Charité et rapacité dans les communautés polythéistes et plus largement païennes, mais aussi dans le monde occidental

par Jérémy Cigognier
lundi 15 janvier 2024

Dans cet article, nous traiterons de choses démentielles, en ce sens qu'elles dépassent de beaucoup le quotidien, et qu'il faut peut-être en prendre la mesure, si possible, pour apprécier sa teneur. « Tout » part d'un constat au sein de la, ou plutôt des, communautés polythéistes, plus largement païennes, qui s'expriment online, mais qui existent aussi IRL (in real life, dans la vie réelle) – les unes recoupant parfois les autres, sans nécessité, et réciproquement. Ce constat, c'est l'observation des valeurs à l'oeuvre, prises dans une dialectique de la charité et de la rapacité.

Mais d'emblée, il faut dire que cette dialectique ne concerne pas que les communautés évoquées : les communautés évoquées en sont, en quelque sorte, un genre de baromètre. En effet, ces communautés, en tant qu'elles se placent doublement « à faux » par rapport à l'héritage monothéiste et par rapport au devenir-laïc de cet héritage, présentent l'avantage d'en être des réceptacles originaux.

Ainsi, tout comme en médecine les phénomènes originaux permettent de comprendre rétroactivement les phénomènes normaux, ces communautés permettent de comprendre rétroactivement la société normale – si seulement elle existe.


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La charité est une rapacité comme les autres

Historiquement tout part de la charité, valeur chrétienne devenue follement bourgeoise, et somme toute monothéiste, même musulmane. A la racine, charité est une évolution différente du mot cherté. Elle concerne le prix affectif que nous accordons à autrui – au « prochain », dans la langue oecuménique. Si je suis charitable, c'est que je t'accorde une valeur affective suffisante, pour te secourir et normalement t'aider, mais aussi t'édifier (qui aime bien châtie bien...).

Comme tout, la charité peut être hypocrite, mais alors elle n'est plus la charité, elle est son simulacre par lequel on s'autopersuade d'être bon tout en maltraitant. Ce simulacre est courant, même parmi les croyants, et d'ailleurs surtout parmi les croyants – en ce sens qu'ils ont moins droit à l'erreur que d'autres, manquant alors de cohérence dans la foi.

Pourtant, même quand la charité est sincère, un drôle de processus est à l'oeuvre. Autant la rapacité peut se servir du simulacre de la charité, pour se déployer... autant la charité peut déployer une rapacité. Ce processus est « drôle » en effet, parce qu'il s'agit, pourrait-on dire, de l'ombre portée de la charité. Comment cela est-il possible ?...

Cela est possible, du simple fait que la charité est la charité, et qu'elle désire se répandre, notamment dans le prosélytisme religieux, c'est-à-dire la démarche par laquelle un croyant escompte que sa charité répande la charité. Même quand ce croyant n'insiste pas devant les portes closes, cette rapacité de la charité, ombre portée de la charité, est présente.

Elle est autant présente chez les premiers disciples de Jésus envoyés répandre le message, que chez deux témoins de Jéhovah, ou mormons anglophones, venant vous parler de leurs Bibles ou pseudo-Bibles. Ils ont une forme de mendicité spirituelle or, comme dirait Nietzsche des mendiants : « On s'irrite de leur donner, comme on s'irrite de ne pas leur donner. » En l'occurrence, du temps. Mais ce temps est justement ce pour quoi leur charité s'avère ombrageusement rapace, d'autant plus qu'elle désire ce temps jusqu'à la fin de nos jours. C'est que le temps appartiendrait au Dieu ! Et c'est la raison pour laquelle, au sein du christianisme missionnaire ou colonial comme au sein de l'islamisme conquérant ou post-colonial, il y a des personnes sincèrement charitables, qui pourtant déploient la rapacité de leur société.

