Josiane Balasko, angélique marquise des sans-papiers
par Patrick Adam
mercredi 6 septembre 2006
Hier soir, l’apparition sur laFrance 2 de Josiane Balasko en égérie des sans-papiers de Cachan, appelant le bon peuple à manifester pour exiger leur « libération », a sans doute eu du mal à passer dans pas mal de chaumières. On se serait cru dans un tableau de Delacroix. Il ne manquait que la poitrine découverte pour monter au combat, en agitant une bannière déchirée par les balles de ceux qui cherchent à défendre leurs privilèges. Les bons sentiments, oui. Mais à quel prix ? Faudra-t-il que la cohésion nationale soit en lambeaux, avant qu’on accepte de se mettre autour d’une table pour discuter à froid d’un problème qui est encore largement devant nous, et non se contenter de hurler avec les loups vert-de-gris en manipulant des arguments qui n’ont pas évolué d’un iota depuis le début des années 1790, alors que le monde a radicalement changé autour de nous ?
Hier, l’artiste est venue faire l’éloge du travail au noir, jugé « indispensable » pour faire tourner notre économie de misère. Les Français n’acceptant plus de faire les « sales » ou « petits » boulots, il serait donc utile et nécessaire de disposer d’un réservoir de main-d’oeuvre apte à les assumer. C’est la version « chair à canon » de nos militaires bien intentionnés de la fin du XIXe siècle, qui prévoyaient déjà les tristes moments que nous allions devoir passer devant les Allemands. Version « économie nouvelle » ou « économie équitable », ça donne : chair à serpillières, truelles et torchons.
Essayons de réfléchir : quels secteurs ces clandestins peuvent- ils être employés de façon plus ou moins « régulière » pour pouvoir payer chaque mois un loyer et les différentes factures qui vont avec, sans être obligés d’avoir recours en permanence aux aides sociales et sans se sentir obligés de faire une ribambelle de gamins qui vont taper sur un ballon entre deux voitures en stationnement en se prenant pour Zidane, avant d’apprendre à « se débrouiller » dans une autre réalité ?
Les ateliers de couture ? Chasse gardée des Chinois, des Indiens, et des Turcs. Les Africains n’y touchent que rarement, sauf pour les boubous, des caftans familiaux et quelques productions aussi typiques que marginales. La restauration ? Il est fini et bien fini, le temps béni du plongeur planqué derrière des piles de casseroles, au fond d’une cuisine aux murs couverts de crasse. Les restaurateurs sont de plus en plus contrôlés. La sécurité ? Difficile de nous faire croire qu’une société accepte de confier la garde de ses locaux à une personne hors la loi, surtout avec un chien. L’agriculture ? Le travail n’intéresse plus que des saisonniers. Même un vendangeur n’accepte plus de devoir attendre deux ou trois jours sans salaire pour passer d’une vigne à une autre, quand le raisin n’est pas encore mûr. Alors, le bâtiment ? Eternel pourvoyeur de main-d’oeuvre à tout faire. Sauf que le bâtiment aujourd’hui, en dehors des petits boulots de rénovation, est devenu un secteur spécialisé qui ne peut donner du travail qu’à des ouvriers ayant une expérience reconnue, même pour décharger et stocker un camion de matériaux sur un chantier. Et pas question de mettre un clandestin avec une camionnette dans les rues de Paris. D’autant que dans le secteur de la rénovation, depuis des années, c’est la foire d’empoigne. N’importe qui acceptant n’importe quoi, à n’importe quel prix, ce qui met sur la paille pas mal de petites entreprises qui, jusque-là, avaient été des plus performantes. Alors pour rester compétitives, ces entreprises s’adressent désormais à la main-d’oeuvre polonaise ou d’autres pays de l’Europe de l’Est, jugée particulièrement efficace, ce qui met sur la paille nombre de bricoleurs. On n’en sort plus. Restent l’entretien et la manutention dans de petits locaux de banlieue, en se faisant passer pour un membre de la famille ? On en revient alors toujours au même point. Bizarre que personne ne songe à dénoncer cette forme d’exploitation de l’homme par l’homme, et du cousin par le cousin.
