Le diesel en question

par Patrice Miran
vendredi 30 décembre 2005

En catimini, le 23 décembre dernier, le Sénat a parachevé l’intense campagne de lobbying menée depuis des mois par les constructeurs français en faveur des véhicules diesel et contre le GPL. Désormais, seuls les véhicules dégageant moins de 140 g de CO2 par kilomètre pourront bénéficier du crédit d’impôt "voiture propre". Ainsi, tous les véhicules diesel de faible puissance ( jusqu’à 5 chevaux à peu près) et satisfaisant aux nouvelles normes Euro 4 en termes d’émissions de particules vont bénéficier de cette disposition, alors qu’à l’inverse, les véhicules GPL au-dessus de cette puissance ( soit 65 sur les 70 jusque-là aidés) se verront retirer tout soutien. Cette décision, couplée au fait que la France reste l’un des pays où le différentiel de prix à la pompe entre GPL et autres carburants est le moins intéressant, risque de porter un coup d’arrêt au renouveau de la filière observé ces deux dernières années ( + 25 % en 2004). Il est vrai que le paysage automobile français n’a jamais offert un visage vraiment écologique : après avoir résisté, durant les décennies 1970-1980, à l’essence sans plomb, nos constructeurs ont réussi à nous vendre du diesel à tour de bras, faisant du parc français l’un des plus diésélisés au monde (45 % des véhicules légers en 2004) et à l’inverse, l’un de ceux les moins réceptifs au GPL (0,6 % des automobilistes français en 2004, contre1,88 en Belgique, 3,56 en Italie, 4,78 aux Pays-Bas, 8,57 en Pologne et 18,51 en Turquie).

A l’origine de cette dérive, deux idées fausses :
.L’une ancienne : le moteur diesel a un meilleur rendement que le moteur atmosphérique. En théorie, c’est vrai. Mais en pratique, et en considérant l’ensemble du processus d’utilisation des véhicules, c’est très discutable. D’une part, il faut plus de pétrole pour fabriquer un litre de gazole qu’un litre d’essence. Ce qui signifie que le fait d’évaluer les consommations en litres, et non en kilogrammes, biaise les comparaisons diesel/atmosphérique. D’autre part, les exigences de puissance maximale imposées par les constructeurs (et par leurs clients) génère des conditions de combustion qui limitent le rendement théorique. En effet, elles obligent les soupapes d’échappement à s’ouvrir très tôt, ce qui veut dire que les gaz refoulés n’ont pas fini de brûler. Les filtres à particules n’arrangent rien, car ils créent une contre-pression qui s’oppose à l’évacuation des gaz brûlés du cylindre.

.L’autre, plus récente : maintenant que tous les moteurs diesel sont équipés de filtres à particules, le problème numéro 1, c’est le CO2 .De fait, la sur-émission de CO2 des moteurs atmopshériques peut très bien être diminuée si on améliore l’injection. C’est dans ce sens que s’orientent certains constructeurs à l’étranger (Dae Woo par exemple), pas les nôtres. De plus, les moteurs diesel émettent des polluants tout à fait spécifiques, qui ne sont pas (ou très peu) concernés par les filtres à particules :


.ils émettent entre 25 et 400 fois plus de particules de carbone noir que les moteurs atmosphériques. Or, ces particules sont de plus en plus considérées comme une des causes importantes du réchauffement climatique (cf. l’article de Jacobson, dans le numéro 107 du J.Geophysics.Res. 2002)
.ils émettent des benzopyrènes cancérigènes (en quantités insignifiantes dans les moteurs atmosphériques)
.ils renforcent le pouvoir allergène des pollens
.ils émettent entre 20 à 30 fois plus de NOx que le GPL (résultats EETP, European emission test program, étude réalisée en 2003 par quatre laboratoires indépendants dans le cadre d’un programme de recherche européen)

De plus, les filtres à particules n’arrêtent pas les micro-particules qui sont les plus dangereuses, car, en raison de leur faible taille, elles traversent la barrière pulmonaire et provoquent des cancers dans des organes éloignés de celle-ci (cerveau notamment). Enfin, dans notre pays, une majorité de véhicules diesel roulent sans filtre. Le résultat, selon l’AFFSE, c’est 31 700 cancers (chiffre pour l’année 2000).

Certains pays ont pris la mesure de la gravité de la situation :
.Japon : interdiction de la circulation de véhicules diesel dans l’agglomération de Tokyo, promotion de la conversion diesel/essence ou GPL
.Norvège : le ministère des Transports prépare un train de mesures dissuasives vis-à-vis du diesel
.Danemark : instauration d’une taxe spéciale "diesel" de 8000 couronnes (1100 euros) par an et par véhicule
.Etats-Unis : le ouvergnement prépare également des mesures contre les poids lourds diesel

Mais, en France, où le ministre de l’environnement lui-même (c’était, en septembre 2003, l’inénarrable Roselyne Bachelot) annonce fièrement la disparition de la filière GPL pour fin 2005, et où la politique des transports se joue entre ingénieurs des Ponts du ministère des transports et ingénieurs des Ponts pantouflant chez les constructeurs, on attend toujours une inflexion de la déferlante diesel, qui représente aujourd’hui près de 70 % des immatriculations nouvelles.


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