Le projet Hidalgo, révélateur du mal profond de la Ligue 1

par Laurent M
lundi 10 avril 2006

Le championnat de France de Ligue 1 présente actuellement l’une des plus faibles moyennes de buts des cinquante championnats européens, avec 2 buts par match. Phénomène récurrent et culturel, car au cours de la saison passée, la moyenne était de 2,18 buts par match, tandis qu’on marque cette saison 2 buts par match en Ligue 2, et 2,24 buts en championnat national. La Ligue de football professionnel a chargé Michel Hidalgo, ancien sélectionneur de l’équipe de France, de proposer des solutions pour lutter contre le manque de spectacle et la faiblesse offensive des clubs français.

Un travail assez farfelu, il faut l’admettre, qui préconise de créer artificiellement du spectacle, sans garantie, et surtout sans s’attacher aux causes profondes de cette situation. Car au-delà des mentalités frileuses du football français, il faut chercher des raisons à la fois financières, mais surtout infrastructurelles, juridiques et culturelles.


Les clubs français souffrent il est vrai d’une fiscalité moins avantageuse que ceux des plus grands championnats européens. Des charges plus importantes qui réduisent parfois les chances d’attirer ou de conserver un joueur convoité par des clubs étrangers. Ce qui ne facilite pas les chances de voir des joueurs offensifs de talent animer la Ligue 1. D’après un rapport du Sénat, en 2003 les clubs français subissaient un taux de cotisation d’environ 30%, contre 11% en Angleterre, 0,5% en Italie, 0,3% en Espagne et 0,2% en Allemagne. Il faut tout de même souligner une loi d’octobre 2004 sur l’exonération fiscale des joueurs professionnels en France au titre de droits d’image. Ainsi, pour les joueurs au salaire minimal de 120 000 euros bruts, 30% du salaire brut est assimilé au statut des « artistes », et échappe à toutes les cotisations sociales (sauf la CDG et la CDRS) ainsi qu’à l’impôt sur le revenu. De même faut-il relativiser la prétendue faiblesse financière de la Ligue 1, championnat bien moins spectaculaire que la Bundesliga où les droits TV sont pourtant nettement inférieurs (420 millions d’euros par an, contre 600 millions en France).

L’argument du calendrier est souvent avancé dans bon nombre de débats. Une trêve trop courte, et qui obligerait à jouer sur de mauvais terrains, de nombreux matchs décalés par les médias, des matchs de coupe placés au milieu d’une semaine de championnat... La LFP a tout de même décidé pour l’année prochaine d’allonger la trêve, et étudie la possibilité de faire jouer des matchs plus tôt le dimanche après-midi.

Il y a également le problème des conditions dans lesquelles se déroule le spectacle. La France connaît chaque hiver des difficultés avec ses terrains. Certains restent médiocres en toute saison, et ne favorisent guère le spectacle, comme ceux de Monaco, Bordeaux ou Ajaccio. D’autres terrains, mal entretenus ou mal protégés en hiver, deviennent un handicap indéniable. De nombreux stades sont également vieillissants, et les moyennes de spectateurs restent basses, relativement à la fréquentation des plus grands championnats ; seuls quatre clubs dépassent 30 000 spectateurs de moyenne. Ce facteur est à prendre en compte quand on connaît l’impact psychologique de quelques dizaines de milliers de supporters qui poussent leur équipe sans relâche. Encore faut-il un public de passionnés, qui vibre sans discontinuer, chose plus que rare dans un pays où le football n’est pas vécu avec la passion italienne et espagnole, ni avec la dévotion britannique. Même les stades en construction actuellement ne dépasseront guère 30 000 places, sauf dans le cadre du projet de Lyon. Enfin, il faut souligner l’importance des conditions d’entraînement. De nombreux pays étrangers ont des camps d’entraînement parfois truffés de haute technologie, quand en France certains s’entraînaient, il y a peu encore, dans des préfabriqués. La préparation et la récupération, la connaissance des profils physiologiques et technico-tactiques des joueurs, ne peuvent être que facilitées par du matériel de pointe, ainsi que par d’excellents terrains et centres d’entraînements. Tout ceci améliore les performances.

