Violences urbaines : à quoi s’attendre pour la fête nationale ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 13 juillet 2023

« En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme le droit inaliénable à la sûreté, qui protège le citoyen de l’arbitraire de l’État, et l’immunise contre les arrestations ou les emprisonnement arbitraires. En 2015, la sécurité, son glissement sémantique, c’est précisément l’inverse. Et c'est inquiétant. » (Olivier Tesquet, le 19 novembre 2015 dans "Télérama").

Il y a comme un curieux croisement de destins : le 1er juillet 2023, Nahel Merzouk a été enterré dans un cimetière du Mont Valérien. Sur un autre versant, quelques jours auparavant, on commémorait le quatre-vingt-troisième anniversaire de l'appel du 18 juin. En outre, à Nanterre, il a été tué place Nelson-Mandela, l'apôtre de la non-violence et de la réconciliation. Là encore, une étrange coïncidence. Mon titre relève d'une question à madame soleil. Ne l'étant pas, je suis bien en peine d'y répondre (rendez-vous à ce moment-là). En revanche, je souhaite revenir sur ce qu'on a appelé les émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk. Des scènes de guerre civile. De courte durée mais de forte intensité.

Ces émeutes se sont déroulées du 27 juin au 5 juillet 2023 et selon le ministère de l'intérieur, le bilan est hélas de deux personnes mortes (à Cayenne le 29 juin et à Marseille le 1er juillet) et une personne plongée dans le coma (dans une commune de Meurthe-et-Moselle). 723 membres des forces de l'ordre ont été blessés au cours de cette période. Cette violence urbaine a été d'une très haute intensité pendant ces plusieurs jours : 1 092 bâtiments ont été dégradés, incendiés, vandalisés, principalement des établissements scolaires, des bibliothèques, des mairies, des commissariats, etc. ; 5 964 véhicules ont été incendiés parmi lesquels des dizaines de bus. L'ensemble des dégradations monterait, d'après les assureurs, à un coût d'environ 650 millions d'euros, sans compter les manque-à-gagner des nombreux commerçants vandalisés.

Pillages et vandalismes. Force doit rester à la loi : 3 651 personnes parmi les émeutiers ont été interpellées et 3 625 placées en garde-à-vue, et 380 peines de prison avec mandat de dépôt ont été prononcées en comparution immédiate. Cela a donné une très mauvaise image internationale à la veille de la saison touristique : ce ne sont plus les gilets jaunes, ni le covid-19, ni les manifestations et grèves contre la réforme des retraites, mais des émeutiers de banlieue.

C'est un énorme gâchis. Gâchis humain (des vies humaines ont été détruites et leur entourage traumatisé à vie), gâchis matériel massif surtout pour les municipalités qui sont les collectivités les plus touchées, leurs investissements à venir vont être retardés voire annulés pour reconstruire, réparer ou réhabiliter en particulier les écoles dont ce sera l'urgence (rentrée scolaire dans un mois et demi). Et une étape nouvelle franchie dans la violence avec l'attaque à la voiture-bêlier en feu contre le domicile de Vincent Jeanbrun, maire LR de L'Haÿ-les-Roses, et l'agression contre sa femme et ses deux enfants en bas âge.

À l'origine, la mort de Nahel. Jeune (lycéen) de 17 ans roulant sans permis (forcément à cet âge) une voiture luxueuse (en location) comme un chauffard et une interpellation qui s'est tellement mal passée qu'un des deux policiers a tiré à bout portant. C'est un fait-divers, malheureusement assez fréquent : en 2022, 13 personnes sont mortes ainsi en raison d'un refus d'obtempérer, mais il faut replacer dans le contexte d'environ 26 000 refus d'obtempérer par an, ce qui est énorme (et en légère augmentation).

Nahel a fait le chauffard, il n'était pas un ange, mais rien ne justifie qu'il fût tué. Hélas, les passions françaises se sont transformées en concours morbide qui peut se concentrer sur des cagnottes, l'une en faveur du policier qui, en cinq jours, a recueilli 1,6 million d'euros, et l'autre, en faveur de la famille de Nahel, qui a recueilli (au moins) 400 000 euros. Choisis ta cagnotte !? Écœurant.

