mourants.
Le silence du monde : une tragédie ignorée
Pendant que l’Ukraine agonise, le monde détourne les yeux. Les autorités soviétiques orchestrent une campagne de désinformation, interdisant aux journalistes étrangers l’accès aux zones touchées. À Moscou, des banquets officiels célèbrent les "succès" de la collectivisation. Quelques reporters, comme le Britannique Gareth Jones, bravent les interdits et défient le tyran Joseph Staline. Dans un article publié en 1933, Jones décrit "des villages où l’on ne voit plus que des ombres, où les gens rampent pour chercher des racines". Ses écrits, hélas, sont éclipsés par des contre-récits soviétiques relayés par des journaux complaisants.
À l’intérieur de l’URSS, la censure musèle les voix. Les lettres dénonçant la famine sont interceptées, leurs auteurs arrêtés. Un employé des postes à Odessa confie dans une note secrète : "Chaque jour, je brûle des sacs de courrier. Ce sont des cris que personne n’entendra". Les rares témoignages qui percent le rideau de fer, comme ceux des émigrés ukrainiens au Canada, sont taxés de propagande antisoviétique.
L’indifférence internationale aggrave la tragédie. Les grandes puissances, préoccupées par la crise économique mondiale, ferment les yeux sur les rapports alarmants. Un diplomate français, anonyme, note dans une dépêche de 1933 : "Les Russes nous assurent que tout va bien. Nous n’avons pas les moyens de vérifier". Ce silence complice prolonge l’agonie ukrainienne, jusqu’à ce que la famine, ayant accompli son œuvre destructrice, s’éteigne d’elle-même en 1934.
L’Holodomor aujourd’hui
L’Holodomor laisse des cicatrices indélébiles. Entre 4 et 7 millions de morts, selon les estimations, déciment l’Ukraine. Les villages, vidés, ne se relèveront jamais complètement. Les survivants, marqués par la honte et la peur, taisent longtemps leurs souvenirs. Ce n’est qu’à la chute de l’URSS, dans les années 1990, que les archives s’ouvrent et que les récits émergent. Un monument à Kiev, érigé en 2008, rend hommage aux victimes, mais les débats sur le terme "génocide" divisent encore historiens et politiques. En France, l'Holodomor est un génocide depuis 2023.
Les cas de cannibalisme, bien que marginaux, continuent de fasciner et d’horrifier. Ils incarnent l’extrême de la déshumanisation imposée par la famine. Une survivante, Hanna, confie en 2003 : "On ne parle pas de ces choses. Mais il faut dire la vérité : la faim nous a fait faire l’impensable". Ces récits, souvent fragmentaires, rappellent que l’Holodomor n’est pas qu’une statistique, mais une somme de drames individuels.
Aujourd’hui, l’Ukraine commémore chaque année l’Holodomor, le quatrième samedi de novembre. Des bougies s’allument aux fenêtres, des prières s’élèvent. Mais la mémoire reste disputée. En Russie, certains minimisent encore la responsabilité de Staline, tandis que les Ukrainiens y voient un acte délibéré d’anéantissement. L’Holodomor demeure un cri dans l’histoire, un avertissement sur les abîmes où peut sombrer l’humanité.