Bientôt un cours de breton sur TF1 ?

par Christian Le Meut
lundi 12 septembre 2005

« Génocide culturel » : Patrick Le Lay, PDG de TF1, lance cette accusation contre la politique de la France à l’égard de la langue bretonne. Les statistiques indiquent que l’on est passé d’1,2 million de bretonnants il y a un siècle à 250.000 aujourd’hui. Mais y a-t-il « génocide culturel » pour autant ?

M. Patrick Le Lay, P-D.G de TF1, a fait des déclarations fracassantes au magazine Bretons de ce mois de septembre, accusant la France de “génocide culturel” à l’égard de la langue bretonne. Il a déclaré également ne pas être “Français mais Breton” et se sentir “étranger quand il est en France”... Patrick Le Lay ne parle pas la langue bretonne que parlait son grand-père de Loctudy (Finistère). “Je ne parle pas la langue de mon grand-père” dit-il, et pourtant je n’ai pas quitté mon pays... Et le PDG de TF1 de parler de “terrorisme intellectuel”, je cite... “Il n’y a pas plus grand crime contre l’humanité, en dehors de tuer les gens, que de tuer leur langue”, rajoute-t-il... Ces déclarations ont été reprises brièvement par quelques journaux, comme Libération et Le Monde, qui n’ont, pour l’instant, pas cherché à aller plus loin à ma connaissance. Je ne crois pas non plus que TF1, ni LCI, aient repris les phrases de leur patron. Elles suscitent cependant des réactions sur le net... Du bilinguisme à l’unilinguisme ! Si un grand-père de M. Le Lay parlait breton, ce sont, en ce qui me concerne, mes quatre grands-parents qui avaient le breton pour langue maternelle, tout en sachant le français également. Nous n’avons, nous non plus, pas quitté notre pays, attachés à la Bretagne comme des berniques à leur rocher. Pourtant presque plus personne ne parle breton dans la famille. En deux générations, nous sommes passés du bilinguisme à l’unilinguisme (uniquement francophone) : c’est ça le progrès républicain ? La transmission ne s’est pas faite et le “terrorisme intellectuel” dont parlait Patrick Le Lay est passé par là... La situation de M. Le Lay, nous sommes de centaines de milliers à la vivre en Bretagne ; un peu exilés de l’intérieur. Car c’est bien notre langue d’origine que l’on nous a coupée, avec tout son contenu historique, humain, affectif, toute une façon de voir le monde et de l’exprimer, que l’on nous a volée, oui, volée, et que les institutions françaises nous ont, trop longtemps, interdit d’approcher. Durant mon enfance je n’ai que très peu entendu parler breton : aucune place à l’école, des miettes dans les médias. Une exclusion généralisée. Ethnocide ? Pour autant, le terme de “génocide culturel” me gêne. Ce terme est utilisé souvent, certes, mais il correspond à la définition d’un autre mot, “ethnocide”. On supprime une culture sans supprimer la population qui la portait... “Ethnocide” est moins fort que “génocide”, mais il est plus juste dans la situation de la Bretagne, à mon avis. Et moins porteur d’ambiguïté. Les génocides sont perpétrés par des pouvoirs en place en vue de supprimer tout ou partie de leur population. Les Juifs et les Tziganes par les nazis. Les Tutsis et les Hutus démocrates par la dictature rwandaise en 1995. Les Arméniens par la dictature turque il y a un siècle. Assimiler ces massacres de grande envergure, concernant des centaines de milliers de personnes, voire des millions, avec les politiques délibérées d’élimination d’une langue où personne n’est tué (quasiment), n’est pas juste et ne sert pas à décrire précisément ce qui se passe ici, encore aujourd’hui. Mes quatre grands-parents sont morts de mort naturelle, et j’ai pu en connaître deux. C’est quand même mieux que s’ils avaient tous fini dans les chambres à gaz... Cela dit, aucun Etat, surtout s’il se prétend démocratique, n’a le droit de pratiquer un ethnocide, de vouloir supprimer une ou plusieurs langues parlées sur son territoire. Les textes internationaux