Impressions de BIRMANIE

par L’apostilleur
vendredi 31 mai 2019

Tôt, sur les rives du grand fleuve né dans l'Himalaya, l'aube se réveille et déjà quelques fleurs étirent leurs fils blancs chargés de la rosée de l'Irrawaddy. Les troncs squamés des grands acacias cachent le jeu des écureuils qui se confondent avec leur robe assortie.

 

Sans-gênes, excités, ils indisposent la petite chouette qui maintenant cherche à s'endormir. 

Un peu plus loin, Bagan cité millénaire des rois birmans, épouse l'arrondi du fleuve et s'allonge sur sa rive sud en éparpillant ses richesses presque oubliées ; des stûpas et les pagodes par centaines.

 

Baignée chaque matin par une nappe brumeuse silencieuse, elle semblait propice au bouddhisme qui l'a fait naître, pourtant ses fidèles l'ont quittée. Le site n'en féconde toujours pas moins l'imagination... 

 

La nuit s'en est allée maintenant et la brume diffuse, persiste ici et là entre quelques hauts palmiers. Un moine promène sa robe pourpre aux abords des temples anciens et finit par en choisir un pour y pénétrer. Les postures qu'il affecte trahissent sa dévotion. Quel est le sens de sa méditation ? Sa proximité avec Bouddha lui apporterait-elle les réponses que les autres hommes ignorent, sinon pourquoi lui consacrer sa vie ?

 

 

Ce matin, avant les heures chaudes, le Siam se dévoile insensiblement. Des hauteurs de Kalaw l'œil domine les nuages encore engourdis et décèle le lac de Nyaung Shwe qu'il faudra atteindre.

 

 La plénitude apparente ne laisse pas deviner ce que nos instincts semblent avoir oublié. L'humanité change. Les ethnies autochtones belliqueuses n'ont plus à craindre de leurs ennemis Naga cannibales, qui ont rangé leurs pratiques anciennes. Pourtant, la mémoire de leurs victimes réveillées par une prochaine réincarnation pourrait leur rappeler.

La spiritualité imprègne la vie et les paysages qu’ils transcendent avec ces constructions presque inatteignables. Sauf au prix d’un effort (de centaines de marches) à la hauteur de l'offrande à consentir, comme au Mont Popa couronné d’un monastère. Le regard y touche l’infini de toute part.

 

Un peu plus loin au sud, près du lac Inle, les stûpas des Inta lèvent leurs girouettes vers le ciel depuis le XIIe siècle. Ils se blottissent autour des pagodes, architectures élégantes qui cachent leur Bouddha. Le temps en a épargné des milliers ; l'hypothèse d’une protection divine se révélerait-elle là ?

 

Ils rappellent la croyance perpétuelle de ces hommes désintéressés, de tout si possible, sauf des textes sacrés qu'ils marmonnent au pied des statues alourdies de feuilles d'or. Ces doigts levés signent la permanence de leur ferveur.

Comme les Vénitiens quelques siècles plus tôt et pour des raisons semblables, les Inta se sont réfugiés sur des pilotis au sud-ouest du lac Inle.

 

Pendant que les premiers éclaboussaient l'Europe de leur culture époustouflante, les Inta chassés du Sud de la Birmanie, commençaient à cultiver leur nourriture sur des jardins flottants comme aujourd'hui.

 

Leurs pirogues n'ont que le noir laqué des gondoles mais elles conservent encore leur utilité première pour chaque moment de la journée. Si les Vénitiens ont perdu l'authenticité de leur quotidien qui émerveilla tant Henri III, les Inta nous livrent le témoignage vivant du mode de vie de leurs ancêtres. Pour combien de temps encore ?

 

Trois millions de touristes visitent la Birmanie aujourd'hui, ils en espèrent bientôt trente millions… 

En attendant, entre ciel et lac, ils dominent les parterres de jacinthe d'eau, où les couples de canards glanent leur pitance entre les pirogues balancées par les vagues de leurs consœurs. Leur vie active se cale au gré des saisons et des lueurs du soleil, personne n'échappe au rythme ancestral. Alors on se perd en conjectures quant à notre intrusion. Le bonheur de cette jeune fille magnant délicatement sa frêle pirogue dépend de quel avenir ? Du bonheur apparent de ses parents qu'elle saura sans doute reproduire ou de la nouvelle vie que les visiteurs apportent sans le savoir dans leurs bagages ? 

Les plumeaux argentés qui plient la hampe des roseaux lui souffleront peut-être la réponse à moins qu’un ermite, dévot lui aussi, le lui dévoile secrètement au hasard d'une rencontre sous les auspices d'une pagode...

 

Cent trente-cinq ethnies parfois encore ennemies, composent la Birmanie dessinée par les colons. Toutes différentes hier, et demain toutes semblables dans un pays qui aura organisé une paix mono ton. C'est le prix à payer pour entrer dans l'ère de notre siècle modernisé. Leurs origines géographiques, leurs coutumes si variées et leurs territoires actuels, richesses essentielles auxquelles ils s'accrochent, esquissent les difficultés pour y parvenir. N'est-ce pas cependant préférable pour tous ?

 

A NGAPALI, non loin du territoire des Rohyngia, levés par les thermiques de ce début d'après-midi, les courants d'air rôdent à la surface de l'immense golfe du Bengale et se chargent d'une chaleur pesante au contact du sable brûlant de la plage.

