Dimorphisme ligérien
par C’est Nabum
jeudi 15 mai 2025
Les gars d'à terre et les gars sur l'eau.
Il advint qu'une fée espiègle eut un jour l'idée surprenante de jeter un sort à quelques joyeux lurons aimant plus sûrement à taquiner la chopine que la donzelle. En dépit de propos toujours lestes et souvent grivois, ils avaient une forme de retenue que la timidité seule ne peut expliquer. Leur manière d'être devait sans doute beaucoup à la malédiction qu'avait fait peser la vouivre sur leurs têtes, plus chaudes du bonnet que de l'aiguillette.
Se prétendant seigneurs sur l'eau, nos lascars avaient une attitude hautaine vis à vis de tous ceux qui restaient sur la rive et qu'ils nommaient bien méchamment les culs terreux. Si le propos ne prête guère à conséquence pour ceux qui à l'abri sur leurs bateaux se trouvent ainsi dispensés d'avoir des représailles autres que verbales, il laisse des traces dans les esprits des offensés et plus encore si ceux-ci portent jupons.
La remarque portant sur une partie de leur intimité qui de manière fort paradoxale constituait la principale préoccupation de ces marins dès qu'ils mettaient le pied à terre, les demoiselles outragées avaient beau jeu de les prier d'aller laver le leur ailleurs d'autant plus opportunément que ces mal embouchés se faisaient un honneur de se qualifier de « Chie dans l'eau ! ». On mesure à quel point dans cet univers interlope, l'expression se plaisait à exalter la partie la plus rebondie de notre anatomie.
Cependant, si le gars de l'eau avait la goule toujours prompte à la gaudriole purement verbale, une fois à terre il en allait tout autrement pourvu qu'il se soit écarté de ses compères. Le phénomène de masse en la circonstance ne favorise jamais la prise de conscience des travers qu'engendre le groupe. Dans les tavernes justement, là où ils aimaient à retrouver la pratique de leurs semblables il n'était question que de boire cul sec ou de bicher le cul de la bouteille.
Un psychanalyste remarquerait rapidement un trouble obsessionnel dans la corporation alors que d'une manière générale nulle femme ne s'aventure à bord quoique des exceptions notables ont été observées dans l'histoire, allant même jusqu'à l'existence d'équipages totalement féminins. Mais est-ce la nécessité d'avoir le vent en poupe pour remonter le courant qui provoqua ce fâcheux penchant pour le séant ? Ce qui ferait dire alors que le marinier s'assoit sur les bonnes manières.
Ajoutons que le cul de grève et l'engravement sont des sujets de préoccupation professionnels et nous resterons focalisés sur la partie charnue de tout individu alors que pour relever le niveau, le marinier qui va à terre se lie à la bite d’amarrage. Comment sortir indemne dans un tel contexte lexical même si nos matelots n'ont jamais été des obsédés textuels. Du quai de la Fosse à Nantes aux culs de basse-fosse partout ailleurs, il est toujours le bec dans l'eau dès qu'il s'agit de se montrer à son avantage avec la gente féminine.
C'est alors que le pauvre garçon, abandonné de ses compagnons, devenant soudainement un terrain ordinaire, portait moins haut le verbe et la gouaille qui s'appuyait sur l'effet d'entraînement. Se retrouvant alors en cale sèche, il essuyait plus de rebuffades que de jolis grains, devant alors se satisfaire de la fréquentation monnayée des bordeaux. Pour qui met un collier à la vergue, voilà bien extrémité peu glorieuse que de devoir recourir à une prestation tarifée dont il ne pourra se vanter de retour avec ses collègues.
C'est là le sort de la marine et soudainement la chanson de Georges Brassens sur les somptueuses paroles de Paul Fort prennent une toute autre dimension comme si le gars de Sète et le poète n'avaient jamais mis les bouts avec les marins d'eau douce. Qu'importe puisque tout ce salmigondis n'avait d'autre but que de vous proposer la relecture de ce texte magnifique qui me laisse toujours le cul par terre, d'admiration jalouse. Au lieu de quoi je vous ai jusque-là imposé un texte cul cul la marine ou la praline, faute de vent dans les voiles…
La Marine
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On les retrouve en raccourci
Dans nos petites amours d'un jour
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours
C'est là le sort de la marine
Et de toutes nos petites chéries
On accoste, vite un bec
Pour nos baisers, le corps avec
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Et les joies et les bouderies
Les fâcheries, les bons retours
Y a tout ça en raccourci
Des grands amours dans nos p'tits
On a ri, on s'est baisés
Sur les noeunoeils, les nénés
Dans les cheveux, à plein bécots
Pondus comme des œufs tout chauds
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Tout ce qu'on fait dans un seul jour
Et comme on allonge le temps
Plus de trois fois, dans un seul jour
Content, pas content, content
Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron
Ça vous met la joie au cœur
La peine aussi et c'est bon
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On n'est pas là pour causer
Mais on pense, même dans l'amour
On pense que demain, il fera jour
Et que c'est une calamité
C'est là le sort de la marine
Et de toutes nos petites chéries
On accoste, mais on devine
Que ça ne sera pas le paradis
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On aura beau se dépêcher
Faire, bon Dieu la pige au temps
Et le bourrer de tous nos péchés
Ça ne sera pas ça, et pourtant
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours
On les trouve en raccourci
Dans nos petites amours d'un jour
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Paul Fort