Saakachvili, le mauvais cheval (3)

par morice
samedi 16 mai 2009

Nous avons vu hier que le président georgien avait été pour le moins aventureux dans le conflit d’aût 2008. En fait, le président georgien avait joué et avait cette fois perdu perdu. Car il y avait eu en 2004 un précédent auquel nous n’avons pas suffisamment prêté attention. Joué avec l’Ossétie, comme il l’avait fait au départ en effet pour l’Adjarie, où il avait gagné sans effusion de sang, et où les russes n’avaient pas bronché, mais les alliés américains pas vraiment non plus, à sa grande déception. Revenons tout d’abord sur les origines de l’Adjarie : « Avant même l’effondrement de l’URSS, la Géorgie avait réaffirmé sa volonté d’indépendance, mais, quand celle-ci a été proclamée en avril 1991, le président élu, Zviad Gamsakhourdia a développé un discours raciste et xénophobe, très hostile aux minorités. Il en a résulté une très violente guerre civile entre Géorgiens et l’insurrection des minorités ossètes et abkhazes, avec le soutien immédiat et décisif des forces russes. Quand les combats ont cessé et que l’ancien leader communiste géorgien Edouard Chevardnadze est venu au pouvoir, une région automne, l’Adjarie (où vit une forte minorité musulmane de langue géorgienne) avait pris ses distances sans effusion de sang, et les deux autres, Abkhazie et Ossétie du Sud, avaient fait sécession. » 

 
 On le voit tout de suite, Adjarie, Ossétie et Abkhazie ont des points communs. Or en Adjarie, en 2004, Saakashvili avait eu... de la chance, en réglant le conflit sans effusion de sang et sans accorder l’autonomie, tout au contraire, en ré-annexant le territoire dans le giron georgien : "Saakashvili just didn’t think it through. One reason he overplayed his hand is that he got lucky the last time he had to deal with a breakaway region : Ajara, a tiny little strip of Black Sea coast in southern Georgia. This is a place smaller than some incorporated Central Valley towns, but it declared itself an “autonomous” republic, preserving its sacred basket-weaving traditions or whatever. You just have to accept that people in the Caucasus are insane that way ; they’d die to keep from saying hello to the people over the next hill, and they’re never going to change". La vision de l’auteur des 400 000 caucasiens d’Adjarie pouvant se battre à mort pour continuer à pouvoir dire "salut" au gars de la colline d’en face n’est pas fausse. La république autonome d’Adjarie était devenue en fait une seconde Transnitrie, le pays de tous les trafics d’armes : "The autonomous republic of Ajara (aka Ajaria, Adjara and Adzharia) has become an area of rampant criminality entirely controlled by its wealthy leader, Aslan Abashidze". Saakachvili avait bien tenté de s’attaquer à l’Adjarie, mais il y avait vite dû négocier un temps avec le leader du pays : "as part of a nationwide crackdown on corruption, Georgia’s President Mikhail Saakashvili accused Adzharian tax and customs authorities of withholding tax payments. He also wants to disarm paramilitary forces in Adzharia. In March 2004, Adzharian border guards prevented the Georgian leader from entering the region. In a bid to assert his authority the Georgian president imposed an economic blockade on the separatist province. It was lifted within days following what were called successful talks between Mr. Saakashvili and Mr. Abashidze". Le lendemain de la visite de Colin Powell le 23 janvier 2004, on s’attend à ce que la Georgie envahisse l’Adjarie pour faire taire sa volonté séparatrice.
 