C'est intrinsèque – indécrottable, inexorable, fatal : Jésus peut nous regarder avec tout l'amour possible, que ça ne change rien à cette affaire, entamée avec l'élection d'Israël... c'est-à-dire la charité du Dieu pour Jacob : c'est parce que le Dieu, rapacement, voulait mettre la main sur Jacob, qu'il fut charitable envers lui, et rien d'autre. Idem donc de son père Abraham, mis au défi de sacrifier Isaac, et dont l'esprit passa dans la descendance ismaélite, dont se réclament les musulmans...

 

La rapacité n'est pas une charité comme les autres

Là où les choses se corsent un peu, c'est avec la rapacité car, en tant que telle, la rapacité n'a pas de sincérité. Par définition, on ne peut pas être rapace et sincère à la fois : pour être rapace, il faut disposer d'un certain degré de duplicité minimal. C'est la raison pour laquelle la rapacité est véritablement l'opposé de la charité. Or ceci n'a rien à voir avec une prétendue guerre entre l'altruisme et l'égoïsme, parce que, comme on l'a vu, l'ombre portée de la charité est rapace aussi, en plus que son simulacre peut servir à la rapacité... où évidemment, la duplicité de la rapacité est la plus grande. Néanmoins, la rapacité peut être altruiste, quand elle sert les intérêts d'un collectif. Il n'y a donc pas plus d'essence égoïste de la rapacité, que d'essence altruiste de la charité : en tant que telles, ce sont des attitudes à interpréter au cas par cas.

Remarquons alors, que la rapacité n'a pas d'ombre portée. A l'opposé de la charité et de son ombre rapace, la rapacité projette une lumière charitable sur ceux au-dessus desquels elle plane. D'abord, parce qu'il y a quelque chose de naturel, dans la prédation : en veut-on à la lionne, de se jeter sur la gazelle la plus faible de la harde ? ou à l'aigle, de se jeter sur la brebis la plus faible du troupeau ? On n'en veut ni à la lionne ni à l'aigle, non, car leur prédation est naturelle. La rapacité de l'aigle est même littérale : c'est sa taxonomie, que d'être un rapace ; mais la lionne n'en a pas moins fait preuve de rapacité. Cette rapacité, en sa cruauté, est belle. Quelle est cette lumière de la rapacité ? Quelle est cette charité de la rapacité ?

La charité de la rapacité, est inhérente à sa cruauté car, vivre, c'est avoir à souffrir par nature. A jouir, aussi, naturellement, de la vie. Mais souffrir, quand même. L'alternance des souffrances et des jouissances scandent la vie, contrastes nécessaires l'un à l'autre, pour être perçus comme telles – souffrances et jouissances. Aussi, la rapacité s'avère-t-elle singulièrement charitable, et même lumineusement, lorsqu'elle fond sur sa proie : elle doit la soulager de cette épuisante alternance dans la mort. La mort est ici un remède, une grâce, une libération... qu'en l'occurrence, la rapacité procure, raison pour laquelle il y a une charité de la rapacité : la gazelle ou la brebis dévorées, n'ont bien vite plus à s'en faire. C'est l'inquiétante beauté des films, mettant en scène des tueurs psychopathes.

Ou encore, dans notre monde humain : c'est la charité de l'abatteur, que d'abattre rapidement la bête à l'abattoir, afin de nous nourrir tous en boucherie-charcuterie. Nous sommes rapaces par procuration commerciale, et charitables d'honorer le travail d'abattage en l'achetant et consommant. L'antique chasse n'a pas d'autre valeur, depuis l'ère préhistorique jusqu'à nos jours – quand la chasse sert bien la régulation utile, d'animaux réellement sauvages (et non l'abus de loisir, face à du gibier d'élevage...).

