Nahel n’était pas un ange : et alors ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 1er juillet 2023

« Cette mort nous fout la haine ! »

C'est l'un des cris de cette marche blanche du jeudi 29 juin 2023. Des cris malheureux, de colère, d'émotion, de désespoir. Quatrième nuit d'émeutes partout en France, apparemment en bandes organisées et préparées. La mort de Nahel, tué par un policier lors d'un contrôle routier, ne va pas passer. Le pays est en grande difficulté car les divisions se révèlent. L'absence de modération est une provocation à la haine et à la discorde. Rien ne justifie la violence. Rien. Elle est à condamner résolument. Et elle ne sert à rien, elle ne résout rien.

D'un côté, on a l'extrême droite avec ses procédés traditionnels depuis plus d'un siècle, ceux qui renforcent la haine de l'autre. Le langage est connu, il est le "nous" et le "eux", mis en opposition. En clair : "ils ne sont pas comme nous". Le problème pour ces gens-là, cette extrême droite qui pense avoir obtenu son brevet de respectabilité aux dernières élections sous prétexte qu'elle garde le costume cravate, c'est que "eux" comme "nous" sont des Français, sont autant Français les uns que les autres. Et aucun des uns ou des autres ne peut s'arroger l'exclusivité de la définition du "bon Français", aucun ne peut s'arroger le monopole de la délivrance du brevet de "vrai Français". Aucun.

L'un des procédés consiste à fustiger l'autre. Les autres. Les discréditer. Les ramener à moins que rien. Presque à leur retirer leur caractère d'humanité, ce qui permettrait ensuite tous les excès. Procédé bien connu.

D'abord la victime, parce que Nahel est d'abord la victime d'un "homicide volontaire", selon la justice. Nahel n'était pas un "ange". La belle affaire. Ce n'est pas parce qu'un footballeur connu, riche et talentueux (on oublie souvent le troisième adjectif qui explique les deux premiers) l'a sacré ange qu'il est un ange. Il ne faut pas considérer tout ce que dit une star en paroles d'Évangile. À part lui, personne n'a jamais disserté sur cet aspect des choses car là n'est pas le problème.

Oui, Nahel peut avoir tout été, un délinquant routier, avoir déjà un dense CV dans ses relations avec la maréchaussée. Un trafiquant, une voiture de luxe, une conduite sans permis (car déjà trop jeune), peu de respect pour les lois de la République, que sais-je ?... un refus d'obtempérer ne vaut pas une peine de mort ; au pire, cela vaut cinq ans d'emprisonnement, lorsque les circonstances sont aggravantes.

C'est justement parce qu'il a été injustement tué, odieusement tué, que celui que certains osent qualifier de "racaille" (ce qui est un moyen de tester le respect qu'on a des morts) s'est hissé à l'honneur de la République, avec cette minute de silence le 28 juin 2023 au cœur de la démocratie française, au cœur de l'hémicycle de l'Assemblée Nationale. Parce que, paradoxalement, malgré toutes les fautes qu'il aurait commises (dont je n'ai aucune liste officielle), Nahel s'est étrangement retrouvé parmi les victimes de ceux qui ne défendent pas les valeurs de la République. En se faisant tuer comme s'il n'avait jamais été un humain, le supposé délinquant est devenu un martyr.

En extrapolant cette pensée extrême, il ressort que la mort se justifierait parce que Nahel aurait commis des délits. On peut penser comme le Président des Philippines, qui voyait d'un œil complaisant les règlements de compte entre trafiquants, ils faisaient le ménage pour l'État. On peut penser que refuser de s'arrêter plusieurs fois à un contrôle routier mérite la peine de mort. On peut penser que le moindre délit mérite la peine de mort. C'est un point de vue, mais qu'il faudra aussi l'assumer lorsqu'on se retrouvera sur le banc des accusés pour des affaires d'emplois fictifs ou autres, genre financement d'un parti politique par une puissance étrangère.

Rappelons d'ailleurs, pour poursuivre la logique, que le policier qui a tiré ne savait pas que Nahel était un multirécidiviste de délit de refus d'obtempérer. Il ne savait pas son nom, puisque justement, il voulait contrôler son identité. Ce n'est donc qu'a posteriori qu'on sait qui a été la victime de cet abus d'autorité. Nahel n'était pas un ange : et alors ? Il ne méritait pas la mort. Rien ne la justifiait. C'est pourquoi la justice doit être rapide et sévère, car ce policier n'est pas la police.

Mais ce procédé est encore plus dégueulasse lorsqu'il s'agit de salir la mère de la victime. Quoi de pire que perdre son enfant ? Comment peut-on douter de la peine de la mère de Nahel ? Oui, c'est vrai, je me suis posé aussi la question des images lors de la marche blanche du 29 juin 2023 à Nanterre. Elle était comme la reine du jour, trônant sur un camion de location, celui qu'on loue pour les déménagements, et on avait l'impression que c'était un char, un triomphe. Sa quart d'heure de gloire. Oui, le triomphe, c'est les 6 200 personnes qui ont participé à la marche. Combien de personnes seront-elles présentes à votre enterrement ?

