Le roi Arthur : au service des Plantagenêts

par Michel Lebarillec
vendredi 22 mars 2024

Extrait de mon livre Le roi et le graal.

Maintenant que l’on connaît la nature politique de l’Historia Regum Britanniae, il est intéressant de se pencher sur la façon dont l’auteur a procédé pour arriver à ses fins. Pour cela, nous avons mené une petite investigation historique à partir de certains faits marquants racontés par l’évêque britannique.

Ainsi, Geoffroy nous raconte que lors d’un repas censé réconcilier les Bretons et les Saxons, ces derniers au signal de leur chef se seraient jetés sur leurs invités et auraient égorgés trois cent nobles Bretons. En fait, cet événement qui eut réellement lieu le 15 Mars 493 est retracé dans l’ouvrage the declin and fall of the roman empire d’Edward Gibbon. Mais à un détail près cependant : il s’agissait du banquet de réconciliation ayant suivi le siège de Ravenne au cours duquel les Ostrogoths du roi Théodoric le Grand assassinèrent les Hérules du roi Odoacre.

A un autre moment du récit, nous apprenons dans quelles conditions Uther décide de prendre le nom de PenDragon. Lorsque le roi hérita du trône de Bretagne, à la mort de son frère Aurélius Ambrosius, Geoffroy nous explique qu’une comète en forme de dragon visible dans le ciel marqua donc le début de son règne. Dans Cométographie ou traité historique et théorique des comètes d’Alexandre Guy Pingré, paru en 1784, on retrouve la trace d’un événement identique qui eut lieu en Juin 451 : il s’agissait de la célèbre comète de Haley qui fit son apparition dans le ciel juste après la bataille des champs Catalauniques, où le roi Wisigoth Théodoric Ier trouva la mort et où son fils Thorismond lui succéda sur le champ.

Geoffroy raconte également qu’Arthur dut combattre Lucius Tiberius, un imaginaire procurateur romain qui exigeait le paiement d’un lourd tribut. Des armées venues de pays divers et variés, s’affrontèrent lors d’une gigantesque bataille en Gaule dont le récit occupe plusieurs dizaines de pages. Il est précisé qu’Arthur qui se dirigeait vers la ville d’Augustodunum décida de s’installer avec ses troupes près d’une rivière nommée Alba. Il est intéressant de constater qu’Augustodunum est très exactement l’un des noms que portait la ville d’Autun en Saône et Loire : on a donc pour une fois une localisation réelle et précise. D’autre part, Alba est l’un des noms latins de la riviere Aube. Dans ce cas, on peut constater de troublantes similitudes avec cette même bataille des champs Catalauniques qui eut lieu près de Troyes, donc proche de l’Aube. En effet, sous prétexte du non-paiement d’un tribut par les romains, Attila le roi des Huns, allié à certains peuples d’Europe envahit la Gaule et dut combattre une coalition formée notamment par les romains, les Francs, les Wisigoths et les Burgondes.

De même, après bien des péripéties, il est raconté que bien qu’ils se soient réfugiés dans une église, les deux fils de Mordred sont assassinés. C’est précisément ce qui est arrivé aux deux enfants du burgonde Godégisile (ou Godégésile) qui furent exécutés ainsi que leur père à la fin de l’an 500 dans l’église de Vienne par leur oncle Gondebaud : ce dernier, roi des Burgondes et allié des Wisigoths se vengeait ainsi de la trahison de son frère Godégisile qui avait rejoint les Francs de Clovis.

D’autre part, concernant la fameuse épée Caliburn ou Excalibur selon les auteurs, on peut signaler une forte ressemblance avec la légende de l’épée de Mars d’Attila, citée par l’historien Jordanès dans son Histoire des Goths :

Bien que naturellement sa confiance en lui-même fût grande et ne l'abandonnât jamais, elle s'était encore accrue par la découverte du glaive de Mars, ce glaive pour lequel les rois des Scythes avaient toujours eu de la vénération. Voici, au rapport de Priscus, comment se fit cette découverte. « Un pâtre, dit-il, voyant boiter une génisse de son troupeau, et ne pouvant imaginer ce qui l'avait ainsi blessée, se mit à suivre avec sollicitude la trace de son sang. Il vint jusqu'au glaive sur lequel la génisse en broutant avait mis le pied sans le voir, et l'ayant tiré de la terre, il l'apporta à Attila. Celui-ci, fier de ce don, pensa, car il était ambitieux, qu'il était appelé à être le maître du monde, et que le glaive de Mars lui mettait aux mains le sort des batailles. »

 

Il s’agissait donc de l’épée du dieu de la guerre, qui appartenait jadis au roi Scythe Marak. De ce fait, en 436 « le fléau de Dieu » en profita pour envahir la Pannonie, ce qui correspond en partie à la Hongrie actuelle. On comprend bien que le but d’une telle légende, façonnée du vivant d’Attila était de frapper l’imagination de ces contemporains. Et il est fort possible que Geoffroy de Monmouth puis Robert de Boron se soient inspirés de cette épée pour forger celle de la légende du roi Arthur.

Pour terminer, on peut citer un autre mensonge mais qui cette fois ne concerne pas directement Arthur. Geoffroy affirme que Brutus à la tête des bretons, mis Rome à sac. Il n’y a bien évidemment nulle trace dans l’Histoire d’un tel fait d’arme commis par les bretons. Par contre, on sait avec certitude que Rome fut réellement dévastée plusieurs fois, que ce soit par les gaulois de Brennus en 270 av JC mais également par les Goth d’Alaric Ier, lors de l’été 410 ainsi que par les vandales de Genséric en 455 ainsi que par les Hérules d’Odoacre en 476.