 

La dialectique de la charité et de la rapacité

Comme on l'a vu donc, il y a une dialectique de la charité et de la rapacité. L'une et l'autre ne sont pas réciproquables, ni même symétriques, pour quoi elles sont de véritables opposés. Et pourtant, comme toute opposition, cette opposition entre en interaction et suscite des renvois, ainsi que des compénétrations. D'aucuns, notamment jungiens, chercheraient une conjonction des opposés, mais elle est douteuse ; ou alors, la conjonction est dans l'interaction, les renvois et les compénétrations que nous avons observés.

 

Quid des communautés polythéistes, et plus largement païennes ?

Nous distinguons les communautés polythéistes et païennes, en ce sens que les communautés polythéistes peuvent certes être jugées païennes par les monothéistes ou les laïcs (qui reprennent ce vocable de païen hérité) que ces communautés polythéistes gardent un caractère plus traditionnel que les communautés païennes au sens large. Communautés païennes qui dérivent souvent vers des formes de New Age et autres fallaces voire politicardises – même quand elles contiennent, facultativement, du polythéisme.

Mais enfin ces communautés, quelles qu'elles soient, ont permis de quintessencier la dialectique de la charité et de la rapacité, car elles sont traversées par ces attitudes. D'une part, par héritage monothéiste subconscient ; d'autre part, par revendication antimonothéiste-propolythéiste-propaïenne consciente... cette revendication serait-elle caricaturalement sommaire (or, elle l'est, caricaturalement sommaire) car elle agit dans le sens monothéiste de sa diabolisation.

A ce stade, on se retrouve face à des personnes qui font parfois preuve de charité, par crainte d'effrayer les monothéistes, les laïcs et leurs collègues, tout en se donnant bonne conscience, car frileuses de diverger de leur héritage subconscient... mais aussi face à des personnes qui font parfois preuve de rapacité, pour épater la galerie prétendument polythéiste-païenne – et évidemment dévorer les esprits faibles, à te les galvaniser par leurs contenus (aussi esthétiquement et intellectuellement nuls que soient ces contenus) tout en se sentant lumineusement charitables avec les leurs.

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Dans les deux cas, la dialectique de la charité et de la rapacité est à l'oeuvre, et les charitables ont pour ombre portée la rapacité de leur envie de persévérer dans l'être – comme disent les philosophes, – en répandant leur attitude ; tandis que les rapaces ont pour lumière la charité de cette même envie, mais en confortant les autres rapaces qui s'y reconnaissent, ainsi qu'en soulageant les esprits faibles à les galvaniser. Vraiment, l'altruisme et l'égoïsme n'ont rien à voir dans cette dialectique, ou bien ils ont autant à voir avec l'un qu'avec l'autre.

En lisant cela, on croirait presque que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes or, dans un sens, pourquoi pas ? C'est aussi ainsi, que va la vie... du moins, contemporaine.

 

La dialectique de la charité et de la rapacité, recoupe la dialectique du Sud et du Nord dans lesdites communautés

Dans lesdites communautés – comme ailleurs, on va le voir simultanément – la dialectique de la charité et de la rapacité, recoupe la dialectique du Sud et du Nord ; pourquoi ?... Eh bien, parce que la charité est venue du Sud méditerranéen, romain, enfin chrétien catholique, du genre étatiste ; et que la rapacité est venue du Nord continental, germano-scandinave, enfin chrétien protestant, du genre productiviste. Les Slaves, comme les Grecs, c'est encore autre chose à l'Est, devenu chrétien orthodoxe, de type civiliste...

Il y a là des aires, en Histoire des idées, parfaitement géolocalisables, encore qu'elles aient – comme la dialectique de la charité et de la rapacité – leurs relations. Car ces aires sont avant tout psychogéographiques, psychoculturelles et psychopolitiques, en ce sens qu'on leur attribue ces traits, avant tout et de nos jours, sur la base des impressions rétrospectives qu'elles nous font... à cause d'historiographies parfois datées – généralement de deux siècles environs. Ce sont des constructions sociales, avant tout.

