« Sleep » au cinéma, flippant ŕ souhait !

par Vincent Delaury
mercredi 21 février 2024

La vie d’un jeune couple, de jeunes mariés follement amoureux, est bouleversée lorsque le mari devient somnambule et se transforme en quelqu’un d’autre la nuit tombée. Sa femme, submergée par la peur qu’il fasse du mal à leur nouveau-né (« Bienvenue chez toi, Ha-yoon ! », entend-on), ne trouve alors plus le sommeil.

Jeong Yu-mi et Lee Sun-kyun (1975-2023) dans « Sleep » (2023, Jason Yu)

Ce film, le premier long réalisé par Jason Yu, ancien assistant, notamment sur Okja (2017), du grand réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho qu’on ne présente plus (Palme d’or à Cannes en 2019 avec son chef-d’œuvre corrosif Parasite, sans oublier les virtuoses Memories of Murder, The Host, Mother et autres Snowpiercer), a été présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2023 avant d’obtenir, le 28 janvier dernier, le Grand Prix du Festival du film fantastique de Gérardmer 2024, avec, pour président, l’écrivain Bernard Werber. Nul besoin de m’étendre ici, me semble-t-il, sur la grande vitalité du cinéma sud-coréen à l’œuvre depuis une bonne vingtaine d’années, sa haute qualité formelle et narrative pouvant, sans la moindre difficulté, le faire rivaliser avec les cinématographies les plus en vue, tels États-Unis et France.

Sleep est un long-métrage vraiment très efficace, agile et malin, sans être vain (sous ses faux-airs de survival, il fait preuve d’une véritable profondeur pour pénétrer la cellule du couple), se situant au carrefour du thriller horrifique, de la romcom et de Scènes de la vie conjugale. Ce film de genre, mêlant malicieusement rire et effroi, s’avère aussi être une autopsie, sans concession et aux surprenants accents féministes (le mari est vu comme un boulet façon Shining ou Anatomie d’une chute !), de la vie à deux, prenant le mariage, l’amour, la dépendance affective ainsi que la parentalité comme objets d’étude, sans oublier, au passage, de témoigner d’un certain harassement des classes moyennes dans la société sud-coréenne actuelle ; c’est aussi, en quelque sorte, via un ancrage réaliste, un film social.

« Sleep » avec Jeong Yu-mi & Lee Sun-kyun

Concernant le récit, avant de le faire subtilement glisser vers le cauchemar, le metteur en scène Jason Yu, expert en faux-semblants, en « sauts de peur », en chausse-trapes et autres sursauts sonores, s'est inspiré des moments où il s'apprêtait à se marier avec sa petite amie depuis sept ans : « En écrivant, mon objectif était, au départ, bien sûr, de faire un film de genre amusant. Mais, comme mon sujet, à l'époque, était le mariage, je voulais aussi parler de la vie conjugale. (…) Au début, j'essayais de comprendre le somnambulisme (…), puis je me suis demandé à quoi ressemblerait la vie quotidienne d'un être cher, qui doit rester aux côtés d'un somnambule », poursuivant, au sujet du socle du mariage parasité bientôt, bien malgré lui, par un élément perturbateur le gangrénant tel un ennemi de l’intérieur, son film commençant d’ailleurs par un mantra positif placardé au mur du nid douillet des amoureux ; « Ensemble, on peut tout surmonter », le couple étant non seulement vu ici comme le meilleur moyen pour fonder une famille mais également comme une petite unité de production ainsi qu’une sorte de partenariat pour faire face aux épreuves de la vie : « La plupart des films que je vois à ce sujet ont tous ce point commun de mettre en scène un conflit principal qui émane des deux personnages et qui finit par les éloigner progressivement soit parce qu’il y a une énorme dispute, soit parce que l’un d’entre eux fait une erreur irréparable ou alors tout simplement parce qu’ils ne sont plus amoureux », son idée-force originale étant de montrer dans le détail - assurément les spectateurs que nous sommes sont mis dans la position de voyeurs puisqu’on s’immisce jusque dans leur chambre à coucher, même si le désir sexuel est constamment évacué - un couple qui s'aime et se soutient vraiment, afin d’introduire ensuite « un élément perturbateur extérieur qui viendrait court-circuiter leur amour et ainsi observer comment surmonter ce problème à deux. »

Bonne nuit les petits...

