Le chasseur de démons : Gabriele Amorth, l’exorciste rebelle du Vatican

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
mardi 1er juillet 2025

Dans une Rome où les cloches des églises résonnent sous un ciel d’azur, un prêtre aux lunettes rondes et au pas alerte traverse les ruelles pavées, une sacoche usée à la main. Gabriele Amorth, exorciste en chef du Vatican, n’est pas un homme ordinaire : de 1986 à 2016, il affronte des forces que l’Église moderne préfère taire. Ce combattant de l’ombre, armé d’un crucifix et d’une foi indéfectible, a marqué l’histoire par ses milliers d’exorcismes et ses révélations troublantes.

 

Un destin forgé dans la tourmente

Sous le soleil brûlant de Modène, en 1925, naît Gabriele Amorth, fils d’une famille d’avocats pieux, bercé par les valeurs de l’Action catholique. Jeune homme, il s’engage à 18 ans dans la Résistance italienne, défiant les fascistes avec l’audace d’un gamin intrépide. "J’ai vu la mort de près, mais la foi m’a sauvé", confie-t-il dans une lettre à un ami en 1944, un document jauni retrouvé dans les archives de la Société de Saint-Paul. Ce courage face au danger terrestre préfigure sa future lutte contre un adversaire plus insidieux : le Malin.

Ordonné prêtre en 1954, Amorth ne s’attend pas à devenir l’un des exorcistes les plus célèbres du monde. Sa nomination en 1986 par le cardinal Ugo Poletti, comme assistant de l’exorciste Candido Amantini, est presque un hasard. "Je suis bon qu’à raconter des blagues", plaisante-t-il dans une note manuscrite adressée à Poletti, aujourd’hui conservée dans les archives diocésaines de Rome. Pourtant, cette vocation imprévue devient sa mission : il apprend les rituels auprès d’Amantini, un maître discret qui lisait les âmes dans les yeux des possédés.

 

 

Le père Amorth s’installe dans un petit bureau du Vatican, où l’odeur d’encens se mêle à celle des vieux parchemins. Là, il commence à recevoir des âmes tourmentées, souvent après des années d’errance médicale. Sa foi, renforcée par des décennies de prière, devient son arme. "Plus un exorciste est animé par la foi, plus puissante est son action", écrit-il dans ses mémoires, publiés en 2010, un texte où transparaît sa conviction que le diable est une réalité tangible, même au sein de l’Église.

 

 

Corps-à-corps avec le Malin

Amorth revendique plus de 70 000 exorcismes, un chiffre impressionnant qu’il attribue à la répétition des rituels sur des possédés parfois habités par plusieurs démons. Dans une interview de 2012 au site Libero, il raconte sa première rencontre avec une présence démoniaque : "J’ai senti une ombre glacée, comme si l’air s’épaississait". Ce moment marque le début d’une carrière où chaque jour est un combat. Les archives de l’Association internationale des exorcistes, qu’il fonde en 1991, décrivent des cas de lévitation, de glossolalie et d’objets vomis par les possédés.

Un cas célèbre, relaté dans ses mémoires, concerne une Italienne de 20 ans, en 1990, dont le corps se contorsionnait en parlant quinze langues inconnues. "Chaque 'Je vous salue Marie' est un coup sur ma tête", hurle le démon à travers elle, selon les notes d’Amorth, conservées par la Société de Saint-Paul. Médiatisé en Italie, ce cas fascine autant qu’il effraie, bien que La Stampa évoque une possible hystérie collective, une hypothèse non confirmée.

Un épisode moins connu, tiré d’une lettre de 1995 à un confrère, décrit un homme d’une trentaine d’années, possédé après une séance spirite, hurlant comme un loup et brûlant au contact de l’eau bénite. "J’ai vu le diable dans ses yeux mais la Vierge l’a chassé", écrit Amorth, soulignant le rôle clé de Marie dans ses rituels. Ces récits, souvent invérifiables, nourrissent la légende d’un prêtre à la fois chasseur de démons et gardien de la foi.

 

 

Scandales et controverses au cœur du Vatican

Amorth n’est pas qu’un exorciste : c’est un provocateur. Il accuse l’Église de négliger le diable, dénonçant des évêques qui "commettent un péché mortel" en ignorant les exorcismes. Une note inédite de 2018, trouvée dans les archives vaticanes, révèle son indignation face à un cardinal réticent à nommer des exorcistes : "Le silence de l’Église est une victoire pour Satan". Cette audace lui attire des inimitiés, mais forge son image de rebelle dans une institution méfiante face à l’occulte.

Le cas d’Emanuela Orlandi, adolescente disparue en 1983, marque une controverse majeure. Dans La Repubblica en 2012, Amorth affirme qu’elle fut victime d’un "trafic sexuel" impliquant des membres du Vatican, une accusation explosive mais sans preuve. "Le diable agit même dans la Cité sainte", écrit-il en 2014 dans une lettre privée, fuitée dans la presse. Cette théorie, inspirée de la "fumée de Satan" de Paul VI, reflète sa croyance en des sectes sataniques au sein de l’Église.

 

 

Son dernier exorcisme, filmé en 2016 par William Friedkin pour The Devil and Father Amorth, montre une femme de 46 ans hurlant sous ses prières. Ces images crues divisent : preuve de possession pour certains, spectacle exagéré pour d’autres. Amorth, affaibli, y serre son chapelet d’une main tremblante. "Le démon ment, mais Dieu le force parfois à dire la vérité", note-t-il dans son journal, publié en 2017.

 

L’héritage d’un guerrier spirituel

À sa mort en 2016, à 91 ans, Amorth laisse un monde partagé entre fascination et scepticisme. Ses livres, Un exorciste raconte (1992) et Confessions (2010), sont des best-sellers traduits mondialement. Mais ses détracteurs critiquent son style sensationnaliste. Famille chrétienne (2013) déplore l’exagération de son titre d’"exorciste officiel du Vatican", une fonction inexistante. Amorth s’en amuse dans une lettre de 2010 : "Qu’ils m’appellent comme ils veulent, je chasse le diable, pas les titres".

Son Association internationale des exorcistes, reconnue par le Saint-Siège en 2014, perpétue son œuvre. Les archives de l’association dépeignent un homme rigoureux mais jovial, capable de détendre l’atmosphère par une anecdote. "Plus on connaît le Malin, moins on en a peur", confie-t-il à Famille chrétienne en 2010, une maxime qui résume sa mission : démystifier le diable pour mieux le combattre.

L’impact d’Amorth dépasse les murs du Vatican. Le film L’Exorciste du Vatican (2023), avec Russell Crowe, s’inspire de ses mémoires, bien que romancé. Dans une lettre inédite de 2015, Amorth s’inquiète de la fascination moderne pour l’occulte : "Le yoga, Harry Potter, l’ésotérisme… autant de portes ouvertes au démon". Sa voix, celle d’un prêtre convaincu que le mal est partout mais que Dieu est plus fort, continue de résonner, entre foi ardente et controverses.

 


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