Du cachet à la piqure

par C’est Nabum
jeudi 19 août 2021

 

La pilule est dure à avaler.

 

Depuis le temps qu'ils couraient désespérément le cachet, les malheureux artistes ont fini par manger leur chapeau. Il faut bien admettre que la pandémie joua un tour pendable au monde de la culture. L'abominable virus ayant une propension particulièrement vorace à fondre sur les spectateurs, ces êtres inutiles qui perdent leur temps assis sur des fauteuils à écouter des sornettes au lieu de pousser un caddie dans les centres commerciaux.

Le cachet finit par devenir effervescent, la colère monta sur scène tandis que la ministre de la culture, en bonne dame patronnesse tout de rose vêtue, s'installait dans le trou du souffleur pour attiser le vent de la révolte par des propos lénifiants. Il était temps de sauver la corporation qui courait à la faillite, faute d'indemnités chômage.

Certains firent une scène à ce pouvoir qui craint par-dessus tout la contagion de l'intelligence, de la réflexion ou de la critique. Le peuple doit tout avaler, surtout les potions amères, les purges à venir et les remèdes de cheval pour relancer la croissance. Les adeptes des remèdes de grand-mère, de la médecine naturelle et du répertoire classique sont priés de se faire porter pâle.

La muselière eut été le plus sûr moyen de faire taire ces odieux troublions, saltimbanques en route vers la subversion, troubadour la pilule, trouvères l'abîme … Ils ont osé remplacer les bouffons, les fous du roi que la République avait pris soin d'éliminer du programme, ne conservant pour ses serviteurs zélés que les privilèges et les avantages de l'ancien régime.

L'artiste s'insurge, s'indigne, persiffle, moque les travers de ceux qui mettent au régime les sujets sans jamais s'imposer le clystère et la saignée. Mettre au ban la culture, c'est enfin se débarrasser des dernières voix discordantes tandis que la presse unanime chante les louanges des canailles qui nous gouvernent, encense leurs actions, omettent d'évoquer les innombrables mensonges et les incessantes malversations et corruptions qui salissent cette caste.

Le rideau doit tomber sur ce dernier refuge de la vérité. Les projecteurs seront retournés afin d'aveugler un public qui n'a plus qu'un seul son de cloche à écouter, la bonne parole venue du Palais et reprise en chœur par toutes les sensibilités d'une représentation nationale laminée par la soumission et la lâcheté. Si théâtre de guignol il doit y avoir, il sera l'exclusivité du pouvoir avec ses ministres mis en examen, ses casseroles et affaires crapuleuses, ses prévaricateurs et ses corrompus. Jamais il n'y eu plus belle distribution et la commedia dell'arte officielle n'a nul besoin d'un miroir déformant pour la représenter.

L'artiste cessera de courir le cachet et comme tous les autres il avalera la pilule amère, se piquera de docilité devant un public masqué et clairsemé. La jauge est devenue le juge de paix, la marque irréfutable de la distance nécessaire entre les gens afin d'éviter la contagion de la rébellion. Le monde d'Orwel se met lentement en place pour liquider définitivement les dernières poches de résistance.

Pourtant, la posologie du mensonge et de la terreur n'a pas eu les effets escomptés. Il demeure des consciences à se dresser devant ce monde aseptisé, hygiéniste et lobotomisé que cherche à imposer le libéralisme outrancier afin de continuer à détruire l'humanité future pour que quelques-uns s'enrichissent encore, que d'autres s'envoient en l'air dans l'espace, que beaucoup vivent d'égoïsme et de l'ostracisme.

La culture restera l'ultime rempart contre ce système aberrant défendu par des apprentis sorciers au service des maîtres du monde. Ouvrons les yeux, libérons la parole et retrouvons le chemin de l'insoumission joyeuse, festive, impertinente, libre et authentique. Fuyons l'impasse délétère de l'heure pour aller à la rencontre des lanceurs d'alerte, des éveilleurs de conscience, des penseurs, des philosophes et des artistes.

Orwellement vôtre.


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