Projection, en avant-première, du long-métrage « Sleep », Grand Prix Gérardmer 2024, à la Cinémathèque française, Paris, salle Henri Langlois, le mercredi 31 janvier 2024 à 20h00

Je précise que j’ai vu ce Sleep dans le cadre d’une projection spéciale à la Cinémathèque française, cette institution parisienne étant partenaire, depuis quelques années, du Festival international du Film fantastique de Gérardmer : salle Henri Langlois pleine, le 31 janvier 2024 à 20h (©photos V. D.). On veut, visiblement, tous ensemble des histoires, dans le noir, et pourquoi pas à dormir debout. Être emportés, entre effroi et délice. L’art « forain » qu’est le cinéma ? Qu’il garde pour toujours, au fond et à jamais, son innocence (la lanterne magique), ainsi que sa « perversion » (ou impureté, dixit André Bazin, critique français de cinéma). Projo présentée brièvement (ouf), et avec perspicacité, par Jean-François Rauger, directeur des programmes du cinéma de genre de cette structure hexagonale à l’aura internationale. Film choisi, donc : Sleep, d'un certain Jason Yu, en provenance de la Corée du Sud, à ne pas confondre avec l’autre moitié du pays, bien plus glaciale, aux mains d’un dirigeant inquiétant des plus paranoïaques. Malgré son prix prestigieux obtenu à Gérardmer (Hautes Vosges), le jeune cinéaste primé (34 ans) s’avère humble : modestie appréciable de celui-ci avec nous, non pas sur place (la Corée du Sud n’étant tout de même pas la porte à côté), mais via une courte vidéo conçue spécialement pour l'occasion et dévoilée juste avant la diffusion de son long-métrage, agrémentée d’une jolie valorisation du lieu : « En Corée, il y a plein d'histoires et de légendes qui circulent sur votre prestigieuse Cinémathèque française ! Y être montré intimide car c'est le Graal pour nous ! Et j'espère que vous allez prendre autant de plaisir à voir mon film que mon équipe et moi à le faire. » Mission ô combien réussie, avec des applaudissements nourris de la part d’un public emballé, visiblement conquis, à la fin du film, d'une durée idoine, ce qui est toujours bon signe.

Le Sud-Coréen Jason Yu présente au public français, via une petite vidéo inédite, son film « Sleep » à la Cinémathèque française, Paris, janvier 2024

Solide film, vraiment, je vous le conseille, du 4 sur 5 pour moi. Long-métrage hanté par le sommeil, cette plage flottante où l’on s’absente à soi-même en étant comme perpétuellement égaré dans un trip de David Lynch, et ses arcanes, entre magie, inconscient et rationalité, puis traversé par cette bizarrerie qu’est le somnambulisme, qu’on peut brièvement définir comme un état où le sujet est capable de se mouvoir alors qu’il est endormi : chez la personne atteinte de somnambulisme, montré dans le film comme une pathologie aux dangereuses conséquences, ses yeux sont ouverts, elle peut marcher, parler, parfois même échanger, mais son esprit est endormi, n’ayant pas conscience de ce qu’elle est en train de vivre. En choisissant cette « maladie » comme thème de son long, le cinéaste, sans faire pour autant un film-dossier pompeux, son long restant très divertissant en n’hésitant pas à s’approcher de la série B ludique façon M. Night Shyamalan (mixte entre film d'horreur et comédie grinçante), voulait montrer comment le somnambulisme peut impacter l'entourage : « Comment peuvent-ils vivre leur quotidien en ayant la crainte que quelque chose de terrible se produise chaque nuit pendant qu’ils dorment ? [...] Je pense que c’est un sujet passionnant pour un film de genre puisque normalement dans ce type de films, le personnage principal doit fuir la menace, fuir l’horreur. Or dans ce cas précis, la menace est la personne aimée, celle qu’on a le plus envie de protéger. La fuite est donc impossible, l’amour qu’éprouve cette femme pour son mari la force à rester, elle est comme piégée. »

De Freddy à Kubrick

Les griffes de la nuit de Freddy Krueger (Robert Englund), le tueur onirique d’Elm Street, dans la saga cinématographique culte lancée en 1984 par Wes Craven

