« Vermines », vu et validé mais attention : arachnophobes, fuyez !

par Vincent Delaury
mardi 2 janvier 2024

Kaleb (Théo Christine), un jeune de 30 ans au profil de petite frappe au cœur tendre, cohabitant difficilement avec sa sœur maçonne Manon, dans un appartement en ruine d’une cité de banlieue à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), vit de petites combines, notamment de la vente au marché noir de baskets dernier cri tombées du camion. Il est aussi un passionné de petits animaux exotiques plus ou moins bienveillants (reptiles, amphibiens et arachnides), sa chambre étant tapissée d’une dizaine de vivariums chauffés à la lumière artificielle. Un jour, de retour de l’épicerie Ali Express, petite boutique des horreurs où il pense faire de bonnes affaires, il ramène une araignée venimeuse de taille modeste dans un Tupperware, elle est tellement belle qu’il l’appelle… Rihanna. Mais – alerte spoiler ! -, ce jeune banlieusard laisse accidentellement la diva s’échapper. Petite particularité, façon Gremlins, cette charmante Heteropoda maxima, en provenance de contrées éloignées, dont le Laos - exit les habituelles tarentules géantes et mygales mutantes des fleurons du genre (de Tarantula à Arac Attack, les monstres à huit pattes en passant par L’Horrible invasion de ses 5000 tarentules vivantes, Arachnophobia avec sa phrase d’accroche « Huit pattes. Deux crocs. Une attitude » et autres Starship Troopers), les amateurs apprécieront -, aurait une fâcheuse tendance à se reproduire à vitesse démesurée tout en grossissant, au fur et à mesure des pontes, pour maximiser, à la Darwin (souvent cité dans le film), sa puissance d’être. Les habitants de cet immeuble de cité, entretenant apparemment des relations apaisées sur fond de solidarité, toutes générations et origines confondues, vont devoir se battre pour survivre : le jeu de massacre peut alors commencer (©photos V. D.).

Revisiter l’image de l’araignée

Film vu à l’UGC Ciné Cité Les Halles, Paris

Avec ce projet, après ses remarqués courts-métrages Crocs (2018) et Pas Bouger (2021) donnant la part belle aux chiens (on en retrouve un, au poil, dans Vermines), le réalisateur et scénariste Sébastien Vaniček (34 ans) voulait, en focussant cette fois-ci sur des araignées envahissantes, aborder un thème plus personnel : « J’ai repensé à ces années de galère, à réaliser des courts que l’on ne voyait pas car il me manquait les contacts, les bonnes adresses. Ce sentiment de ne pas aller où on le souhaite. Ce que les médias appellent le ‌"syndrome du banlieusard" existe et je l’ai vécu. J’ai élargi ma réflexion, explique-t-il pour le lancement de son premier long en en repensant à sa genèse, autour du délit de faciès, sujet qui me touche beaucoup, et qui s’est incarné avec l’image de l’araignée. Elle existe et se balade un peu partout chez nous, mais on ne veut pas la voir donc on l’écrase immédiatement. La symbolique de la xénophobie, de l’intolérance, elle était là.  »

Le cadre de « Vermines » : l’un des immeubles cylindriques des Arènes de Picasso, ensemble immobilier situé à Noisy-le-Grand, 93