 

Cette atmosphère lourde semble écraser même les vagues qui peinent à se dresser. Pourtant, les crabes aux aguets sur les rochers épars de la plage, attendent.

 

Rien ne laisse penser qu'ici, la mousson camouflée derrière ses épais rideaux de pluie accable régulièrement la nature de ses violences. Les hommes habitués l'attendent pourtant chaque année avec intérêt ; elle contribue à leur existence, simple comme à Thandwe, où les familles de pêcheurs sèchent leurs prises sur la plage.

 

La vie y est tranquille, à l’abri de l’effervescence Rohyngia que la proximité des hôtels internationaux (propriété des militaires) protège.

A YANGON, l’ancienne capitale est entre les mains de quelques familles proches des chefs militaires encore impliqués dans une partie de l'exécutif. Le patrimoine qu'ils ont accaparé, mines de gem, exploitation des gisements naturels, ou développé pour leur compte comme certains grands hôtels, activités touristiques... les a enrichis éhontément. Leurs familles paradent au volant de voitures luxueuses pour se retrouver le soir dans un snack-bar à la mode. La "rue" ne les regarde même pas. Est-ce par mépris ou par résignation ?

Le soir, les quartiers bien gardés des nantis se distinguent par les barbelés qui hérissent les pourtours de leurs propriétés imposantes.

Ailleurs, en suivant le "circulaire", cette ligne de chemin de fer d'un autre temps qui enceint une bonne part de la ville, d'autres quartiers vont se révéler, plus grands, plus nombreux.

 

On laisse la gare centrale et sa façade, œuvre coloniale majestueuse salie par le temps, pour remonter lentement la rive est du fleuve. Là, sont agglutinés les paillotes fragiles et leurs occupants misérables.

Les chiens avachis à longueur de ces chaudes journées laissent passer le train sans un regard ni d'ailleurs pour les poulets maigrichons autour d'eux insuffisants à leur pitance. Soudain, la frénésie d'un marché surprend les voyageurs assoupis après leurs en-cas servis bruyamment par les petits vendeurs nombreux qui arpentent les wagons. Les fenêtres sans vitre et les accès sans porte sont pris d'assaut. Les sacs jetés dans le wagon débordent d'agrumes appétissants en apparence, provenant des champs alentours.

Ils s'étendent en bordure d'une modeste rivière, épaisse, encombrée des salissures dégoulinant de ses berges. Les riverains exploitent comme ils peuvent les terrains disponibles, même ceux adossés aux remblais de la voie ferrée.

 

Les nuances sombres de la rivière encrassée se retrouvent dans les reflets des flaques de parcelles irriguées. La vie trépigne pourtant dans les villages qui s'étirent entre les petites stations en réfection par des travailleurs qui ignorent le repos, comme les vendeurs, les paysans...

Après un périple de trois heures la boucle se referme sur la station principale du départ, coeur de Yangon.

La cité est disparate. Son cœur religieux s’impose à la ville et aux hommes. Ses pagodes Sule et Shwedagon, nées au firmament du bouddhisme semblent encore là pour l'éternité…

 

Pendant que les traces de son passé colonial laissées souvent sans soins, se fragilisent à proximité des marchés entourés d’une circulation étouffée. Pour combien de temps encore ?

 

Cette époque de leur histoire serait-elle à effacer ? Au profit de constructions plus récentes ?

 

Cent trente-cinq ethnies qui n'ont rien demandé, parfois même toujours ennemies, s'éparpillent sur le territoire de la Birmanie. Toutes différentes hier, et demain toutes réunies dans un pays que ces dirigeants auront unifié aux forceps.

 

C'est le prix à payer pour que le pays entre dans l'ère de notre siècle modernisé. La diversité de leurs origines esquisse les difficultés pour y parvenir. N'est-il pas cependant préférable pour tous de s'unir autour d'une même première langue le Birman, les sept principales ethnies apprenant en seconde langue celle de leur naissance ?

L'affaire est compliquée et le contexte difficile ; la Birmanie est en guerre. 

Au nord-ouest du territoire, il se dit que les chefs militaires moyennant finances reçues des passeurs, auraient laissé entrer un million de Bengalis (Rohingya) contre lesquels les bonzes organisent maintenant des pogroms.

Au nord, le territoire est sous contrôle d'une ethnie spécialisée dans l'exploitation du ‘’coquelicot’’, l'opium. Deuxième producteur mondial après l'Afghanistan, elle bénéficie du soutien du voisin chinois qui a des vues sur ce territoire. Armée par les Chinois elle oppose une résistance encore invaincue au gouvernement du Myanmar qui masse des militaires et des moyens policiers au nord du pays. Tellement dépendante du tourisme, Madame Aung San Suu kyi marche sur des œufs pour régler ces obstacles. Une rafale d'arme automatique sur une plage d'un de ses nombreux opposants "façon terrorisme Tunisien", serait suffisante pour anéantir tous les efforts réalisés pour le développement de la nécessaire manne touristique.

Si la marche effrénée du modernisme a mis deux siècles pour transformer les « pays développés », la Birmanie n'aura pas le même délai pour les rejoindre. La nonchalance de ces populations imprégnées du rythme de leur histoire, sera heurtée par la brutalité des exigences actuelles qui gagnent.

Combien de générations en pâtiront ?

 

 


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