Le gouvernement, craignant ce qui s'est passé par la suite (les émeutes de novembre 2005 sont dans toutes les mémoires), a fait preuve d'une extrême prudence : regrettant la mort de Nahel, exprimant que la vidéo était accablante mais laissant la justice suivre son cours. Il s'est bien gardé de répandre de l'huile sur le feu ou d'instrumentaliser les événements. Il a résisté aussi à la forte tentation de décréter l'état d'urgence comme le demandaient leurs oppositions de droite et d'extrême droite, et il a eu raison car le calme est finalement revenu au bout de quelques jours grâce au déploiement massif des forces de l'ordre dans tout le pays.

En ce qui concerne le policier qui a tué Nahel, il a été placé en garde-à-vue pendant deux jours avant d'être écroué et maintenu en prison. C'est une décision de justice très rare et sévère dans une telle situation, mais l'existence d'une vidéo était là pour contredire la première version officielle des policiers.

C'est à partir de là que les excès de réactions peuvent avoir lieu. Le premier est le mensonge des deux policiers qui ont pu être découverts seulement à partir de plusieurs vidéos. Il est clair que les scènes d'interpellation devraient être filmées si on veut avoir une vision exacte des faits (de part et d'autre). En tout cas, de plus en plus de témoins oculaires peuvent aujourd'hui filmer la réalité, ce qui rend les arrangements avec la vérité de plus en plus hasardeux.

On peut aussi disserter sur la victime (car Nahel est bien une victime, appelons un chat un chat), alors que certaines officines voudraient la transformer en coupable. Son casier judiciaire, par exemple, était vierge, contrairement à ce qui s'est dit initialement.

L'autre excès, c'est de généraliser ce fait-divers en disant que la police tue, que la police est raciste. Sur le racisme, il n'est pas (encore) établi (à ma connaissance) que le policier qui a tiré l'ait fait par racisme (probablement plus par peur, manque de contrôle et incompétence). Mais même s'il avait tiré par racisme (ce qui reste à démontrer), il n'aurait aucune raison d'être représentatif de toute la police. Lorsqu'on dit que la police tue ou que la police est raciste, on laisse entendre que ce sont ainsi tous les policiers, voire qu'ils ont reçu des ordres pour tuer, ce qui n'est pas le cas. En disant que la police tue et qu'elle est raciste, on est soi-même coupable de racisme anti-police. La généralisation est raciste en elle-même.

Mounia Merzouk, la mère de Nahel, a ainsi insisté sur cette différence essentielle lors de la marche blanche qu'elle a organisée à Nanterre le 29 juin 2023 et qui a réuni 6 200 personnes : « Je n’en veux pas à la police, j’en veux à une personne : celui qui a enlevé la vie de mon fils. ».



Dès le soir du 27 juin 2023, des violences urbaines ont eu lieu, et la situation s'est généralisée partout en France les jours d'après. On mettra plusieurs années à analyser précisément tous les faits et peut-être à y déceler quelques leçons, explications, réflexions. Rien ne justifie la violence, pas même la violence d'origine. Rien, aucune colère, aucune révolte, aucune idéologie.

Pendant ce quelques jours, le peuple français a plongé dans une sorte de sidération, dans une situation de guerre civile bien plus grave que les émeutes de 2005. La mort de Nahel n'était alors plus qu'un alibi à la violence, mais pas une violence gratuite, à du pillage de commerces de luxe, à du vandalisme, etc. Au contraire de 2005, certains quartiers ou certaines communes plutôt agréables à vivre ont été touchés.

Ce qui a été observé parfois, et il faudra le confirmer, c'est que, d'une part, ce n'étaient pas les quartiers de non-droit dirigés par les dealers qui ont été à feu et à sang (au contraire, pour poursuivre leur business, ces caïds ont réussi à maintenir un certain ordre, ce qui fait peur par ailleurs), et d'autre part, c'étaient des personnes extrêmement jeunes qui étaient les émeutiers, des adolescents de 13 à 18 ans, des personnes qui ne connaissaient pas la vie, ses rudesses, ses rugosités, et même les discriminations dans les milieux professionnels. Leurs vols en même temps que leurs saccages apportaient même une note de naïveté, dans leur transgression, comme si le pot de confiture était irrésistible. La plupart ont d'ailleurs été interpellés.

