Manants ou mécréants

par C’est Nabum
samedi 4 mai 2024

Le commissaire de la République et le petit chaperon rouge.

Un homme, important puisque la République lui a confié mission exploratoire au cœur de la Sologne, fut chargé d'établir le niveau de dangerosité pour qu'une petite fille, vêtue d'un chaperon rouge, puisse sans encombre, assurer la livraison du repas à domicile chez sa grand-mère, vivant à l'écart d'une commune, au bord du Beuvron. Les associations ad-hoc étant débordées, il avait fallu faire appel à cette solution de substitution pour assurer la continuité du service.

Le commissaire eut tout d'abord à examiner le cas épineux du travail des enfants. Devait-on considérer que la petite agissait au nom d'une solidarité familiale de bon aloi, ou sous mandat et délégation publique auquel cas, rémunération lui devait être versée. Le cas ferait école à n'en point douter d'autant plus que la pauvrette, compte tenu des distances, arriverait en retard à la sienne. Le zélé enquêteur, rien que sur ce point y perdait son code civil.

Puis, après un jugement à la Salomon, ne prenant en rien position sur le cas précis, il fallait déterminer le trajet que pouvait emprunter la gamine. De nouvelles dispositions en matière d'accès libre aux chemins de randonnée traversant des propriétés privées avaient été votées en catimini. Le retour des privilèges coïncidant étrangement avec celui des loups dans nos contrées. Faut-il y voir un mauvais présage ? Toujours est-il que le représentant de la puissance publique ne pouvait couper court à cette modification de taille : la petite devra faire un très long détour.

En bon serviteur d'une République virant à la Monarchie, le servile fonctionnaire se pencha sur la tenue de l'enfant dans l'exercice d'une mission publique. Pour lui et ses supérieurs ; la chose serait même arrivée jusqu'aux sommets de l'état, le rouge ne pouvait être de mise. Compte tenu de la dangerosité d'un cheminement en forêt et pour se montrer des chasseurs, une couleur vive à l'exception du rouge devait être adoptée.

Le jaune était désormais prohibé par le pouvoir en raison d'une poussée de fièvre qui laisse encore un fâcheux souvenir dans l'entourage du souverain. La couleur orange étant retenue pour habiller les porteurs de fusil, il reste alors le bleu ciel ou le vert pomme. La seconde proposition ne pouvant être retenue, les écologistes étant vent debout contre ce projet, ce fut donc la première qui fut choisie en dépit d'un ciel qui n'est pas sans nuage. Le commissaire y perdait désormais son latin.

Restait désormais la nature du repas à porter. La galette et le petit pot de beurre rappelant par trop les inepties d'un fabuliste, il fut décidé par ce noble commissaire de confier à une société de portage de repas en plateau par la solution de la liaison froide, chère à un ancien sénateur du coin, la confection des repas que la petite devrait venir chercher à l'école de son village avant que de se rendre auprès de sa grand-mère. Son temps de parcours s'en trouvant considérablement allongé.

Des voix s’élevèrent dans le village pour protester contre l'absurdité de ces décisions qui se matérialisèrent même par la signature d'une pétition qui recueillit la presque totalité des citoyens de l'endroit. Devant ce mouvement d'opinion ; le commissaire risquant alors de se faire sonner les cloches par la préfète, confondant sans doute voix citoyennes et voies du Seigneur, traitant les membres de cette plèbe hostile et imbécile de mécréants. Il entendait sans doute mettre dieu de son côté.

La suite serait délectable pour démontrer la stupidité de ceux qui nous gouvernent si la farce n'avait pas tourné à la déconfiture la plus totale du malheureux commissaire. La population du village, indignée à juste titre par les propos du vilain homme, organisa un service citoyen de livraison, laissant ainsi la petite fille aller à l'école comme tous ses camarades.

À tour de rôle de braves gens portèrent donc, vêtus d'une chasuble bleu ciel, le fameux plateau repas à la pauvre vieille qui se trouva fort embarrassée par la médiocrité de ces plateaux sans saveur ni texture. En plusieurs occasions, une meute de six loups se jeta sur le porteur qui pour échapper aux crocs des fauves jeta le plateau aux bêtes affamées.

Il semble d'après les témoignages que les animaux se plaignirent amèrement de la qualité de ce qui leur était ainsi proposé. Jamais pitance plus abominable n'avait été donnée de trouver dans la nature. De mécontentement, la meute vint hurler auprès de la mairie ou siégeait le sus dit commissaire de ce qui est encore une République.

L'homme fou de rage et la bave aux lèvres, traita la populace de manant devant leur refus désormais d'affronter les loups au cour de la Sologne sauvage. De rage sans doute, de sa dignité outragée plus sûrement, il prit sur lui de faire la livraison suivante. Mal lui en prit du reste parce que c'est lui qui fut dévoré sans que les loups n'en fassent la demande aux autorités compétentes. Il se murmure dans le pays que les bêtes ayant trouvé leur proie si indigeste, décidèrent de quitter ce territoire pour n'en jamais revenir, d'autant que des nouvelles venues avaient l'intention de les castrer pour en faire leur gagne pain.

Une cérémonie eut lieu aux Invalides pour honorer la mémoire de ce grand serviteur de la chose publique tandis que le village fut lourdement sanctionné par une baisse importante des subsides de l'État. On ne se dresse pas impunément contre la loi du plus fort. Depuis ce jour, des loups sont entrés dans Paris…


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