Filtrage automatique des contenus en France : au-delà du principe.

par naje
lundi 19 septembre 2005

Selon l’association IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire), le gouvernement français aurait l’intention d’instaurer le 22 septembre prochain, par une mesure législative, le filtrage automatique et par défaut de l’accès à l’information en ligne, au prétexte de la protection des mineurs. Les promoteurs de ce projet savent-ils vraiment de quoi ils parlent ?

Par un communiqué de presse du 16 septembre, l’association IRIS alerte sur un éventuel projet d’amendement à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui devrait être annoncé jeudi 22 septembre 2005 et consiste en la création d’une obligation faite aux FAI de mettre en place de façon systématique, généralisée et activée par défaut, des systèmes de filtrage de l’accès à l’information en ligne, au motif de la protection des mineurs.

Face à l’opposition des FAI, le promoteur de cette mesure, délégué interministériel aux usages de l’Internet, affirme dans un entretien à ZDnet "qu’il convient de fixer le principe, et qu’ensuite, on verra pour les modalités d’application" ; et ce n’est pas sans humour que le représentant de l’AFA, cité par 01net, rétorque que la solution sera que chaque FAI vienne chez l’abonné, mette le pied dans la porte et installe un logiciel.

Au-delà des questions d’éthique, très justement soulevées par IRIS dans son communiqué, ainsi que par le journaliste de 01net qui ne manque pas de relever quelques heureuses coïncidences dans ce débat, c’est sur cette phrase du directeur de la délégation interministérielle que je voulais, en tant que citoyenne, m’arrêter quelques instants.

La loi, selon le dictionnaire Larousse, est une "prescription applicable à tous fixant les droits et les devoirs de chacun" ; alors, que faut-il comprendre par "ensuite on verra pour les modalités d’application" ?

Je vois ici deux hypothèses : soit elles ne sont pas vues, et dans ce cas il y a une absence grave de professionnalisme dans le travail gouvernemental ; soit elles sont déjà vues, et, dans ce cas, il y a tentative de dissimulation sur laquelle on peut s’interroger.

L’absence de définition des modalités d’application : la création d’une prescription inapplicable.
L’hypothèse d’une absence de définition réelle des modalités d’application au moment de la proposition d’un texte de loi semble pour le moins surprenante, sauf à chercher délibérément à instaurer une obligation dont on sait qu’elle ne sera pas respectée, ce qui revient à dénaturer gravement la nature même des lois.

S’agissant d’un texte proposé par un organisme interministériel, donc parlant au nom de l’ensemble des administrations, on peut s’interroger à la fois sur la compétence de l’administration, et sur la vision qu’elle a de l’outil législatif, précisément à l’heure où le gouvernement annonce vouloir "supprimer au moins 130 lois obsolètes ou inutiles".

En réalité, cette hypothèse est peu crédible, et il semble beaucoup plus probable que les modalités en question aient été déjà étudiées avec précision : c’est d’ailleurs ce qui ressort des articles déjà publiés sur le sujet.

La dissimulation des modalités d’application : une tentative de coup de force législatif ?
Tout en laissant entendre que les modalités d’application ne sont pas définies, le directeur de la délégation interministérielle n’hésite pas à les détailler, ce qui confirme bien qu’elles ont été précisément envisagées.

Elles sont au nombre de deux :

- un logiciel de contrôle intégré directement au niveau du réseau des FAI (sur les proxies),
- un logiciel de contrôle parental installé sur les CD de connexions que fournissent les FAI ou téléchargé automatiquement lors de la mise en service.

Dans les faits, le logiciel de contrôle parental installé ou téléchargé lors de la mise en service ne règle absolument pas le cas des utilisateurs déjà abonnés. En d’autres termes, il n’est pas suffisant pour permettre aux FAI de se mettre en conformité avec le projet de loi, qui prévoit pour eux l’obligation de mettre en oeuvre auprès de tous leurs abonnés. C’est bien ce que souligne avec humour le représentant des FAI.

La terminologie n’est pas anodine : on parle de mise en oeuvre, pas de mise à disposition, et de tous les abonnés, pas seulement des nouveaux. On en revient donc à la problématique précédente : sauf à ce que l’intention du gouvernement soit de promouvoir délibérément une loi dont il acceptera qu’elle ne soit appliquée qu’en partie, l’une des solutions avancées par le directeur de la délégation n’est que poudre aux yeux, sur les motivations de laquelle il y a de quoi s’interroger ...

En réalité, la véritable solution réside en la remise en place au niveau des serveurs de tous les FAI de proxys permettant de conditionner la navigation de l’utilisateur aux critères d’accès définis par l’administrateur du proxy (en l’occurrence le FAI). Quelques exemples existent dans le monde : la Chine et quelques autres pays bien connus pour leur empressement à respecter les droits de l’homme.

On comprend bien qu’il y ait tentative de dissimulation de cette solution extrême : l’obligation de filtrage des serveurs des FAI est clairement un contrôle exercé par l’autorité sur les contenus circulant sur Internet. Un tel contrôle a un nom très simple : ça s’appelle de la censure, d’autant plus dangereuse qu’elle s’appuiera sur des critères totalement subjectifs ("mettant en péril les mineurs"), dont personne ne sait, d’ailleurs, qui les définira.

Soit nous sommes face à une incompétence effrayante, soit nous sommes face à une tentative de censure non moins effrayante. La protection des mineurs mérite largement mieux que de telles absurdités ; il faut espérer que, à l’heure de devoir les annoncer, jeudi prochain, le premier ministre Dominique de Villepin ait le sursaut républicain qui s’impose, qu’on peut attendre de lui, et enterre sans hésiter à la fois le projet, et ses promoteurs.


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