Exact, ici, la vie de couple devient un enfer conjugal, Jason Yu se servant finement du genre du film d’horreur, en déroulant une mécanique de la frousse bien huilée (la tension montant par paliers jusqu’à l'acmé déroutant d'un arc narratif débouchant sur une ambiance ésotérique angoissante), pour raconter une conjugalité chahutée, devant en outre affronter un problème récurrent avec le voisinage, fort incommodé par les bruits d’un couple perturbé, la paranoïa généralisée battant alors son comble en gravissant tous les étages : on navigue entre suspense horrifique redoutablement efficace, huis clos gorgé d’angoisses intestines et film d’horreur parano. Et, malgré certaines situations abracadabrantesques, le film reste, en oscillant en permanence entre le diurne et le nocturne, réaliste, c’est sa force. Aussi, d’après moi, l’on peut comprendre Bong Joon-ho, mentor (énamouré) de son successeur Jason Yu, ayant déclaré que « c'est le film d'horreur le plus unique que j'ai vu au cours des dix dernières années, et c'est un premier film intelligent. »

Certes, il est loin d’être le premier film à prendre pour sujet central le sommeil paradoxal et les crises de somnambulisme : que l’on pense, par exemple, bien sûr au cinéma surréaliste provocateur de Luis Buñuel, à la saga sanglante culte des Freddy Krueger ou à Dream Scenario, sorti tout dernièrement, avec un Nicolas Cage psychopathe des plus frappadingues sans oublier, toujours en remontant dans le temps, le désopilant Fernandel, mi-voleur mi-vigile, dans Boniface Somnambule (1951), les envoûtantes Belles de nuit (1952) de René Clair, le cartoonesque Dodo Donald réalisé par Jack King (studios Walt Disney, 1947) puis, last but not least, la toute jeune Jennifer Connelly souffrant de somnambulisme dans le film d’épouvante fantastique italien Phenomena (1985) signé Dario Argento. Mais ce Sleep, qu’on peut traduire par Sommeil ou Dormir, a le mérite, en se faisant film-gigogne, de multiplier les pistes de lecture et de provoquer ainsi en nous plein de questions, via une love story banale contrebalancée par le phénomène étrange du somnambulisme, concernant le monde onirique abritant maints montres, agissant comme autant de révélateurs, mensonges et vérités dont la force de frappe réaliste, sur notre psyché du coup tourmentée, vient comme concurrencer le réel. 

Chez le docteur : Hyeon-soo (Lee Sun-kyun) et Soo-jin (Jung Yu-mi) dans « Sleep », 2023, par Jason Yu

Un couple modèle, d'une banlieue toute simple (lui, Hyeon-soo (Lee Sun-Kyun), acteur en herbe, essaie de percer dans le milieu audiovisuel, elle, Soo-jin (Jung Yu-mi), est cadre en entreprise), attend, comme on dit, un heureux événement. Mais l'homme est victime de somnambulisme, en proie à des épisodes nocturnes de plus en plus violents, avec une gradation dans l’inquiétant et l’effroi, le poussant à n'être plus lui-même - il se transforme littéralement en quelqu’un d’autre, la nuit tombée, mettant inexorablement sa vie en danger ainsi que celle d’autrui. Dès qu’il dort, ce pauvre bougre mou prenant alors l’aspect lourdingue d’un mâle ronflant, elle ne dort plus, ne ronflant jamais, restant toujours éveillée, comme sur ses gardes, car pouvant à tout moment devenir une cible potentielle, son mari, avant si proche, lui apparaissant même, désormais, comme un étranger, notamment lorsqu’il a les mains maculées de sang, tel un tueur en série, au petit matin : Hyeon-soo, au clair de lune, se met à se gratter convulsivement la joue jusqu’au sang dans son sommeil (ce qui lui fera louper un casting), une autre nuit, elle le surprend en train de bouffer de la viande crue, le regard fixe halluciné, devant un frigidaire grand ouvert, manquant même, peu après, de se défenestrer. Elle, flippée - « Chéri. Ce trouble du sommeil, ça se soigne ? » « Bien sûr ! », lui répond alors, un docteur consulté, pas vraiment net, lui certifiant banalement : « Je pense que votre mari souffre d’un trouble du sommeil. » D'un commun accord, les deux tourtereaux décident, via une structure médicale découverte sur le Net, de lui appliquer un traitement scientifique chronique pour l’extirper de ce « Mal » douloureux avec, à la clé, la conception, en mode système D, d'un espace domestique commun calfeutré dans ses moindres recoins, comme verrouillé de l’intérieur et doté de barreaux posés sur les fenêtres le transformant bientôt en quartier haute sécurité, sans oublier les murs entièrement tapissés de sibyllines feuilles votives, façon installation d'art contemporain.