Bonne nouvelle ! Le film d’horreur à la française, ou au parfum fantastique, se porte bien. Après, récemment, La Tour (2022) de Guillaume Nicloux (série B assumée qui montrait des habitants d’un HLM plongés dans un brouillard opaque contraints de rester confinés sous peine de disparaître au sein d’un vide intersidéral), La Montagne, Le Règne animal et autres Vincent doit mourir, sans oublier les précurseurs du cinéma de genre hexagonal tels Alexandre Aja (Haute Tension, 2003) et Pascal Laugier (Martyrs, 2008), voici venir cette Vermines, diablement efficace, narrant l’histoire d’un immeuble infesté d’araignées venimeuses se transformant fissa en grosses bestioles tueuses ! Le film a été tourné, pour ses extérieurs, dans l’un des deux immeubles cylindriques, où a grandi le réalisateur, des Arènes de Picasso à Noisy-le-Grand, « camemberts » postmodernistes des années 1980, aux faux airs idéaux de science-fiction et de toiles d’araignée, conçus par l’Espagnol Manuel Núñez Yanowsky. Présenté à la Semaine de la critique de la dernière Mostra de Venise, ce premier long-métrage, signé par l’autodidacte Sébastien Vaniček (réalisant des courts-métrages depuis 15 ans) et doté tout de même d’un budget conséquent (environ 4 millions d’€ ; Netflix, à l’instar du producteur Harry Tordjman, ayant participé à son financement, le film sera diffusé dans quelques mois sur la plateforme, les Américains s’intéressant désormais de près à cette jeune pousse frenchy), est la sensation forte du moment en salle.

Se servir de cette peur

Vermines commence, façon L’Exorciste (1973, Friedkin), avec une quête illégale d’un mystérieux terrier de ces fascinantes Heteropoda maxima dans un désert ensoleillé d’Afrique du Nord, pour se poursuivre dans la grise banlieue parisienne, avec un fort ancrage social (la troupe de jeunes acteurs, alternant complicité et divergence, est tout à fait crédible, agrégeant Lisa Nyarko, Finnegan Oldfield, Sofia Lesaffre et Jérôme Niel) avant de virer franco, tout en mâtinant astucieusement les visions à la fois arachnophobes et arachnophiles, tant vers le film d’horreur « hollywoodien » se jouant habilement des codes et grosses ficelles du genre (secondé par le scénariste Florent Bernard (La Flamme, Le Flambeau, Bloqués), Vaniček a particulièrement soigner les entrées et sorties de ses arthropodes stars) que vers le slasher pur et dur (film construit autour de personnages qui cherchent à échapper à une situation dangereuse), prenant littéralement aux tripes en ne s’interdisant ni cris stridents ni déchaînements de violence.

« Vermines », 2023, un film de Sébastien Vaniček

Les points forts du film sont d’exploiter au mieux les ressources topographiques d’un petit périmètre en huis clos fortement déconseillé aux claustrophobes (chambre calfeutrée, cave sombre, salle de bains minuscule, quelques marches, faux plafonds, couloir infesté d’araignées travailleuses ourdissant leurs toiles avec frénésie, souterrains crasseux, parkings inquiétants, etc.) devenant bientôt décor labyrinthique cauchemardesque et de carrément faire appel, question vérisme auquel on adhère illico, à de vraies bébêtes au casting ! Néanmoins, Sébastien Vaniček a eu également recours à la célèbre compagnie d’effets visuels Mac Guff, qui a travaillé précédemment sur Le Règne animal, intégrant dans le film des versions 3D des araignées-chasseuses, faites sur la base de vrais animaux qui ont été scannés et dont les mouvements ont été reproduits, et à la société de maquillages CLSFX-Atelier 69 basée à Montreuil, ayant fabriqué pour l’occasion des bestioles ragoutantes en dur pour certains plans. En tout cas, vraies ou fausses (alternance habile ici entre images de synthèse, animatronique, comme au bon vieux temps des Gremlins, et prises de vue sans trucage, comme pour le plan où la première araignée sort de la boîte à chaussures), ce sont elles assurément, ces trépidantes mais se fatiguant vite Heteropoda maxima, les vedettes du film ! Frissons et sauts de peur garantis.