Que propose Josiane Balasko ? Je lui suggère d’aller voir ailleurs comment les choses se passent. Que Jamel Debouzze lui fasse faire un tour au Maroc, loin de la Mamounia et des cinq étoiles de Ouarzazate. 40 à 60 % de l’économie (la fourchette est large) y est définie comme « souterraine » par les économistes, c’est-à-dire qu’elle ne rapporte quasiment rien dans les caisses de l’Etat. Trafics, travail au noir, contrebande, contrefaçons, vendeurs à la sauvette, vendeurs de cigarette à l’unité et cireurs de chaussures. L’Algérie doit connaître, à peu de choses près, le même pourcentage, si ce n’est plus. De cette activité, la collectivité ne retire rien. Rien pour l’éducation, rien pour la santé, rien pour les investissements collectifs. Résultat, le fisc marocain chasse impitoyablement ceux qui ont le tort de travailler officiellement. Pudiquement, les responsables marocains nomment cette économie parallèle le « secteur informel », et dans la classe politique on commence même à entendre des responsables politiques déclarer sans rire qu’il faut « officialiser l’informel ». On se demande bien comment... Autant officialiser le piratage et la piraterie, les « petites bonnes » réduites en esclavage, le travail des enfants, les « marchés aux voleurs » qui fonctionnent à plein régime, à l’instar de celui qui déborde sur les trottoirs de Barbès. Officialisons... Officialisons... Donnons une prime de management à ceux qui trichent, à ceux qui vivent dans cet « informel » mirifique. Et réclamons au passage toujours plus d’éducation, de justice sociale et d’équipements collectifs... En ces temps de rentrée, je me demande comment un professeur peut arriver à expliquer à ses élèves le fonctionnement démocratique d’une société, avec de tels exemples qui passent en boucle à la télé pour faire l’éloge de l’illégalité, sans oublier qu’avec le rap, les nouveaux « apprenants » ont déjà leur dose.
D’après ce qu’on nous dit : à Cachan, il y a deux groupes de population, les sans-papiers et ceux qui en possèdent. A ceux-ci, on vient de s’apercevoir subitement qu’il est venu s’ajouter un troisième groupe : ceux qui se sont glissés en douce dans le tas pour profiter de ce qui sera peut-être, demain, une aubaine. Alors soyons clairs. Les « régularisés » doivent-ils être prioritaires sur les familles qui ont déposé depuis des années des demandes de logement sociaux ? Les sans-papiers doivent-ils bénéficier d’un passe-droit médiatique, une sorte de viatique miraculeux ? Et les resquilleurs, qui comptent tirer parti du brouhaha médiatique, toucheront-ils une commission au passage ?
Que propose Josiane Balasko ? Régulariser tous les trois ou quatre ans les hors la loi, ceux qui trichent avec un visa touristique, les faux sportifs, les faux artistes, les faux malades, les faux persécutés-dans-leur-pays, les familles mono ou polygames qui enseignent à leurs enfants comment on doit pleurer devant un journaliste, en fait tous ceux qui pensent qu’une loi n’est faite que pour être détournée. Et quel message compte-t-elle faire passer à ceux à qui la société a appris à vivre dans cette légalité, et qui l’acceptent sans rien dire, souvent avec des fins de mois difficiles et des retraites de misère, ceux qui se font chaque jour rattraper par des textes de loi pour payer leurs impôts, une contravention, une facture d’électricité en retard ?
De telles bouffées de colère médiatique sont contre-productives de justice et de cohésion sociale. Dans peu de temps, elles finiront par donner des hauts-le-coeur à des franges de plus en plus délaissées d’un peuple qui s’est toujours montré ouvert sur le monde extérieur, et que des nantis insultent chaque jour en le faisant passer pour raciste. Ce qu’il n’est pas, tant s’en faut. Nous ne tarderons pas à voir les conséquences politiques d’une telle agitation au moment des élections. Il ne restera alors à Josiane Balasko et à ses amis qu’à rameuter les « bonnes âmes » pour qu’elles descendent dans la rue, au lendemain d’un scrutin auquel « personne ne s’attendait »...
Patrick Adam