Philippe De Gaulle, l’impossible Compagnon de la Libération

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 28 décembre 2023

« Quelques jours après que mon père a clôturé l'Ordre, en 1946, décernant 1 061 croix et réservant une médaille à Churchill, il m'a confié : "Je ne peux pas te décerner une décoration de l'Ordre que j'ai créé. Tout le monde sait que tu es le premier des compagnons". » (Philippe De Gaulle, le 24 novembre 2019 dans "Paris Match").

L'amiral Philippe De Gaulle, le fils du Général Charles De Gaulle, fête son 102e anniversaire ce jeudi 28 décembre 2023. Au-delà d'avoir été le fils de son père, d'avoir eu un mandat de sénateur de Paris à sa retraite, Philippe De Gaulle a été aussi un grand militaire de la flotte française. Il n'a pas hésité à se rendre à Londres pour s'engager dans la Résistance dès le 19 juin 1940. Il n'avait pas entendu l'appel de son père et il n'avait pas été non plus encouragé à résister, car, pour son père, c'était naturel et il n'y avait rien à en dire.

Quand le Général De Gaulle a créé l'Ordre de la Libération, le 16 novembre 1940, en sa qualité de chef de la France libre, pour « récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se sont signalées dans l'œuvre de libération de la France et de l'empire », il n'imaginait pas qu'il commettrait une énorme injustice morale en refusant à son fils ce titre de Compagnon de la Libération. 1 038 personnes ont ainsi été récompensées dont 271 à titre posthume (et seulement 6 femmes !). C'est le second ordre le plus important derrière l'Ordre de la Légion d'honneur dans le protocole.

Depuis le 23 janvier 1946, plus personne ne peut recevoir le titre de Compagnon de la Libération et il était prévu que le dernier survivant, à sa mort, serait enterré au Mont Valérien dans un emplacement qui lui a été réservé. L'avant-dernier fut Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, et, modeste, il ne voulait absolument pas un lieu d'inhumation aussi prestigieux (heureusement, le destin a voulu qu'il ne fût pas le dernier), et le dernier fut Hubert Germain, un ancien ministre pendant la Présidence de Georges Pompidou (membre des trois gouvernements de Pierre Messmer), qui s'est éteint le 12 octobre 2021 à l'âge de 101 ans et qui avait accepté de bonne grâce de représenter symboliquement l'ensemble de la Résistance au Mont Valérien.

Pourtant, Philippe De Gaulle aurait dû être, lui aussi, Compagnon de la Libération. Il aurait été évidemment difficile d'imaginer qu'il serait enterré au Mont Valérien sur une idée de son père, mais il mériterait néanmoins que son action de résistant de la première heure fût reconnue aussi justement que les autres.

Son père lui avait déclaré simplement : « On ne t'a pas proposé ! » après un réunion de l'instance chargée d'attribuer cette récompense. Plus exactement, selon les Mémoires de l'amiral (sorties chez Plon en 2000), son père lui a dit : « Naturellement, je ne pouvais pas, toi mon fils, te faire Compagnon de la Libération. Sinon à titre posthume ou si tu étais revenu gravement mutilé, et encore ! D'ailleurs, j'ai nommé un conseil de l'Ordre qui ne me l'a pas proposé et maintenant c'est terminé… sauf pour la Croix qu'on réserve à Churchill. ».

Philippe De Gaulle n'a même pas reçu la Médaille de la Résistance, pour la même raison. De Gaulle ne voulait surtout pas qu'on parlât de favoritisme et donc s'empêcha de récompenser son fils même lorsqu'il le méritait. C'est un peu le syndrome de l'anti-népotisme que décrit bien le 27e album de Lucky Luke "Le 20e de cavalerie" réalisé par Morris et Goscinny en 1965 (éd. Dupuis) avec le colonel McStraggle dans le rôle de De Gaulle.

Le 23 juin 2023, le groupe Les Républicains à l'Assemblée Nationale a déposé une proposition de résolution (n°1401) pour réparer cette injustice historique. La proposition demande l'intégration de Philippe De Gaulle dans l'Ordre de la Libération : « Après une longue carrière et un engagement exemplaire, la France retient que le Général De Gaulle a toujours refusé de décerner la médaille de la Résistance à son fils Philippe, tout comme il lui a refusé le titre de Compagnon de la Libération. Un refus justifié par la simple inquiétude de se voir reprocher un acte de népotisme. La France doit reconnaître ses héros. L’engagement de Philippe De Gaulle dans la Libération doit être reconnu. ».



La texte retrace alors toute la carrière militaire de Philippe De Gaulle, en commençant par ses premières années : « À 18 ans, le concours de l’École navale qu’il prépare est interrompu par la guerre. Refusant d’accepter la défaite, il embarque pour l’Angleterre le 18 juin 1940 afin d’y continuer la lutte. Philippe De Gaulle apprend, lorsqu’il débarque au port de Falmouth le 19 juin au matin, que son père vient de lancer un appel à la résistance. Il est alors l’un des premiers de ceux qui s’engageront pour poursuivre la lutte, que l’on nommera les "Français libres". Le Général, isolé après la signature de l’armistice et condamné à mort par un tribunal militaire, peut compter sur le soutien indéfectible de son fils qui sera à ses côtés lors du deuxième appel à la BBC, le 22 juin. Philippe De Gaulle s’engage ensuite dans les Forces navales françaises libres. ».

À 102 ans, il est temps que la France reconnaisse le grand courage de Philippe De Gaulle. En guise de cadeau d'anniversaire !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 décembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Entre père et mer.
L'autre De Gaulle.
La mort du père.
Le théorème de la locomotive.
Philippe De Gaulle.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Le songe de l’histoire.
Vive la Cinquième République !
De Gaulle et son discours de Bayeux.
Napoléon, De Gaulle et Macron.
Pourquoi De Gaulle a-t-il ménagé François Mitterrand ?
Deux ou trois choses encore sur De Gaulle.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.


 


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