Peur primale au programme : « Vermines »

Dans un entretien au Monde accordé à Jean-François Rauger (n°24566, merc. 27 déc. 2023, page 19, article Je me suis heurté à beaucoup de portes fermées), le réalisateur précisait, quant aux effets numériques utilisés dans son Vermines combinés au tournage avec d’authentiques araignées munies de crochets à venin et de glandes séricigènes : « Je n’avais ni l’envie ni les moyens de faire un film 100% numériques. La moitié des plans sont faits avec de vraies araignées. Il y en avait un peu plus de deux cents sur le plateau ! Pour les plans impossibles à réaliser avec les vraies, on les a scannées en 3D et reproduit et démultiplié les mouvements pour obtenir quelque chose de plus réaliste  », ajoutant : « Ce sont des Heteropoda maxima qui viennent d’Amérique du Sud. Je voulais dénoncer le trafic d’animaux exotiques, et tout devait donc se passer dans les règles, en termes de voyage et de conditions de vie. On a été aidés par Karim, Daoues, le président et fondateur de La Ferme tropicale, qui est un endroit où l’on trouve toutes sortes d’espèces et qui récupère les animaux exotiques victimes de trafic. Le tournage s’est bien passé. Les acteurs qui devaient interagir avec elles, comme Finnegan Oldfield, n’ont rencontré aucun problème. Ce sont surtout les deux actrices, Sofia Lesaffre et Lisa Nyarko, qui étaient terrifiées. Je leur ai demandé de se servir de cette peur. Petit à petit, tout le monde s’est habitué. »

Il faut ouvrir les boîtes… 

« Vermines », un cliché du genre horrifique : une bande dysfonctionnelle de jeunes dans la tourmente

Franchement, à l’arrivée, le divertissant Vermines, avec son côté roller coaster (ou montagnes russes : faire rire, émouvoir et frissonner), est l’occasion de se faire une bonne toile en ce moment en salle obscure, sans atteindre, hélas, la toile de maître jusqu’au bout. Le film, redoutablement efficace et frontal, avec ses effets brusques, un montage serré et nerveux rappelant William Friedkin et une caméra souvent portée, est globalement prenant, le design sonore bien travaillé (des bruitages flippants) et une bande-son entraînante, à coups de morceaux de rap français punchy saturé d’autotune, y contribuant également.

L’on regrettera toutefois quelques écueils, le « parler jeune des banlieues », à la limite de la compréhension par moments, finit par être lassant, avec son verlan forcé et ses inévitables wesh wesh, le final est un peu alambiqué (on note un coup de mou aux deux tiers du film), partant inutilement, comme éparpillé, dans diverses directions pas toutes pleinement maîtrisées, dont des tirs nourris à l’américaine proches de l’absurde involontaire. Et surtout, et c’est là le plus embêtant, certains personnages sont trop proches de la caricature ambulante, pas assez nuancés, tel le voisin propriétaire soupçonneux, brut de décoffrage (il a un peu trop une araignée au plafond), voulant se faire justice lui-même, ne cessant en boucle de mépriser ses locataires. Quant aux forces de l’ordre, des plus autoritaires en étant surarmées à la Robocop ou Léon, elles apparaissent ici, Vaniček forçant de trop le trait, comme des cowboys urbains interchangeables et décérébrés, s’apparentant tous, avec leur casque leur dissimulant le visage, à des CRS déshumanisés et ultraviolents tirant à l’aveugle, genre tir aux pigeons, sur tout ce qui bouge dans un bâtiment désormais maudit ; hors champ, on les devine même en train de vouloir gazer, sans distinction aucune, arachnides envahissants et habitants de la cité perçus comme dangereux car potentiellement contaminés ; une porte d’issue de secours leur est même, pour ces derniers, froidement fermée au nez : séquestration et gazage, voilà uniquement ce qui est proposé à la bande des jeunes fuyards, paradoxalement le réalisateur a déclaré « vouloir éviter les clichés du film de banlieue antiflic, qui mette de l’huile sur le feu et attise la violence  ». Heureusement, le lieutenant de police dépassé par les événements avouant aux jeunes le complet désarroi de ses hommes face à la menace grandissante et le personnage de la jeune policière municipale sensible viennent contrebalancer ce portrait d’une vision très noire et manichéenne de la police frôlant, il faut bien l’avouer, le discours anti-flics quelque peu facile et racoleur (pour attirer au cinoche les jeunes-de-banlieue ?).