Il y a d’autant plus urgence que le bébé tant désiré, à croquer avec sa bonne bouille joufflue, est arrivé. Et sa maman, de plus en plus solitaire, hagarde et déboussolée (le mari, façon L’Exorciste, pète de plus en plus les plombs), a peur qu'une terrible menace fantôme, interne (risque-t-il de lui faire du mal pendant son semi sommeil ? Peut-il devenir le meurtrier de son tout-petit sans le vouloir ?) ou a contrario externe, à savoir venue d'ailleurs (le voisinage environnant ?), ne vienne emporter sa progéniture inoffensive. D’autant plus – attention spoiler – que leur petite chienne charmante, mais un peu trop collante, en a déjà fait les frais, attention au frigo agissant comme aimant !, et si je vous dis, histoire de corser le tout, que, par l’intermédiaire d’une chamane complètement azimutée (« Je vois que tu vis avec deux hommes », séquence irrésistible !), on finit par se demander si le mari n’est pas tout bonnement possédé par le fantôme d’un vieux voisin mort, vicelard et revanchard (« Allez-vous tuer ma fille ? », demande Soo-jin), vous finirez par penser, peut-être à raison (sauf si fausse piste, hein), que je vous vends trop la mèche. Le film, in fine, flirte ouvertement vers le thriller familial crispant et l’enfer du couple - s’aiment-ils toujours ? - comme prison lovant psyché torturée et folie profonde : exit les Roméo et Juliette des jours heureux, voici venue la nuit noire du doute, qui phagocyte, qui lamine. Au fond, Soo-jin a-t-elle encore besoin d’un mari ? Son plus grand risque n’est-il pas de vivre avec cet époux ingérable, comme de trop ? Attention, film à haute teneur féministe !

Dans la chambre à coucher de « Sleep », Jeong Yu-mi & Lee Sun-kyun

Puis, pour que la mayonnaise prenne (je vous assure qu’on ne s’endort pas une seule seconde devant Sleep !), il faut, assurément, deux très bons acteurs (ça compte, question réalisme, Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun), un soin manifeste dans la confection de l'image (du talent pour décrire les objets inanimés chargés, voire habités, de la vie courante lorgnant fissa, à coups d’ellipses efficaces, d’effets de bascule et d’analogies formelles (le sac de couchage transformant soudain le mari en gros insecte emmitouflé inutile), vers le Kafka troublant de La Métamorphose ou chez Polanski), de l'humour (d'entrée de jeu, dès l'entame du film, en entendant dans le noir pendant presque une minute quelqu'un ronfler, des rires ont direct fusé dans la salle car c’est la grande crainte des cinéphiles, et cinéphages, que de pioncer devant un film, d'autant plus quand les fauteuils sont moelleux comme dans cette salle Henri Langlois de la Tek propice à l’endormissement, après avoir échappé, à ce moment-là, au froid hivernal) et une trame particulièrement astucieuce, ayant, sans que cela ne soit trop appuyé (sauf par un plan directement citationnel : un travelling de haut en plongée pour suivre une petite voiture roulant au sein d’un immense paysage sylvestre), l’empreinte du cultissime Shining (1980), avec notamment un chapitrage pareillement affirmé et une bande-son dissonante vertigineuse venant, comme en écho, épouser les méandres, tant physiques que psychiques, d’une famille dysfonctionnelle incorporant un père menaçant, possiblement assassin.

Début de « Shining » (1980, Stanley Kubrick)

Entre nous, c’est fou comme ce « film-installation » (de l’importance du décor servant de tremplin au déroulé du récit) d’anthologie de Stanley Kubrick, désormais un classique du genre (film d’horreur psychologique), a marqué planétairement les esprits en s’invitant grandement dans le cinéma contemporain : d’Anatomie d’une chute (2023) de Justine Triet à ce séduisant Sleep en passant par le film-jeu vidéo postmoderne de Spielberg complètement innervé par la pop culture, Ready Player One (2018), ce dernier venant carrément reprendre, en mode cette fois-ci ludique et admiratif, toute une séquence de l’opus kubrickien adapté de Stephen King : celle de la chambre 237 de l’hôtel Overlook de Shining hanté par les fantômes d’Amérindiens autrefois massacrés (encore une histoire de fantômes). En tout cas, Sleep, ce petit bébé filmique signé Jason Yu - avec un prénom pareil, pas étonnant de concocter un film d’horreur ! -, vaut assurément, si l’on aime avoir peur dans le noir profond, le détour. À côté de moi, dans la salle obscure, il y avait un petit papy silencieux qui n’en perdait pas une miette, et ce sans jamais dormir, bravo !

