Ne pas ignorer la science !

par Pierre Bilger
mercredi 7 septembre 2005

Alors que les jours qui passent révèlent l’ampleur de la tragédie provoquée par Katrina, la recherche des responsabilités commence. Chacun s’accorde déjà à constater que les effets du cyclone auraient été beaucoup moins dévastateurs si les préoccupations des scientifiques concernant l’aménagement des marais et le renforcement des digues entourant La Nouvelle-Orléans avaient fait l’objet d’une attention adéquate, et avaient conduit les autorités publiques à engager les actions de prévention nécessaires en temps opportun.

De même à une échelle encore plus vaste : cela fait environ un quart de siècle que certains scientifiques alertent les responsables politiques sur les risques que fait courir au climat l’accumulation de certains gaz dits à effet de serre. Depuis dix ans, c’est l’ensemble de la communauté scientifique qui s’inquiète et presse les politiques d’agir. Les conséquences graves et potentiellement irréversibles du niveau actuel des émissions ne sont guère plus contestées : sécheresses, inondations, fonte de la calotte polaire et des glaciers sont autant de modifications que les modèles commencent à cerner à l’échelle des continents, même s’il est plus difficile de les appréhender à l’échelle des zones régionales comme la France.

Pour arrêter ce processus destructeur, il faudrait cesser à l’horizon 2050 d’augmenter la concentration de gaz carbonique présent dans l’atmosphère et diviser par deux nos émissions actuelles au niveau planétaire, et donc par trois à cinq dans les pays développés. Les scientifiques nous l’ont dit et continuent à nous le dire, mais peut-on considérer qu’à l’échelle de la planète, l’engagement soit suffisant pour traiter cette question qui menace, sans forcer le langage, l’avenir de l’humanité ?

Pol Mouzon signalait hier soir dans un commentaire sur ce blog l’article publié dans Le Soir de Bruxelles par Jeremy Rifkin, qu’il a reproduit sur son propre blog (après avoir cliqué sur le lien précédent, cliquer sur IVC02, puis sur le point 4 du menu proposé) et qui rapproche de manière très éclairante les deux questions précédentes.

Dans un autre ordre d’idées, il est clair, pour les économistes qui savent réfléchir et parler d’autre chose que de la météo conjoncturelle ou de la vulgate libérale, que, depuis dix-huit mois au moins, sinon davantage, le monde fait face à un choc pétrolier de grande taille, comme vient de le confirmer le chef économiste de l’OCDE, Jean-Philippe Cotis, lors d’un point de presse, choc qui se transformera bientôt en tsunami énergétique.

C’est autour de ce constat qui ne trouvera pas sa réponse dans les forces du marché, bien incapables de prendre en compte des échéances et des actions, s’étalant inévitablement sur plusieurs décennies, que devrait s’organiser toute la politique économique pour que notamment l’Europe et la France retrouvent le chemin de la croissance et préparent correctement l’avenir du continent. Peut-on se satisfaire de la manière dont cette autre évidence est actuellement prise en compte, et du temps qui passe sans que les autorités européennes et nationales donnent à la riposte requise la dimension nécessaire ?

Chris Mooney, chroniqueur scientifique au magazine américain American Prospect, expliquait à Corine Lesnes dans Le Monde du 6 septembre 2005 , à propos du réchauffement climatique et du désastre de La Nouvelle-Orléans : l’administration tronque les données scientifiques. Si elle disait simplement que c’est le protocole de Kyoto qu’elle rejette, et non toute la grille d’évaluation sur le réchauffement, alors on pourrait argumenter sur le plan économique. Au lieu de cela, elle publie des informations erronées sur les sites Web gouvernementaux. Et elle fait des corrections dans les rapports scientifiques produits par les agences comme l’EPA (Environmental Protection Agency). Elle a révisé une très importante étude publiée en 2000, "L’Evaluation nationale", qui passe en revue les différentes régions, dont le Sud, et leur vulnérabilité au réchauffement climatique. Le document n’est pas cité, des références en ont été enlevées et l’agence a mis un avertissement affirmant que ce document n’offre pas toutes les garanties de qualité. Mais, dans le cas de La Nouvelle-Orléans, le problème n’est pas que la science ait été déformée. Là, elle a simplement été ignorée. Or il faut utiliser la science si nous voulons protéger le public ainsi que l’environnement.

On ne saurait mieux dire : la science ne doit pas être déformée, ni manipulée à des fins intéressées ou partisanes ; elle doit être écoutée et entendue. La difficulté est que ses messages relèvent en général du long terme et que leur mise en oeuvre requiert souvent, de la part des hommes politiques, beaucoup de lucidité, d’abnégation et de courage, tant les actions requises peuvent être exigeantes et leurs effets positifs, dilués dans le temps. Est-il naïf d’espérer que, dans nos pays, surgissent des débats démocratiques, des dirigeants capables de se construire politiquement sur de telles qualités ?


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