Autre faux débat, l'immigration ou même la venue d'étrangers. Si on peut légitimement penser que les auteurs de ces exactions sont d'origine nord-africaine, ils sont avant tout de nationalité française, parfois de la deuxième ou troisième génération, et il est illusoire de mettre (à ce sujet) le débat de l'immigration. Car le "problème" (sociologique), c'est : que fait-on avec cette catégorie (à préciser) de la population... française ? Certains, profondément d'extrême droite, voudraient ainsi lui retirer la nationalité française. Mais qui sont-ils pour dire ceux qui doivent rester Français et ceux qui ne doivent plus le rester ? Doit-on ôter la nationalité française à tous les délinquants ? (auquel cas, la France, nation à délinquance zéro !).

Il est clair que le gouvernement, à l'instar de la société, manque d'imagination pour affronter cette nouvelle réalité. Prévoir des assouplissements fiscaux et sociaux pour les commerçants vandalisés est intéressant mais n'apporte aucune réponse pour prévenir à l'avenir ce genre d'émeutes. Il ne faut pas s'attendre à des miracles : la question est nationale, celle de savoir où l'on règle le curseur liberté/sécurité. C'est un débat très ancien qui existait déjà au début des années 1970 (à l'époque de Raymond Marcellin à l'Intérieur), et si ce curseur a bougé dans tous les sens avec les différentes alternances, depuis une vingtaine d'années, malgré les changements de majorité, ce curseur s'est toujours déplacé vers plus de sécurité (parfois au détriment de la liberté).

Aujourd'hui, les moyens technologiques modernes sont tels qu'on pourrait facilement éteindre toutes sources d'émeute. Par exemple, ce qu'a évoqué à voix très basse le gouvernement, l'arrêt des réseaux sociaux pendant la durée des émeutes. Mais on peut aller beaucoup plus loin dans la vidéosurveillance par caméras portées par des drones, par flicage généralisé (quand il n'est pas déjà installé). Dans le monde, il y a déjà quelques États qui déploient tous les moyens de contrôle des faits et gestes de la population. C'est un véritable choix de société qu'il serait pertinent de mettre au référendum.

Qu'on ne me réponde pas : je n'ai rien à me reprocher, donc, cela ne me gêne pas qu'on me surveille, car lorsqu'un État commence comme ça, il continue ensuite à modifier ce qu'il faut faire et ne pas faire et le geste qui n'était pas à reprocher devient illégal.

L'insécurité est probablement la condition de nos libertés, même si, paradoxalement, on n'est jamais plus libre qu'en pleine sécurité. Prenons l'exemple de la conduite automobile. La liberté de circulation entraîne aujourd'hui environ 3 400 morts par an sur les routes. C'est beaucoup, mais beaucoup moins qu'en 1972 où c'était 18 000 morts sur les routes avec beaucoup moins de routes et beaucoup moins de circulation. La différence, c'est que la liberté a été restreinte : on doit mettre la ceinture, on doit mieux respecter la vitesse (car les radars automatiques mettent aux oubliettes l'impunité d'antan), on doit faire un contrôle technique du véhicule régulièrement, etc. Moins de liberté, plus de sécurité, et à la fin, des dizaines de milliers de vies humaines sauvées. Si on veut aller jusqu'au bout du curseur, on interdit la circulation automobile (limitation de vitesse à zéro kilomètre par heure !), et là, sécurité totale, on réduit à zéro la mortalité routière, bravo. Pourtant, ce n'est pas acceptable. Il y a un juste équilibre dans le dosage de sécurité et de liberté pour permettre encore de circuler librement sans être obligé de prendre des transports en commun bondés, jamais à l'heure et desservant mal certains lieux de la République.

