Comment sortir de la voiture ?

par Emmanuel Delannoy
mardi 9 août 2005

Pendant que certains se mobilisent sur l’épineuse et ô combien complexe question de savoir « comment sortir du nucléaire ? », je m’interroge sur la question apparemment plus triviale, mais seulement apparemment, de savoir « comment sortir de la voiture ? ».

Pour ceux qui seraient tenté de me la faire, je ne veux pas dire « tirer la poignée pour ouvrir la portière ». La question est hélas beaucoup plus difficile que ça.

Comme le disait Ivan Illich, la voiture a créé des distances qu’elle est la seule à pouvoir franchir. Elle est pour nos sociétés une drogue dure dont elles ne peuvent se passer. Elle est pour nos villes un cancer qui les ronge par sa prolifération incontrôlée, comme la prolifération incontrôlée des cellules cancéreuses dévore un organisme malade. Elle a pris une place tellement évidente dans notre inconscient collectif (devrait-je écrire « inconscience collective » que la simple suggestion de réduire les privilèges qu’elle s’est arrogée paraît à beaucoup totalement incongru. Et elle reste hélas, dans l’imaginaire de beaucoup (et la publicité entretient avec talent ce mythe), synonyme de liberté, d’indépendance, de puissance, voire de sécurité (et pourtant ...).

Et pourtant : Dois-je rappeler les chiffres sur le nombre de tués chaque année dans le monde (pourquoi se limiter à la France), ou de personnes gravement mutilées et handicapées à vie ? Dois-je insister sur la douleur inconsolable des parents et proches des victimes ? Que dire de l’impact qu’elle a sur les grandes villes ; devenues inhospitalières à ses habitants, tant la place qu’elle prend sur l’espace public, tant le bruit et les nuisances qu’elle génère, tant la pollution de l’air et la violence des comportement qu’elle engendre sont devenus incontrôlables. Prenez un homme doux, calme, tempéré, et plongez le deux heures par jour dans les bouchons d’une grande ville, et vous en ferrez au mieux un parfait goujat, au pire une brute inconsciente. Que dire enfin de l’impact de nos chères automobiles sur le changement climatique qui ne fait que commencer, et dont l’ampleur des drames qu’il provoquera reste la seule incertitude ?

Il y aurait bien des solutions, des alternatives à trouver, notamment en urbanisme, ou dans la gestion des transports en commun, ou encore en favorisant les modes de transports individuels alternatifs : piétons, bicyclette, vélomobiles, voire véhicules léger à assistance électrique. Mais toutes ces idées sont à contre courant des tendances actuelles, et les mesures à prendre seront forcément impopulaires, surtout pendant une phase de transition qui nécessitera un cocktail de mesures visant à décourager l’usage de la voiture, à encourager celui des transports en communs, et d’investissements et de travaux public d’aménagement, forcément générateurs momentanément de nuisance.

Alors que nos constructeurs automobiles devraient travailler à des véhicules plus léger (Est-il rationnel de déplacer une, voire deux tonnes d’acier pour transporter une personne et son attaché case ?), les voitures sont de plus en plus hautes, larges, longues et lourdes. Les créatifs de pub ont tellement bien travaillé que les gens ne veulent pas de voitures qui seraient plus légères et moins puissantes, alors qu’elles satisferaient largement leurs besoins, mais qu’ils assimileraient à des voitures dangereuses (alors que c’est tout le contraire, les statistiques américaines démontrent que les 4x4 sont plus dangereux aussi pour leur conducteurs).

Le train : Tant d’éléments concourent aujourd’hui à en décourager l’usage : Entre une tarification souvent absconse (pourquoi mon abonnement mensuel me coûte t’il plus cher que l’achat de billets à l’unité ?), le vieillissement du réseau secondaire en province (que dire de l’état de certains TER ou de l’insuffisance des voies face au trafic), les incidents techniques à répétition, les grèves, voire maintenant les alertes à la bombe (je suis resté coincé dans mon train ¾ d’heure à la Gare St Charles, ce matin).

Le bus : Sans voies réservées, il est bloqué dans les mêmes bouchons que les voitures. Autant aller à pied bien souvent. Et je ferais la même remarque sur la tarification que pour le train. Certes, des abonnements avantageux pour les salariés existent. Et que fait-on quand on n’est pas salarié ?

Au risque de prendre une position provocante, je pense que la gratuité des transports en commun, sans dégradation de service mais au contraire en recherchant une forte amélioration du service et des rotations, est une mesure indispensable et dont les bénéfices pour la collectivité seront réels. Cette gratuité n’aura rien de dévalorisant pour les employés des sociétés de transport. Au contraire, la valeur collective de leur travail augmentera en même temps que les bénéfices pour la collectivité se feront ressentir.

Quand au vélo, à ma chère petite reine, c’est souvent un acte d’héroïsme individuel que de la choisir comme moyen de transport quotidien. Il faut se battre pour qu’on vous laisse le peu de place dont vous avez besoin sur la chaussée. On a l’impression désagréable d’être invisible, tant les automobilistes vous forcent le passage, déboîtent lorsque vous les doublez, vous serrent contre le trottoir, voire vous balancent leurs mégots dessus ou vident leurs cendrier sur vos mollets.

Un peu de courtoisie serait bienvenue. Peut être sera-t-elle le déclic qui permettra de changer le regard des automobilistes sur les autres usagers (piétons et cyclistes), et d’accepter de partager la rue ? Peut être ce déclic sera-t-il le premier pas vers une nouvelle responsabilité, et le début du renoncement à une forme d’urbanisation et de politique de transports individuels désormais obsolète et de toute façon condamnées ?

Contrairement à l’assertion « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis », ce qui est bon pour l’automobile ne l’est pas pour l’humanité, ni même pour l’économie, contrairement à ce qu’on entend encore.


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