Au crédit des clubs français : ils sont régulièrement pillés par certains clubs étrangers. Parfois indemnisés, parfois pas, comme dans les « affaires » Mexés, Sissoko ou encore Flamini. Ces affaires prouvent que la France doit aussi défendre sa formation, et trouver les armes juridiques pour éviter ce pillage, qui s’effectue dès le plus jeune âge. Il faut aussi souligner le problème de dizaines de jeunes talents gâchés, partis trop tôt, ou au mauvais endroit, et qui mériteraient de meilleurs conseils (Meghni, Aliadiére, Le Tallec, Pongolle, Medjani, Alioui, Patrice Luzi, Alexandre Song, Kapo...), ou la responsabilité des clubs français qui font trop peu confiance à certains talents (Kanouté, Malbranque, Bréchet, Butelle, Clichy, N’Zogbia, Diaby, Adebayor...).

Il serait intéressant aussi de noter les erreurs de gestion d’effectif de certains clubs. Les seuls joueurs offensifs capables d’animer le championnat sont souvent bradés ou sous-estimés, tels Ronaldinho au PSG, puis Nonda parti gratuitement à la Roma. Les clubs français ont la fâcheuse habitude de miser des sommes folles sur d’illustres inconnus (tel le Rennais Luis Fabiano à 21 millions d’euros), quand ils ne préfèrent pas aux jeunes Français de pseudo-stars de championnats mineurs, tel le Marseillais Gimenez. La fuite des talents offensifs reste impressionnante : Sychev , Morientes, Cissé, Drogba, Saviola, Benjani, Adebayor et Giuly, parmi d’autres, sont partis voir ailleurs. En conséquence, les cinq meilleurs buteurs de L1 ont marqué 63 buts ; à titre de comparaison, en Allemagne 78, en Espagne 81, en Angleterre 86, en Italie 98 ! La Ligue 1 manque de buteurs, et ce n’est pas un règlement qui transformera des joueurs inefficaces en renards des surfaces. Certains invoqueront la qualité de nos gardiens, mais que dire de l’Angleterre où règnent Petr Cech (désigné meilleur gardien du monde en 2005 par l’IFFHS), Van der Sar (107 sélections, une ligue des champions, une troisième place en coupe du monde) et autres Lehman (potentiel titulaire avec l’Allemagne, vice-championne du monde en titre), Schwarzer , Dudek et Reina (tous trois dans le top 20 IFFHS en 2005). De même en Espagne (Casillas vainqueur d’une ligue des champions, ou encore Kameni, champion olympique et d’Afrique), en Allemagne (le mythique Kahn, mais aussi Hildebrand), ou en Italie (Buffon, meilleur gardien du monde 2004, Dida, champion du monde en titre, ou encore le Français Sébastien Frey ).

Enfin, vient le problème culturel. Des schémas tactiques frileux, des matchs joués pour ne pas perdre, une ambition souvent minimaliste symbolisée par un Guy Roux qui prétendait chaque année viser le maintien. L’animation de jeu implique rarement plus de trois ou quatre joueurs offensifs, les frappes lointaines sont peu nombreuses. L’arbitrage pourrait faciliter le spectacle, mais on ne laisse pas l’avantage aux attaquants sur les hors jeu litigieux, les tirages de maillots sont innombrables mais peu sifflés, les simulations et réclamations se multiplient, gâchent le spectacle et cassent le rythme des matchs.

La longue liste de ces problèmes concrets n’est pourtant que trop peu abordée. La Ligue a choisi d’étudier la possibilité d’instaurer, par un tour de magie, un peu de spectacle dans notre championnat. Mais le football français reste à la traîne ; derrière la locomotive lyonnaise, beaucoup de clubs perdent pied. Il serait temps de réagir et de valoriser le football, le spectacle, les maillots retirés après les buts, les stades pleins, les prises de risques et les dribbles de joueurs décomplexés. Pour le moment, seul le projet Hidalgo est perçu comme salvateur du football français, comme si demander à notre championnat d’être meilleur le rendait meilleur. Il est évident qu’il faut travailler à le rendre meilleur, et rejeter en bloc ce projet pour se concentrer sur un vrai travail de fond. Heureusement ces propositions ont été massivement critiquées par les entraîneurs, les joueurs et présidents. La survie et la renaissance du football français ne pourra venir que de la valorisation de ce qui fait l’essence même de ce sport : la volonté de gagner, et de s’en donner les moyens à tous les niveaux.


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