Pourrais-je alors dénier à cette mère l'idée de tristesse ? Qui serais-je à la juger ? Ai-je au moins eu des enfants enlevés aussi brutalement de mon affection ? En quoi pourrais-je condamner une mère sous prétexte qu'elle aurait un comportement excessif. Certains se réfugient dans l'alcool, dans la dépression. Cette mère avait besoin de soutien et le moindre qu'on puisse dire, malgré ses détracteurs, c'est qu'elle en a reçu. 6 200 personnes.




D'ailleurs, là aussi, ces images sont une face particulière et incomplète de la réalité. Il y a d'autres images, où cette mère pleurait, justement, tant l'émotion était grande. La photographier était même l'expression d'une impudeur. La mère s'est mise en spectacle. Personnellement, je ne l'aurais certainement pas fait, mais il se trouve que c'est elle qui a ce chagrin infini d'un gâchis humain sans horizon, ce n'est pas moi. Chacun réagit aux douleurs comme il le peut. Chacun vit son deuil d'une manière ou d'une autre. Si, en partant, je laisse des personnes qui m'aiment, je préférerais qu'elles rient à mon enterrement, pas qu'elles soient tristes, parce que ça ne sert à rien, ça ne me ferait pas revenir et à plusieurs, on peut plus espérer que tout seul. De loin, cela pourrait être choquant. Qui sommes-nous pour juger de la détresse d'une mère qui a perdu son enfant ?

Et il y a l'autre côté, tout aussi excessif, tout aussi haineux, tout aussi accablant. Cet autre côté a aussi fait son mort, malheureusement, annoncé un peu tardivement à cause du décalage horaire, car une personne a été tuée par une balle perdue tirée par un émeutier en Guyane dans la nuit du 29 au 30 juin 2023. Toute cette violence est inouïe et, il faut le dire, préparée, organisée. Leurs auteurs n'attendaient que l'étincelle, le prétexte pour agir. Un peu l'incident de frontières pour un va-t-en-guerre (Poutine n'en a même pas eu besoin pour envahir l'Ukraine, tant il était assuré de sa victoire et de son impunité).

Dans la foule qui défilait à la marche blanche, on voyait des panneaux polémistes comme "La police tue" ou "IGPN : impunité générale police nationale". C'est excessif, et ce n'est pas fait pour apaiser mais au contraire renforcer une colère, renforcer ces émeutes dans les centres urbains. Pour le cas de Nahel, il s'agit de deux policiers, qui l'ont poursuivi pendant plusieurs minutes avant de tenter de l'arrêter (Nahel a failli renverser une personne dans sa folle tentative d'échapper à la police). Et un seul a tiré. Ils ne représentent pas la police dans son ensemble, il n'est représentatif que de son manque de professionnalisme.

Du reste, la mère de Nahel a été ambiguë. Elle a tenu un panneau proclamant, selon le slogan des mélenchonistes, que "la police tue". Et à un autre moment, elle a déclaré au contraire sur France 5 qu'elle faisait bien la différence entre le policier qui a tué son fils et la police en général, complétant en disant qu'elle connaît beaucoup de policiers qui lui ont apporté leur soutien. La pression du groupe et la raison et le bon sens ne font jamais bon ménage. Il y a des personnes dont c'est la profession d'envenimer les choses, de pourrir la société dans des divisions aussi virtuelles qu'identitaires, quasi-philosophiques et surtout stériles.

L'affrontement est là : des excités de l'extrême droite qui applaudissent le geste d'un policier qui a tué ce qu'ils considèrent comme une racaille des cités, qui ne méritait de vivre selon leur précepte (on peut frissonner à l'idée de les imaginer au pouvoir), face aux excités de l'autre camp, prêts à mettre le feu sur tous les bâtiments publics, à mettre en péril tous les avancées de réconciliation toujours instables de nombreux acteurs sur le terrain afin de déclencher une révolte qui n'a ni queue ni tête, ni but ni revendication, sinon une, très importante, ne plus être pris pour de la chair à canon.

Vouloir réduire le débat public à ces deux extrêmes qui doivent réunir une infime minorité du peuple français, c'est non seulement caricaturer, mais c'est donner raison à l'un ou l'autre de ces deux camps alors que sont ultra-majoritaires les "raisonnables", qu'on pourrait appeler les "modérés", qui n'ont rien de sexy puisqu'ils s'adressent à l'intelligence et pas aux émotions, qui veulent l'apaisement, le dialogue, l'analyse de la part des choses entre deux positions prétendues définitives.

C'est pourquoi dans cette situation très grave, le comportement de la justice et du gouvernement, chacun de son côté, est essentiel. La justice pour qu'enfin soit reconnue la faute du policier quand, dans la même situation, de nombreux collègues étaient crus sur parole et innocentés. Le mensonge est aussi la raison de la colère. Comment la vérité aurait-elle été reconnue sans les séquences vidéo ?

Et le gouvernement qui, jusque-là, a fait un sans-faute, à savoir a tout fait pour apaiser tout en restant ferme sur le maintien de l'ordre. Il faut néanmoins donner des perspectives à la nation qui est au bord du précipice social. Emmanuel Macron devra s'adresser aux Français et leur proposer un nouveau deal sur la cohésion sociale. En sera-t-il capable ? Ce sera en tout cas l'enjeu des prochains jours. Le 14 juillet prochain semble tout indiqué...


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Sylvain Rakotoarison (01er juillet 2023)
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