L’empereur Constantin et le temple de Toulouse

par Michel Lebarillec
jeudi 23 mai 2024

Extrait de mon livre Le roi et le graal.

On sait qu’en 310, l’empereur Constantin eut une vision du dieu Apollon dans un temple qui lui était dédié. Dans La Religion des Gaulois paru en 1727, le révérend-père Jacques Martin défend la thèse que ce fameux temple n’était autre que celui qui occupait l’emplacement de l’église de la Daurade :

Je finirai en disant que c'est de ce Temple des Gaules si vanté, que j'entens ces paroles d'Eumenius, que Constantin après s'être saisi à Marseille d'Hercule son beau-père, qui l'avoit lâchement trahi, avoit débauché ses troupes, & repris la pourpre pour la troisième fois, fut exprès rendre grâces du succès de cette expédition au plus beau Temple d'Apollon qui fût dans le monde. Les raisons sur lesquelles je me fonde sont : 1) Qu'on ne connoît dans les Gaules nul Temple auquel on puisse mieux appliquer les paroles du Panegyriste, que celui de Toulouse. 2) Que Constantin fut obligé de se détourner de son chemin pour se rendre à ce Temple, ubi deflexiffes ad Templum. Constantin s'en retournoit sur le Rhin, pour achever d'y faire construire le pont qu'il avoit commencé, & auquel il étoit occupé quand il apprit la révolte d’Hercule. Or c'étoit vraiment se détourner que de venir de Marseille à Toulouse pour reprendre le chemin de la Germanie. 3) Qu'à ce Temple, le plus beau qui fût dans le monde, il y avoit des Prêtres devins, qui prédisoient l'avenir ; Vatum carmina divina cecinerunt. Mais les Auteurs qui parlent de l'or de Toulouse, assurent que ce n'étoit que par les conseils des Devins, que cet or avoit été jetté dans des Lacs. 4) Enfin que la réflexion que fait Eumenius sur les richesses & la quantité des dons que Constantin fit au Temple d'Apollon, ne put, ce semble, tomber que sur l'impiété & le sacrilège que commit Cepion en enlevant l'or de Toulouse. Car l'Orateur dit en s'addressant à Constantin : Vous avez Seigneur, fait de si riches presens à cet auguste Temple, qu'on ne regrete plus les premiers.

A cette argumentation assez fragile, il faut surtout ajouter la notoriété du temple à l’époque qui est confirmé par Alexandre Dumège :

Possidonius ajoute qu’il y avait à Toulouse un Temple fort célèbre, qui était en vénération chez tous les peuples voisins, et que c'est par là que le trésor en devint très considérable.

On retrouve la même déclaration dans Géographie de Strabon :

Le temple de Tolossa, vénéré comme il était de toutes les populations à la ronde,…

D’autres temples comme pouvant être celui où Constantin eut sa révélation sont bien sûr cités. On en a un bon échantillon dans cet extrait de La mort de Maximien, d'après le panégyrique de 310 et la vision de Constantin au temple d'Apollon d’Edouard Galletier publié en 1950 :

Le lieu de la rencontre entre le dieu et le mortel pose un problème délicat auquel on a donné des solutions diverses et toutes aussi incertaines : don Martin songeait à Toulouse et P. Batiffol à Tréves. Entre ces points extrêmes, le P. de la Baune, suivi par l'abbé Rochet en 1854, proposait Autun et l'éditeur Cellarius, en 1703, hésitait entre Lyon, Vienne ou une autre ville de cette même région. Nous ne retiendrons pas davantage le nom de Nîmes pour les raisons que nous avons exposées et pour l'obscurité qui entoure à Nîmes le culte d'Apollon. M. Orgels, qui ne dissimule pas du reste ces difficultés, estime que l'expression du panégyriste, « le plus beau temple du monde », ne saurait convenir qu'au sanctuaire d'une grande ville et nullement à un fanum de campagne. Peut- être ne convient-il pas de prendre à la lettre cette expression laudative : pour un orateur d'Autun, parlant à Trêves devant l'empereur, le sanctuaire d'Apollon situé dans cette partie des Gaules, où le prince était allé s'acquitter de ses vœux, devait nécessairement apparaître comme le plus beau du monde. Et puis, c'est exagérément rabaisser l'importance du temple d'Apollo Grannus à Grand que de le qualifier de « fanum de campagne ». M. Orgels convient lui-même que Grand était une ville d'eau célèbre. C'est donc l'hypothèse, brièvement suggérée dans une note par C. Jullian, qui nous paraît la plus acceptable, sans que l'on puisse y attacher une certitude absolue : revenant avec ses troupes par la grande route militaire Lyon-Trèves, Constantin l'abandonna, avant d'arriver à Neufchâteau, au pays des Leuques, et prit sur sa gauche pour aller, à une vingtaine de kilomètres, rendre visite au sanctuaire d'Apollon à Grand. Cet écart s'exprime parfaitement dans le terme de deflexisses employé par l'auteur du panégyrique ;

Le fait de citer Constantin est l’occasion d’évoquer la basilique Sainte Sophie à Istambul, voulue par l’empereur en l’année 330 : l’édifice doté d’une coupole et décoré de magnifiques mosaïques est sans doute lui aussi construit sur un ancien temple d’Apollon et servait également lors des cérémonies de couronnement des empereurs.

La présence d’un temple d’Apollon à Toulouse pourrait même éclairer d’un jour nouveau l’étymologie de la ville. Car avant de s’appeler Toulouse, jusqu’au XVIIe siècle la ville se nommait Tholose. Il semble donc assez logique de penser que la ville rose tire son nom du mot tholos, désignant un bâtiment de plan circulaire recouvert d'une voûte ou d'une coupole. Ce qui correspond en tout point à la description de la première configuration du temple de la Daurade ! Et la plus célèbre Tholos connue de nos jours est sans doute celle de Delphes, là même où le temple d’Apollon fut pillé vers 280 avant JC par les Volques Tectosages de Toulouse menés par Brennus ! Ainsi, naturellement, la notoriété du temple aurait-elle fini par donner son nom à la ville. Ce qui semble quand même plus probable que la théorie qui voudrait que la ville tienne son nom de Tholus, un arrière petit fils de Noé !

Lorsque le trésor de Delphes fut ramené à Toulouse, on raconte qu’une épidémie de peste se déclara et il fut décidé de le rendre à Apollon en le jetant dans un lac de la ville. Celui-ci, estimé à 70 tonnes d’or, fut semble-t-il dérobé en 105 avant JC par le proconsul romain Caepio. Accusé d’avoir volé le trésor pour son propre compte, Caepio fut déchu de sa citoyenneté romaine et condamné à l’exil et ses filles livrées à la prostitution, dit-on. Sa fin tragique fut bien sûr interprétée à nouveau comme une vengeance du dieu, d’où la croyance, encore vivante de nos jours, à la malédiction de l’or sacré de Toulouse. On peut penser que c’est aussi pourquoi, lorsque les Wisigoths arrivèrent dans la ville avec le trésor de Jérusalem volé dans le temple de Jupiter Capitolin de Rome, ils pensèrent peut-être judicieux de consacrer l’ancien temple d’Apollon à son père !


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