Gabriel Yacoub illustre inconnu de la chanson française
par Beauceron
lundi 26 mai 2025
On pouvait ainsi choisir les oeuvres, essayer, aimer et se tromper parfois ; on pouvait aussi échanger des impressions avec les documentalistes. J'ai ainsi découvert les Stranglers, Joy Division, des groupes improbables comme Bad Manners, toute la magie et l'inventivité de la musique anglo-saxonne. Comme beaucoup d'étudiants de cette époque, les productions françaises nous laissaient indifférents, hormis peut-être le rock alternatif, et encore.
Un jour, à la médiathèque François Villon dans le 10ème arrondissement, je me laissais tenter par une nouveauté exposée sur un présentoir. Un chanteur francophone inconnu, Gabriel Yacoub, sortait un album dont la pochette présentait une simple grue de chantier. Une modestie dans le design rare à cette époque, qui ne laissait rien paraitre de la qualité exceptionnelle du contenu.
Ce fut une révélation. Enfin je découvrais de la chanson française agréable et intelligente, des titres qui sont devenus pour moi des classiques : Tant pis que l'exil, Ces dieux-là... La musique était subtile, les textes soignés déclinaient une poésie sombre qu'un Ian Curtis n'aurait pas renié, style à part. Mélange de folk et de rock celtique, Gabriel Yacoub maniait le verbe avec efficacité, sa guitare avec dextérité.
Je découvrais que Gabriel Yacoub fut le chanteur d'un groupe folk nommé Malicorne, monté dans les années 1970. Les CD étaient aussi disponibles dans les médiathèques. On empruntait, on faisait des copies, parfois on achetait à la FNAC des Halles quand on avait des sous. Pour ce groupe et son chanteur, c'était de l'argent bien placé, des CD avec des pochettes riches en textes très beaux et bien illustrés. Gabriel Yacoub a cotoyé Alan Stivell, Dan Ar Braz et beaucoup d'autres. Sa biographie indique des origines modestes, un papa ouvrier, deux points communs avec les vrais artistes, notamment les britanniques que nous écoutions à l'époque.
Dans les années pré-2000, il était sous contrat avec Boucheries Production de François Hadji-Lazaro, le Buster Bloodvessel français. Il ne passait jamais à la télévision ni à la radio, les médias étaient verrouillés par les Hit Parade, Top 50 et autres niaiseries pour un public formaté. Il connut un renouveau vers 2010, fut même nommé officier des arts et des lettres en 2013 contre toute attente. La suite, ce fut des concerts de proximité pour un public de connaisseurs.
En me repassant quelques chansons de Gabriel Yacoub sur Youtube, j'ai lu dans les commentaires de bien tristes "RIP Gabriel". Car il est parti en toute discrétion vers le paradis des troubadours en janvier dernier. Sans un mot dans les grands médias, sans hommage des médiocres "Victoires de la musique" de France Télévision. A l'image de son titre Les choses les plus simples, entouré par ses proches, suite à une longue maladie.
Redécouvrir Gabriel Yacoub, c'est le plaisir de parcourir un univers arthurien, paien, rural, hors du temps. Une chanson française de qualité des années 1970 à 1990, à l'ombre des Johnny et des Patrick Bruel , qui parvenait parfois à s'exporter à l'étranger, de par son originalité et sa qualité...