Confisquer la parole

par C’est Nabum
mercredi 15 mars 2023

 

Les décibels pour seule expression.

Le mûr mur du son.

 

Qui s'indigne des éclats de voix de nos assemblées parlementaires indignes, ne peut se satisfaire également de la manière dont se déroulent les manifestations contre la réforme des retraites. Tandis que le peuple souverain, dans la dignité, contre vent, froid et indifférence du pouvoir, se regroupe en masse pour exprimer sa colère, les organisations syndicales jouent des décibels pour se faire entendre.

Si les manifestants marchent, la tête haute, quelques énergumènes encartés préfèrent les accompagner dans des véhicules transformés en sono mobile. C'est là leur conception du débat démocratique : assommer le quidam en couvrant sa voix, en lui crachant aux oreilles les mêmes chansons énervées, oubliant par la même et sans doute, faute de le connaître, le magnifique répertoire des chansons de lutte.

Il faut faire jeune, moderne, énergique et surtout énormément de bruit. Si ça ne suffit pas, se pensant sans doute dans un stade de football, ils ponctuent les flots assourdissants de pétards et de bombes agricoles. Leur nostalgie des coups d'état s'exprime sans doute de la sorte. Malheur du reste à qui va leur demander de couper un peu le son, il sera regardé comme une bête curieuse, un ennemi de la classe ouvrière.

Car il est acquis pour eux que la classe ouvrière se reconnaît dans ce vacarme et plus encore derrière les slogans basiques, réducteurs, imbéciles qui sont beuglés par des agitateurs qui ne savent pas penser ni s'exprimer sereinement. C'est là sans nul doute l'école des quelques agités du bocal qui font notre honte dans les travées du parlement.

Le débat n'a pas besoin de ce bruit informe, de ce vacarme pour couvrir les conversations informelles que tiennent des manifestants las d'une telle hystérie. Est-il étonnant que les organisations syndicales agissent comme les membres du gouvernement en confisquant la parole ? Sans nul doute, c'est là le principe essentiel de cette République, nos voix ne sont prises en compte que dans les urnes et encore, après bien des manipulations. Ensuite, une chape de plomb couvre la parole citoyenne et s'il le faut, le vacarme des médias et de sonos syndicales.

Je rêve d'un cortège où des animateurs tendent un micro aux anonymes qui durant le cortège exprimeront calmement et sans assourdir les autres, qui un témoignage, qui une opinion, qui une proposition. Mais tout comme dans les fameux comités citoyens du grand Méprisant de l'arrêt public, l'opinion de la base n'a pas sa place dans le débat.

Alors, toujours plus fort et jamais tous ensemble, les quelques excités du microphone, beuglent, hurlent, vocifèrent sans nuance ni pertinence des slogans souvent dupliqués d'un conflit à l'autre avec de très légères variantes. C'est du matraquage, du conditionnement digne de l'armée. Point de remise en cause de la pratique, le conservatisme sévit plus encore dans les rangs des agitateurs patentés.

Le manifestant n'a plus qu'à fuir ce grand bazar, cette zone de non parole pour rejoindre les plus nombreux, ceux qui profitent de ce moment pour se parler et détail souvent ignoré en politique, s'écouter et s'entendre.

Je devine l’ire et l'incompréhension des pasionarias de la sono, des chantres de la contestation calibrée si jamais ils lisaient ce brûlot impérialisme et social traître (je reprends leur lecture basique du monde). Le risque cependant est inexistant. Leur capacité de réflexion s'arrête au niveau sonore auquel il convient d'abrutir leurs semblables et eux-mêmes. Le mal est fait tandis que de mon côté, je sais pourquoi mes oreilles sifflent si fort.

À contre-son.


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