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Parce que « le Nord germain » semble avoir vaincu « le Sud romain », en ce sens qu'il féodalisa l'Empire Romain en l'envahissant... Empire Romain, qui lui-même était devenu chrétien, et qui christianisa les Germano-Scandinaves puis les Slaves dans la féodalisation-retour. Tout ceci se joua au premier millénaire après le Crucifié, et cette dialectique Nord-Sud semble avoir été rejouée avec la Réforme protestante à la Renaissance, ou encore avec le nazisme. Répétons que ce sont avant tout des impressions rétrospectives, de nature psychogéographique, psychoculturelle et psychopolitique. Ce qui ne les empêche pas d'être actives, aujourd'hui, parmi nous tous. Mais heureusement, la vie est bien plus compliquée...

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Sans compter par exemple, que des Espagnols peuvent actuellement se réclamer du « Nord germain », et que des Norvégiens peuvent se réclamer du « Sud romain ». Rien n'est pur, par l'européanisation et la mondialisation interculturelles et transidentitaires... un paradoxe croustillant dans cette affaire, dont se revendiquent même les identitaires, tandis que les transfrontiéristes convoquent des territoires aux traditions précises malgré leurs mélanges.Et attention : ce « Sud romain » comprend le monde celte, romanisé, évidemment, à l'opposé du « Nord germano-scandinave » – quoi que les communautés préfèrent amalgamer fantaisiquement les Celtes aux Germains. Les Celtes étaient plus structurés que les Germains, et plus romanisés – bien entendu, surtout à mesure qu'ils étaient voisins des Romains (parfois de bon gré, parfois de mauvais gré) comme cela arrive toujours dans les relations internationales. Enfin les Celtes sont un continuum Sud-Nord, faisant un singulier alliage au Royaume Uni féodal.

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Enfin, pour parler de « l'Est slave et grec », quoi que l'espace grec semble ravalé au « Sud romain », cet « Est » semble se signaler de nos jours après la Guerre Froide, sous une forme de Guerre Froide renouvelée, justement à cause desdites polarités ou mentalités.

C'est aussi sans doute que les USA ont couplé le « Nord » et le « Sud » plus fusionnellement que l'Europe, et que ce couplage fait la charité en faisant la rapacité/la rapacité en faisant la charité, sur la Terre entière. Sacrés USA...

 

Pour prendre du recul

Pour prendre du recul, demandons-nous si cet état de faits psychogéographiques, psychoculturels et psychopolitiques, nous intéresse. Car avant tout, il est fruit de constructions historiographiques récentes. Ceci étant, l'historiographie bonne ou mauvaise, est absorbée par la mémoire – et le travail de mémoire – des peuples.

Cet état de faits, quoi que construit récemment, n'a pas à être déconstruit d'office, du moment qu'il est accepté en tant que tel. D'ailleurs il arrange sans conteste les rapaces, et l'existence des rapaces permet sans conteste aux charitables, de se donner bonne conscience face à un ennemi identifiable... tandis que l'union des charités donne réciproquement, du corps à la position rapace qui peut identifier-retour un ennemi.

Là où les choses se gâtent c'est quand, comme on l'a dit, la rapacité joue le simulacre de la charité, tout en pouvant illuminer de sa charité spéciale – naturellement belle en sa cruauté, – tandis que les charitables ont pour ombre portée la rapacité de leur expansion propre. De là à y voir des formes de dialectique droite-gauche, souverainistes-progressistes, etc. !...

C'est un spectacle curieux, pour qui dispose d'un peu de sagesse – mais peut-être n'en dispose-t-il pas encore d'assez, devant la folie du monde moderne... et rien que moderne.

Ni charité ni rapacité ne sont recommandables, à qui veut être libre d'esprit (un Maître Eckhart, pourtant mystique chrétien, en savait quelque chose).

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aux monothéistes en général, ainsi qu’aux "athées"
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et
 « Philosophies de vie antiques & modernes, telles que le stoïcisme et Nietzsche,
avec un épilogue pour les "néopaïens" »

 


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