Dans une émission de débats à la télévision (dont j'ai oublié les circonstances), un intervenant, content de lui, constatait qu'il pouvait laisser ses enfants se promener seuls dans les rues d'une ville d'un pays comme la Corée du Nord, car les rues sont très sûres. Et que donc, paradoxalement, on pouvait être plus libre dans un pays dictatorial que dans un pays comme la France où l'on n'ose plus s'aventurer seul dans certains quartiers. C'est une bonne observation, mais que faut-il en conclure ? Réduire nos libertés ou accepter un seuil minimal d'insécurité ? Je n'ai pas la réponse satisfaisante, mais il faut bien poser la question avant de parler sans arrêt d'insécurité : la liberté ne peut se comprendre qu'avec la responsabilité, et l'irresponsabilité engendre l'insécurité.

Nous sommes déjà filmés dans le métro, sur les autoroutes, dans les rues, dans les centres commerciaux, etc., espionnés dans nos communications par emails, par réseaux sociaux, par navigation sur Internet, par téléphone, géolocalisés par conduite automobile, par téléphone encore, par paiement de carte bancaire, etc. Voulons-nous encore plus de surveillance ? Jusqu'à quel seuil ? Et arriverons-nous ainsi à supprimer totalement l'insécurité ? Ce sont ces questions qu'il faut se poser avant de s'en prendre à des boucs émissaires.

La classe politique dans son ensemble a répondu à cela depuis des décennies en disant que la sécurité, c'était la première des libertés (slogan de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990), confondant sécurité et sûreté dans les textes fondateurs des révolutionnaires. On peut prendre deux exemples dans deux univers politiques différents.

Alain Peyrefitte, Ministre gaulliste de la Justice, le 11 juin 1980, dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, pour défendre le projet de loi Sécurité et Liberté (loi n°81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes) : « Nous assistons, depuis la fin des années 1960, à une montée préoccupante de la violence. La criminalité violente a doublé ou triplé en dix ans. Par exemple, il y a eu, l'an dernier, deux fois plus de cambriolages de lieux d'habitation qu'il y a dix ans, trois fois plus d'attaques contre des personnes, quatre fois plus de vols à l'arraché, comme les vols de sacs à mains, quatre fois plus de destructions de biens privés, cinq fois plus de voles à main armée. (…) On a souvent opposé, au cours des dernières semaines, ces deux notions de sécurité et de liberté. Certains feignent de penser que tout renforcement de la sécurité se fait aux dépens de la liberté, et qu'en revanche, il faut se résoudre à payer toute extension des libertés individuelles par une croissance de l'insécurité. Dieu merci, il n'en est rien ! Le gouvernement ne vous propose pas de résoudre la quadrature du cercle. Liberté et sécurité sont solidaires : voilà le vrai. La sécurité est la première des libertés ; inversement, il n'y a pas de liberté sans une sécurité qui garantisse qu'on pourra en jouir, à commencer par la liberté de rester en vie, la liberté de garder son intégrité physique, la liberté d'aller et de venir. Il n'y a aucune contradiction à vouloir renforcer à la fois la sécurité et la liberté. La sécurité sans la liberté, c'est l'oppression ; la liberté sans la sécurité, c'est la jungle ! Telle est la conviction sur laquelle se fonde le projet de loi. Dans sa partie pénale, il étend la sécurité et garantit donc plus profondément la liberté. ».

Lionel Jospin, Premier Ministre socialiste, le 25 octobre 1997 à Villepinte : « Il n'y a pas de choix entre la liberté et la sécurité. Il n'y a pas de liberté possible sans la sécurité. Un État démocratique ne pourrait accepter que les moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité soient attentatoires aux libertés. ».

Avec tous les moyens technologiques actuels, les propos d'Alain Peyrefitte sont évidemment dépassés (et on notera qu'on disait déjà la même chose qu'aujourd'hui sur la montée de l'insécurité) et il est difficile de dire que la liberté est protégée si nous entrons dans une société d'ultrasurveillance et d'algorithmes. Mais cela devrait être au peuple de décider...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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