L’agglomération genevoise victime de son succès

par Antoine Vielliard (Saint-Julien-en-Genevois)
mardi 16 novembre 2010

L’agglomération genevoise est l’une des agglomérations européennes dont la croissance démographique est la plus forte. Une croissance tirée par la politique économie externe de Genève. Le canton-ville propose aux multinationales, hedge-funds et sociétés de trading une exonération de l’impôt sur les sociétés sur le chiffre d’affaire réalisé en dehors de Suisse (soit plus de 90% de leur chiffre d’affaire). Ainsi, par exemple, Genève est l’une des capitales mondiales du trading de matière première sans jamais voir un seul cargo dans son port de plaisance.

Cette politique fiscale et économique qui concurrence New York ou Singapour attire des entreprises en nombre toujours plus important chaque année qui elles mêmes font venir leurs employés. Au total ce sont entre 10’000 et 15’000 nouveaux habitants supplémentaires qui s’installent chaque année dans cette agglomération de 800’000 habitants.
 
Mais l’agglomération franco-valdo-genevoise est une rare agglomération binationale. Son territoire reparti à moitié en France et à moitié en Suisse en fait une petite agglomération de part et d’autre de la frontière lorsqu’elle est vue avec un prisme national qui la coupe en deux. Pris dans sa globalité, l’agglomération genevoise est la 5ieme agglomération française après Lille et devant Toulouse.
 
Cette particularité binationale induit de nombreuses particularités. Ainsi par exemple, l’agglomération genevoise est la seule agglomération à se construire en forme de saturne : un centre ville constitué de la ville de Genève, une campagne genevoise verte et agricole qui occupe la majorité de l’espace, encadré ensuite par une périphérie du Genevois français. Partout ailleurs dans le monde, les agglomérations ont la sagesse d’implanter la périphérie avant la campagne afin de limiter les coûts des transports en commun pour en augmenter la capacité. Par cette implantation aberrante héritée de l’histoire de la frontière, l’agglomération genevoise s’interdit durablement de pouvoir financer un réseau de transport en commun performant.
 
La fiscalité locale est une autre particularité. Ainsi, les travailleurs frontaliers sont imposés à la source à Genève. Environ le quart de leur impôt sur le revenu est reversé par le canton de Genève aux départements limitrophes de l’Ain et de la Haute-Savoie qui en reversent l’essentiel aux communes. A Saint-Julien-en-Genevois ces « fonds frontaliers » représentent près de 15% du budget communal.
 
Alors que Genève fait venir entre 10 000 et 15 000 personnes par an, seulement 1230 logements ont été construits par le canton en 2009. De quoi loger seulement un sixième de ces expatriés supplémentaires. Les autres surenchérissent sur les rares logements vacants et accentuent une pénurie de logements qui de proche en proche s’étend à 150 km à la ronde. La jeunesse genevoise n’a plus les moyens de se loger à Genève et part s’installer dans le Genevois français. Depuis près de 10 ans maintenant ils occupent un nombre de logements correspondant aux deux tiers des nouvelles constructions. Ce faisant ils continuent de payer leurs impôts à Genève. Pour chaque habitant exilé dans le Genevois français le canton de Genève perçoit en moyenne 3200 CHF d’impôts sur le revenu par an et chaque année. Une manne fiscale qui incite les autorités cantonales à poursuivre les incohérences entre une politique économique digne de Singapour et une politique urbaine digne de la Creuse.
 
Mais cette politique conduit Genève à sa perte par ses conséquences néfastes :
  1. Les deux tiers des nouveaux habitants s’installent loin des futurs réseaux de transport en commun. Cette politique induit un étalement urbain dans le Genevois français qui conduit l’agglomération vers une paralysie généralisée des transports.
  2. Toute une génération de Genevois est contrainte à l’exil dans le Genevois français. Ce rejet de la jeunesse genevoise hors des frontières cantonales porte en germe un futur conflit de génération et de graves tensions sociales.
  3. La campagne genevoise qu’on voulait protéger se transforme petit à petit en aire d’autoroute. Perly-Certoux commune rurale et résidentielle genevoise d’un millier de familles compte déjà 76 pompes à essence et voit défiler près de 20 000 voitures par jour.
  4. Les salariés en euros et les fonctionnaires du Genevois français n’ont plus les moyens de vivre alors que la pression foncière renchérit les coûts des logements aux niveaux de Paris et de la Côte d’Azur. Pressés par le coût de la vie ils doivent devenir eux-mêmes frontaliers ou quitter la région, leur départ mine le développement et la qualité des services publics et des entreprises.
  5. Les entreprises attirées par les conditions fiscales genevoises commencent à se poser des questions sur cette agglomération dans laquelle elles ont de plus en plus de mal à loger leurs collaborateurs et où la paralysie des transports s’aggrave rapidement.
 
Cette croissance explosive conduit l’agglomération genevoise à sa perte.
 
Des solutions sont possibles. Elles ont été mises sur le papier dans un projet d’agglomération sur lequel Français et Suisses se sont engagés en 2007. Ce projet vise à développer l’agglomération genevoise en étoile afin de permettre à la fois de développer des transports en commun dans les branches de l’étoile et de préserver la campagne genevoise entre ses branches. Le projet consiste à accélérer la construction de logements à Genève afin de densifier le cœur de l’agglomération, à créer plus d’emplois côté français pour réduire les distances domicile travail et à développer des transports en commun transfrontaliers.
 
Le Genevois français met en œuvre ces conclusions : l’habitat se densifie considérablement pour accélérer le développement des transports en commun, le Genevois français a créé +30% d’emplois entre 1999 et 2007 – un des records de la région Rhône-Alpes-, et augmente considérablement les capacités des rares transports en commun transfrontaliers.
 
Tous ces efforts du Genevois français et les financements de la Confédération Helvétique aux transports en commun transfrontaliers se font à perte pour l’instant, puisque Genève continue de ne pas construire de logements, d’exporter sa pression foncière, d’expulser sa population dans le Genevois français aggravant les disparités sociales et les nuisances de la circulation.
 
Geneve ira-t-elle jusqu’à l’explosion de son modèle économique ? Le Genevois français saura-t-il imposer un peu de bon sens au développement de l’agglomération Genevoise ? Le Genevois franco suisse sera-t-il sauvé par l’Union Européenne qui exige que des limites soient imposées au dumping fiscal qui consiste à accorder des conditions dérogatoires aux entreprises européennes qui s’installent par rapport aux entreprises locales présentes depuis longtemps ?
 
La clef réside dans la capacité à planifier un développement cohérent de l’agglomération genevoise malgré les disparités créées par la frontière.
 
 
 
Photo du jet d’eau de Genève de Michel Bobillier

Lire l'article complet, et les commentaires