Agression à Bordeaux : attention, un train de violence peut en cacher un autre...

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 21 juin 2023

« Il ne faut pas se fier aux apparences. Beaucoup de gens n'ont pas l'air aussi bêtes qu'ils ne le sont réellement. » (Oscar Wilde).

Les faits d'abord : le lundi 19 juin 2023 vers 17 heures 30, dans un quartier tranquille de Bordeaux, une femme de 73 ans, qui revenait chez elle, et sa petit-fille de 7 ans, qui l'accompagnait, se sont fait très violemment agresser par un homme de 29 ans. La femme a été projetée sur le trottoir, que la tête a heurté, et la fillette a été entraînée plus loin. Un chien qui les a rejointes et a aboyé, ce qui a fait fuir l'agresseur.

Grâce au témoignage d'un voisin et à la vidéo de la scène, prise par le visiophone, l'agresseur a été interpellé dès 18 heures 30 et placé en garde-à-vue. On peut féliciter les services de la police et de la justice d'avoir arrêté l'auteur de cette agression aussi vite et aussi efficacement.

À ce constat de cette agression, on ne peut que la condamner fermement et souhaiter la sanctionner le plus sévèrement possible. On ne peut qu'adresser tout son soutien aux deux victimes et à leur famille, et se réjouir qu'elles sont sorties d'hôpital et ne souffrent que de contusions et d'abrasions. La grand-mère a eu une ITT de quatre jours. Une expertise médicale complète aura lieu et « déterminera les conséquences psychologiques de cet acte d'une particulière violence » selon la procureure de la République.

S'il est normal que la classe politique s'exprime sur ce triste fait-divers, impressionnant probablement en raison de la vidéo de la scène qui montre une extrême violence (comme c'est le cas de l'ancien maire LR de Bordeaux Nicolas Florian qui a hésité à diffuser la vidéo floutée), il est beaucoup moins normal que certains l'exploitent voire l'instrumentalisent, notamment au détriment des victimes. Car la première attention doit toujours être portée aux victimes.

Dans la soirée du 19 juin 2023, la vidéo a donc été diffusée sur les réseaux sociaux. Un premier militant d'extrême droite a tweeté la vidéo sans floutage, mais son tweet a été supprimé rapidement car il contenait des propos racistes.

Cela n'a pas raté, l'extrême droite, fidèle à elle-même, comme des vautours cherchant toute chair à démagogie, s'est jetée sur ce terrible fait-divers en faisant peu de cas des victimes. Éric Zemmour n'a pas hésité à retransmettre la vidéo sans floutage avec ce commentaire : « Quelle horreur. Bordeaux aujourd'hui. Voilà ce qu'ils ont fait de notre pays. Français, réveillez-vous. ». Le "ils" est très clair pour un obsédé de l'immigration, il s'agit bien sûr des immigrés (ou des étrangers).

Marine Le Pen n'était pas en reste puisqu'elle a elle-même tweeté : « Ces agressions sont quotidiennes et l'insécurité, aggravée par le chaos migratoire, devient endémique. Combien faut-il de vidéos comme celle-ci pour que le pouvoir réagisse ? ». Avec le mot "migratoire", le lien à l'immigration est encore plus explicite.

Pourquoi ces deux personnalités, qui retombent dans leurs vieux démons (sans "dédiabolisation" du tout !), ont-elles évoqué l'immigration pour ce fait-divers ? Tout simplement parce que sur la vidéo, l'agresseur (le suspect) apparaît avec une peau pas vraiment très claire et même, disons-le !, plutôt très foncée, et que, dans leur esprit, nécessairement, la couleur de la peau détermine le niveau de francité.

Pas de bol, car le suspect, très connu par les services de police (quinze condamnations sur son CV : infractions routières, stupéfiants, etc.) est un Français né en France, né à Bordeaux.



Le député RN de Gironde Grégoire de Fournas (vous vous rappelez ? celui qui a été lourdement sanctionné par l'Assemblée Nationale pour avoir provoqué une scène tumultueuse parce qu'il considérait qu'un député à peau noire était un Africain et pas un Français), ce député interrogé par BFMTV s'est un peu emmêlé les pinceaux en soutenant qu'il n'était pas raciste et qu'il défendait tous les Français quelle que soit l'origine, la couleur de peau, etc. ...sauf que dans ce cas-là, le suspect était un Français et il ne s'était basé que sur la couleur de la peau pour conclure hâtivement, comme sa médiocre chef, qu'il était un étranger et qu'il fallait bouter les étrangers hors de France.

Comme avec l'agression criminelle des enfants en bas âge dans un parc à Annecy il y a quelques jours, l'agresseur n'a pas le profil idéal pour rendre l'agression démonstrative des idées xénophobes de l'extrême droite.

La famille a d'ailleurs été particulièrement choquée non seulement de cette instrumentalisation mais aussi de la diffusion de leur image dans une scène qui les a traumatisées. Son avocate a affirmé que la famille était « indignée par la récupération politique qui est faite de ce fait divers ainsi que l'utilisation médiatique des images sans son accord explicite et sans le moindre respect pour l'identité des victimes ou leur vie privée ». Par ailleurs, elle a ajouté : « Il est parfaitement indécent de se servir de ce fait divers pour évoquer une origine ethnique ou de justifier des réformes pénales ou migratoires. ».

Néanmoins, cette situation reste inquiétante et si la nationalité du suspect n'est pas le "problème", d'autres problèmes doivent être débattus sur la place publique pour réduire les risques de ce type d'agression même si, c'est très clair pour cette agression, quel que soit le maire (qui n'a pas beaucoup de pouvoir) et quel que soit le gouvernement, on n'empêchera jamais un déséquilibré psychique de s'en prendre à des passants.

Le sujet, en effet, n'est ni la couleur de la peau du suspect ni sa nationalité, française ou pas, mais bien ses antécédents psychiatriques graves et la manière dont la société l'accompagne. L'homme, placé sous tutelle et suivi au plan psychiatrique aurait été « en rupture de traitement ». La procureure a déclaré : « L'intéressé présente des troubles du comportement majeurs en lien avec une pathologie psychotique et schizophrène. ». Sa garde-à-vue a d'ailleurs été interrompue le 20 juin 2023 pour recevoir immédiatement des soins psychiatriques avant d'être reprise ultérieurement.

Ce qui est avant tout inquiétant, c'est que des personnes qui ont des problèmes psychiatriques lourds se promènent tout seuls dans la nature sans surveillance renforcée. Ce débat, qui n'est pas nouveau, doit avoir lieu sur la manière de les soigner, sur le nombre de places dans les hôpitaux psychiatriques, etc. Mais partir de ce fait-divers pour dire que l'immigration, c'est caca, c'est pitoyable et peu respectueux d'abord des victimes, ensuite des Français eux-mêmes qu'on prend ici pour des imbéciles.

Toute ma compassion aux deux victimes probablement traumatisées à vie non seulement par cette agression mais par ses suites médiatiques aussi odieuses qu'insultantes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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