Sortie (de route) posthume

Feu Lee Sun-kyun (1975-2023), vedette sud-coréenne vue, entre autres, dans « My Mister » (2018), « Parasite » (Palme d’or Cannes 2019) et « Sleep » (Grand Prix Gérardmer 2024)

Dernière chose, et non des moindres, ce Sleep a hélas, pour son acteur principal, Lee Sun-kyun (2 mars 1975 - 27 décembre 2023), valeur de sortie posthume puisque, le 27 décembre dernier, la police, alertée par son épouse, l’a retrouvé mort dans une voiture dans un parc de Jongno, à Séoul, aux alentours de 10 h 30, avec une briquette de charbon allumée à ses côtés. Il avait 48 ans. D’après une source policière citée par l’agence de presse Yonhap, le comédien avait laissé une note en guise de lettre, à sa femme (Jeon Hye-jin), « s’apparentant à un testament  », ce qui accrédite l’hypothèse d’un suicide.

Qui était Lee Sun-kyun ? Eh bien, en fait, une vedette du cinéma en Corée du Sud. On l’avait vu en 2019 dans Parasite où il campait le rôle d’un père de famille millionnaire vivant dans une luxueuse maison, avec sa femme et ses deux enfants. De toute évidence, Lee Sun-kyun a mis fin à ses jours suite à une enquête relative à une affaire de drogues le concernant directement pour laquelle il avait été longuement entendu (soupçons de consommation de cannabis en compagnie d'une hôtesse d’un bar haut de gamme à Gangnam dans la capitale qui, selon lui, l'aurait « piégé » ; le comédien, questionné les 23 et 24 décembre 2023, par la police, en étant soumis un interrogatoire de dix-neuf heures faisant suite à un précédent, en octobre, au terme duquel il s’était excusé de son comportement, a affirmé néanmoins parfaitement ignorer la nature illégale des substances prises). Ce « fait divers », alors que ses analyses toxicologiques s’étaient avérées négatives, avait alors grandement été relayé, ad nauseam, par la presse à scandales au sein d’un pays très strict en la matière, pratiquant une tolérance zéro dans les affaires de drogue. À l’arrivée, ce scandale avait sérieusement entaché son image publique, les stars devant faire office de modèles pour la jeunesse et les célébrités se montrer des plus irréprochables. D'où son suicide comme « issue de secours ». Too bad.

Aussi, permettez-moi, via cet article, d'avoir une pensée (émue) pour Lee Sun-kyun. Il est très bon dans Sleep, tout en retenue, sa « petite mort » (plongée dans le sommeil comme temps mort où l’on ne se possède plus) semblant rejouer, sans cesse (des roupillons à répétition !), son retrait définitif à venir dans le réel - ou des échos troublants entre réalité et fiction, avec un art, le cinéma, étant, selon moi, avec le continent Shakespeare, le plus à même de coller, et parfois de manière vertigineuse (cf. le croquemitaine Freddy et chez Cronenberg !), à la « grammaire » du sommeil paradoxal, alternant rêve, chute libre et cauchemar. « Lee était digne d’éloges dans Parasite et exceptionnel dans My Mister [titre de l’une des séries télé sud-coréennes phares (2018) dans laquelle il jouait]. Qu’il reste dans les mémoires pour son excellent travail et ses talents de créateur », a réagi, sur Instagram, l’autrice coréanoaméricaine Lee Min-jin pendant qu’un fan, sur X (ex-Twitter), en apprenant, bouleversé lui aussi, sa soudaine disparition, écrivait : « J'ai beaucoup ri et j'ai beaucoup pleuré en vous regardant jouer. Merci. » Oui, merci Lee Sun-kyun. Et bon dodo là-haut, My Mister, dans les bras de Morphée. Votre talent, cher Monsieur, irradiait bien au-delà des frontières de votre Pays du matin frais.

Sleep. Corée du Sud, 2023 – 1h35. Horreur/Film à énigme. Produit par Lewis Pictures et distribué par The Jokers. Grand Prix du Festival du film fantastique de Gérardmer 2024. Musique : Chang Hyuk-jin et Chang Yong-jin. Avec Jeong Yu-mi, Lee Sun-kyun, Lee Kyung-jin. Sortie le 21 février 2024.

 


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