Peu de temps après, les tensions revenaient conduisant à une situation au bord de la guerre, dans le même schéma que pour l’Ossétie en 2008 : "the Ajarian leader, Mr. Abashidze, has rejected an ultimatum from Tbilisi to dismantle militias loyal to him and accept central government authority, and on 02 May 2004 his forces blew up two bridges and partly dismantled a railway linking the region with the rest of Georgia. The bridge blasts coincided with the final day of large-scale maneuvers by the Georgian military, which were being conducted near the administrative border with Adjaria". Saakachvili, fou de rage, avait réagi en mai 2004 en donnant 10 jours à la République d’Adjarie pour démanteler son armée de mercenaires, nombreuse de 5000 hommes : " Saakashvili gave the republic 10 days to cease its violations of Georgian law and to disarm its paramilitaries". Au final, avec l’assistance et l’insistance américaine... Saakachvili avait réussi à obtenir le départ express d’ Abashidze et de sa famille le 6 mai 2004, le dirigeant se réfugiant vite fait en russie, fortune faite depuis longtemps. Il avait surtout négocié auparavant l’accès à Batumi, port vital pour lui ou son armée et sa marine ! Du même coup, la base russe implantée depuis des lustres partait elle aussi : pour beaucoup, Saakachvili avait ce jour là gagné, avant tout, contre les russes. Des soldats russes qui partent, ce n’est pas commun, ou alors c’est de sinistre mémoire ; pour les russes, comme en... Afghanistan. De quoi se gonfler le torse pour la prochaine occasion. L’origine de son attaque de l’Ossétie du Sud est donc bien à chercher dans ce succès de 2004 en Adjarie. Les georgiens n’avaient oublié qu’une seule chose : si le conflit n’avait pas dégénéré, c’était dû en grande partie à...Moscou, qui n’était pas intervenu : "le dénouement pacifique de cette crise, qui a permis d’éviter un nouveau conflit séparatiste sanglant en Géorgie, n’a sans doute été rendu possible que grâce à la médiation russe. Les autorités de Tbilissi semblent d’ailleurs l’avoir bien admis. Le chef de la diplomatie géorgienne, Salomé Zourabichvili, s’est dès jeudi matin empressée de salué « le rôle immense » joué par Moscou. « Le rôle de la Russie dans le règlement a été immense et cela aura nécessairement une répercussion favorable dans nos relations », notait RFI.
 
Quelques mois plus tard, W.Bush, le 10 mai 2005, rendait visite à son ami Mikhail Saakashvili pour célébrer sa réélection. Un excité balançait alors en pleine foule une grenade offensive de l’armée (russe)....une classique RGD-5, qui atterrissait à 18,5 mètres à peine du pupitre protégé par simple une vitre blindée sans exploser. Ç’eût pu être bien plus grave. Le 11 janvier 2006, l’auteur, de l’attentat, Vladimir Arutyunian se voyait condamner à vie pour son acte délibéré. Les enquêteurs avaient découvert entre temps que le cache-nez écossais dans lequel avait été caché la grenade avait empêché la goupille de se libérer. Arutyunian avait été repéré portant sa grenade enveloppée sur des clichés pris par un professeur américain venu de Boise, dans l’Idaho. A quoi tient la vie d’un chef d’état (ou de deux !), parfois...
 
Ce sentiment de rejet de "l’occupant" georgien qu’avaient les Adjariens, c’est la même qui sévit en Afghanistan, justement, semble-t-il chez ceux improprement regroupés sous le nom de Talibans. Normal : "ils sont eux aussi musulmans", continue notre auteur en verve à décrire ce pays étonnant : "But they’re Muslims, which means they have to have their own Lego parliament and Tonka-Toy army and all the rest of that Victorian crap, and their leader, a wack job named Abashidze (Goddamn Georgian names !) volunteered them to fight to the death for their worthless independence. Except he was such a nut, and so corrupt, and the Ajarans were so similar to the Georgians, and their little “country” was so tiny and ridiculous, that for once sanity prevailed and the Ajarans refused to fight, let themselves get reabsorbed by that Colussus to the North, mighty Georgia." Un "parlement en Lego" et des armes "Tonka" résume fort bien là aussi la situation : pas de démocratie véritable avec tous ces chefs de guerre mafieux, malgré les apparences d’une assemblée, loin s’en faut, et de vieilles Kalachnikovs en cadeau... et les voilà heureux. A trafiquer opium et armes comme ils le souhaitent avant tout. Le mot démocratie chez eux ne peut exister ou représenter quelque chose, c’’est évident. 
 