concernant les droits de l’Homme sur clairs là-dessus... Mais la France s’est bien gardée d’en signer certains... Les temps changent... un peu ; je partage probablement une colère proche de celle de Patrick Le Lay par rapport à ce que la démocratie française a fait contre la langue bretonne et contre les autres langues régionales. Mais je constate que la situation évolue un peu depuis vingt ans et, malgré tout, l’Etat finance aujourd’hui l’enseignement du breton dans les écoles bilingues, même s’il le fait à reculons... La pression vient d’en bas car, en haut, la République française ne se résout pas à signer la Charte européenne des langues minoritaires, signée par Jospin en 1998, mais refusée par le Conseil constitutionnel. Cette même colère peut m’aider à comprendre aussi le point de vue d’autres hommes en colère envoyés devant les tribunaux . Mais il faut dénoncer clairement la violence et le terrorisme, ce que fait Patrick Le Lay également. Il a lui-même montré que l’on peut faire avancer les choses en créant TV Breizh. Son amertume et sa colère viennent sans doute aussi du fait que cette télévision de qualité n’a obtenu aucune autorisation du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Aucune. Ni pour la TNT, ni pour des fréquences hertziennes locales comme à Nantes, alors même que des millions étaient investis pour créer, en Bretagne, des studios et sociétés de production. TV Breizh a réduit sa part bretonne ; elle a baissé en qualité et augmenté en audience. Les sociétés de production ont bien du mal à se maintenir mais l’outil de production est bien là. Des dessins animés et des feuilletons ont été doublés en breton, ce qui est très important pour les jeunes générations qui apprennent la langue et auxquelles France 3 n’apporte pas grand chose... Mais Patrick Le Lay est aussi l’auteur de ces célèbres phrases, je cite : “Dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...). Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (...)”. La télé, outil de "partage culturel" selon Malraux ...Je ne doute pas une seconde de la sincérité des propos de M. Le Lay concernant la langue bretonne, mais ils auraient beaucoup plus de portée et de crédibilité si TF1 ne véhiculait à travers ses émissions des valeurs très contestables, comme la compétition permanente, l’attachement servile aux apparences, l’absence de curiosité intellectuelle, le divertissement permanent au détriment de formation personnelle et citoyenne. André Malraux considérait la télévision comme, je cite “un instrument de partage culturel”... Quelle sorte de culture partage TF1 ? Et quelle image de la France véhicule cette chaîne et notamment le journal télévisé de Jean-Pierre Pernault ? Une France très folklorique et folklorisée. Cette chaîne est loin de montrer la diversité culturelle sur laquelle la France a été bâtie, de la Corse au Pays basque en passant par l’Alsace, la Normandie et la Franche-Comté ; elle est loin aussi d’en montrer la diversité actuelle avec toutes les populations issues de l’immigration... Si au moins, TF1 avait fait prendre conscience aux millions de Françaises et Français qui l’ignorent que les langues régionales sont des langues encore parlées, encore vivantes, les déclarations de M. Le Lay seraient cohérentes avec sa pratique. On en est loin ! Si jamais le P.-D.G. de TF1 veut glisser un cours de breton dans sa grille d’émissions, je peux lui indiquer des professeurs, notamment Albert, qui officie à Radio Bro Gwened (Pontivy). Imaginez donc avec moi, M. Le Lay, cinq minutes de breton entre la Star réac academy et Kaoc’h* Lanta, ça remonterait le niveau intellectuel de vos émissions, non ? Bon, pour ce qui est l’audience, c’est moins sûr ! Christian Le Meut * Kaoc’h, pour celles et ceux qui n’auraient pas de dico breton, mot en cinq lettres commençant par M....


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