Cette courte liste de faits empruntés à l’Histoire par Geoffroy de Monmouth est sans doute loin d’être exhaustive. Il est important de souligner que si ces événements se sont bien déroulés en Europe, aucun d’entre eux n’a jamais eu lieu ni sur le sol britannique, ni en Bretagne. Il s’agit également de faits qui sont intervenus à l’époque supposée du roi Arthur, à savoir entre le Vème et le VIe siècle. On a donc là un aperçu de la méthode employée par l’auteur pour donner de la matière à son ouvrage pseudo historique : les événements sont extraits de l’histoire européenne mais les protagonistes et les lieux sont changés. C’est l’illustration parfaite de ce que Martin Aurell écrit dans son ouvrage sur l’empire des Plantagenêts :

Cet ouvrage en latin mêle la fiction, tout droit sortie de l’imagination fertile de son auteur à des connaissances puisées dans les traditions orales celtiques et dans les sources historiographiques anciennes.

 

Le même auteur, dans La légende du roi Arthur précise :

Que Geoffroy ait mis en scène certain épisodes remémorant l’histoire récente des rois d’Angleterre est indéniable. Nous avons mentionné les liens entre la fictive Cordélia et l’historique Mathilde. Les luttes fraticides entre Belin et Brenne ou entre Constant et ses deux frères cadets pouvaient, de même, rappeler au lecteur celles qui avaient opposées, une trentaine d’années avant la rédaction de l’Histoire, les fils de Guillaume le Conquérant. De même, la mort du sodomite Mempricius, dévoré à la chasse par des loups, lui évoquait peut-être les mésaventures de Guillaume le Roux (1087-1100), tué accidentellement au cours d’une battue. Enfin, quelques médiévistes ont mis en parallèle la facile conquête de la Grande-Bretagne par Arthur, sa construction de la cathédrale d’York et son combat contre le préfet des Gaules avec l’histoire de Guillaume le Conquérant.

Certains faits détournés ayant de nombreuses similitudes, nous verrons que tout semble indiquer que Geoffroy ne se soit pas contenté de piocher au hasard dans l’Histoire mais qu’il savait pertinemment quel personnage illustre se cachait réellement derrière celui qu’il nomme Arturus. Et à la manière de Dan Brown et son roman Da Vinci Code, Geoffroy tente de faire croire à la véracité des faits racontés dans son roman, en intitulant son ouvrage Histoire des rois de Bretagne.

La tentation de s’attribuer une ascendance légendaire ou fantastique est assez fréquente, voir commune dans l’Histoire. Frégédaire au VIIe siècle raconte par exemple que Mérovée, ancêtre mythique des francs mérovingiens était issu de l’accouplement d’une créature marine, une sorte de Quinotaure, avec la femme du roi Clodion le chevelu. On peut également citer les carolingiens qui auraient eu une origine troyenne, les Goths qui se disaient les descendants du Dieu Odin ou encore la famille Lusignan qui faisait de la mère Lusine, autrement dit la fée Mélusine, l’ancêtre de la lignée.

Comme le merveilleux a toujours captivé les masses, ce qui avait été compris très tôt par la plupart des pouvoirs politiques et religieux, il constitue donc un vecteur formidable de manipulation. Et le monde arthurien qui regorge de mystères et de sortilèges se prête donc merveilleusement à une opération de propagande. Il semble bien que l’opération est parfaitement réussie si l’on considère que le détournement de la légende par la famille Plantagenêt commence seulement à être compris par les historiens. Bien sûr, comme on vient de le voir, la quasi-totalité des spécialistes ont toujours considérés Geoffroy de Monmouth comme un faussaire à l’image du linguiste Reto Bezzola, auteur de nombreux ouvrages sur la littérature courtoise de l’époque, qui considérait l’œuvre comme « la figure la plus étrange, la plus fantasque de l’historiographie mondiale ». Et pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, aucun de ces experts n’a jamais vraiment remis en question le dogme de l’origine britannique du roi Arthur, alors même que c’était précisément le mobile de tous ces mensonges. On mesure là l’efficacité impressionnante de la propagande dont le principe de base est de marteler inlassablement des mensonges jusqu’à ce qu’ils soient perçus comme des vérités. On constate donc que même en détectant la manipulation, il est parfois impossible d’imaginer l’énormité du mensonge, ce qui est très bien résumé par la formule de l’auteur canadien Marshall McLuhan :

Seuls les plus petits secrets ont besoin d'être protégés. Les plus gros sont gardés par l'incrédulité publique.

Mais maintenant, au vu de l’étendue de la falsification opérée, il paraît quand même sensé de remettre en cause l’affirmation d’une telle origine surtout de la part d’un soi-disant historien soutenant que le fondateur du royaume breton était d’origine troyenne ! Et cela d’autant plus que l’on sait pertinemment que toutes les recherches menées depuis des siècles pour retrouver un Arthur britannique ont été vouées à l’échec. Il est donc temps de nous éloigner de la perfide Albion, et d’abandonner Geoffroy de Monmouth et son histoire imaginaire des rois de Bretagne. Nous allons donc traverser la Manche et nous intéresser maintenant à l’ouvrage considéré à la fois comme l’un des tout premiers romans de l’Histoire mais également comme l’œuvre majeure du cycle arthurien.

 


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