Et notre fin analyste de continuer à comparer la Georgie à ... l’Irak : "Most likely the Georgians just thought the Russians wouldn’t react. They were doing something they learned from Bush and Cheney : sticking to best-case scenarios, positive thinking. The Georgian plan was classic shock’n’awe with no hard, grown-up thinking about the long term. Their shiny new army would go in, zap the South Ossetians while they were on a peace hangover (the worst kind), and then…uh, they’d be welcomed as liberators ? Sure, just like we were in Iraq." Saakatchvili dans sa folie meurtrière attaquant en Blietkrieg rebaptisée "shock and wave" se voyait déjà accueilli effectivement en libérateur de l’Ossétie... Mais pour cela, il fallait l’aide de Washington, car en Irak, justement, plus de 2000 soldats georgiens avaient été envoyés, en signe d’allégeance à Georges. W.Bush. Soit le 1/10 éme de l’armée de terre georgienne, ce qui est énorme. Si bien que les georgiens, assez dégarnis, ont demandé aux américains, en plein conflit, de rapatrier au plus vite ces soldats qui manquaient au front. Ce qui a été fait à l’aide d’un pont aérien organisé par les américains, seuls à disposer des gros porteurs C-17 nécessaires."The Georgians are so panicked they just announced they’re sending half their Iraqi force home, and could the USAF please give’em a lift ?" nous dit notre spécialiste. "Georgia’s 2,000 strong contingent in Iraq began to return home on August 10, 2008 to redeploy in the conflict with Russia in its breakaway province of South Ossetia. Georgia has been one of our strongest, most loyal allies in the war in Iraq", dit un site plutôt patriotique. Ce qui fut effectivement fait : à la dernière minute, de lourds C-17 atterrirent en Georgie le 10 août à 15H27. A 15H52, les russes bombardaient les bases militaires géorgiennes, après que les C-17 aient à peine terminé leurs rotations. Il s’en était fallu de peu.Le coup de folie de Saakachvili a failli coûter fort cher aux USA : un seul avion cargo atteint, et c’était l’occasion rêvée pour les russes de dénoncer l’implication américaine. Saakachvili avait non seulement perdu la guerre, il avait perdu tout crédit auprès d’une partie des militaires US, qui n’apprécient pas que l’on puisse mettre en danger leurs troupes sur un coup de tête. Et tout autant de dégarnir de 2000 hommes leur implantation en Irak. 
 
La défaite d’août 2008 avait signé la perte de Saakachvili, en réalité : auprès des américains, qu’il n’avaient pas prévenus (sinon ces soldats "irakiens" auraient été rapatriés bien avant !) mais surtout auprès de sa population, profondément dépitée par ses errances et ses frasques. Il pensaient avoir un héros, vainqueur de Shevernadze, un bâtisseur d’une nation nouvelle, que ce "Micha", un vrai leader charismatique, ils se sont retrouvés avec un véritable caractériel. Le 10 août 2008, Saakachvili était rentré, pour les USA, dans la catégorie irresponsable. Et c’était bien avant l’élection de Barrack Obama. Que les américains titillent Poutine, le vrai dirigeant de la Russie, c’est de notoriété publique : le chat et la souris de la guerre froide continuent leur jeu de dominos par pays inerposés. Qu’ils risquent une confrontation nucléaire mondiale à cause des actions d’un dirigeant tiers irresponsable, c’est autre chose. Saakachivili a confonfu politique internationale et poker, et il a tout perdu ce jour là, ce que résume notre bloggueur très en verve décidément : "What’s happening to Georgia here is like the teeny-tiny version of Germany in the twentieth century : overplay your hand and you lose everything". A trop jouer, on perd tout, c’est bien connu. Saakachivili est bel et bien définitivement le "pompier pyromane du Caucase". Saakatchvili a plongé dans la nasse Osséte, qui s’est refermé sur lui  : "le président Géorgien Mikheïl Saakachvili est tombé dans « un piège », « et l’armée russe en a profité pour donner aux Géorgiens la "leçon" que Vladimir Poutine leur promettait depuis longtemps », explique Bernard Dreano, co-président du centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale( Cédétim). Le looser n’a pas pour autant perdu tous ses détracteurs, et demain nous verrons combien de français en font partie. Et qui sont-ils.

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