« L’araignée (Baer 600) », Pablo Picasso, 1936-39, gravure, 44 x 33 cm, galerie Lelong & Co., Paris

Hormis ces bémols, certes de taille, ainsi que le fait, selon moi, que le jeune cinéaste Sébastien Vaniček aurait pu pousser plus loin l’esthétique de son film en insistant davantage, afin de nous troubler plus encore et ce de manière vertigineuse en se jouant malicieusement de l’attraction/répulsion à l’égard des araignées, sur les analogies formelles entre araignées et humains, comme un Ridley Scott s’attardant subtilement sur les mains « arachnéennes » de Ripley dans son très sombre Alien, le huitième passager (1979) tout en n'omettant pas de rappeler, à la manière de l’artiste argentin anthropocène Tomás Saraceno combien les toiles d’araignées, telles des œuvres d’art vivantes déployées en rhizome alliant dentelle et réseau de soie, peuvent être perçues comme une allégorie, histoire de filer la métaphore !, des liens unissant les êtres vivants entre eux, le film Vermines, en tant que premier long métrage, impressionne tout de même, via ses images charbonneuses très belles comme en osmose avec la monstration d’une ville on ne peut plus déprimée.

Un film de SF à l’ironie mordante : « Starship Troopers », 1997, du « Hollandais violent » Paul Verhoeven

Et son alliage plutôt réussi, entre film d’épouvante et film de banlieue, cinéma horrifique et cinéma social, comme s’il croisait Starship Troopers avec Les Misérables de Ladj Ly, est suffisamment au point pour nous maintenir continûment en haleine, quitte à se cramponner farouchement à notre fauteuil lors des scènes délicieusement urticantes (l’araignée sortira-t-elle ou pas de la basket ou de la boîte à chaussures ? Sans oublier les séquences fortes du long-métrage, telles des araignées véloces, rentrées par une bouche d’aération, sortant soudain de la bonde d’évacuation d’une cabine de douche ou encore la traversée, façon épreuve crispante de Fort Boyard, d’un corridor recouvert de toiles d’araignée éclairé a minima un bref instant par un minuteur électrique), tout en s’interrogeant, via en toile de fond un sous-texte social et politique bienvenu, sur qui est censé être cette supposée vermine, dans tous les sens du terme - à la fois l’ensemble des insectes passant pour parasites de l’homme et des animaux et l’ensemble nombreux d’individus dits méprisables et nuisibles à la société, qualifié ordinairement de racaille ou canaille à « nettoyer au Kärcher » -, dans nos sociétés anxiogènes d’aujourd’hui de plus en clivantes, à force de craindre voire d’ostraciser autrui (banlieusards, jeunes à capuches, migrants, par exemple, sans oublier concernant la faune animale, les insectes rampants, telles les punaises de lit traumatisantes de ces derniers temps, et les rats d’égouts qui prolifèrent dans les grandes villes – squatteurs ô combien mal vus !) ; du 4 sur 5 pour moi.

Je laisse le mot de la fin à Vaniček répondant la chose suivante, toujours, dans Le Monde (#24566, à la question suivante (Y a-t-il une dimension politique dans votre film ?) : « Il y a un parallèle entre les conditions de vie des araignées et des insectes, enfermés dans des aquariums et la manière dont est traitée la ‌"vermine" de banlieue. "Il faut ouvrir les boîtes", dit un des personnages. C’est la seule façon de s’en sortir. Enfermer les gens engendre des problèmes liés à la survie, à l’agression, à l’existence de prédateurs et de proies, à l’absence de dialogue, à l’impossibilité d’une communication entre la police et la jeunesse.  »

Vermines (2023 – 1h33, interdit aux moins de 12 ans). France. Couleur. De Sébastien Vaniček. Avec Théo Christine, Sofia Lesaffre, Jérôme Niel, Finnegan Oldfield, Marie-Philomène Nga, Emmanuel Bonami, Lisa Nyarko, Abdallah Moundy, Mahmadou Sangaré, Malik Amraoui. En salles depuis le 27 décembre 2023. 


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