L’apothéose de l’aponévrose

par C’est Nabum
mercredi 4 octobre 2023

 

Ne pas se faire marcher sur les pieds.

 

Quoique va-nu-pieds depuis des lustres et pour les muses, il n'est pas question que je me laisse marcher sur ceux-ci, fussent-ils Alexandrins. À quoi rimerait du reste une telle agression qui non seulement serait fort déplacée mais qui plus est tout à fait désagréable. J'ai beau palabrer le pied levé, ma voûte plantaire n'est pas à l'abri de devoir s'écraser devant les forts en gueule de la place.

Du micro à la guitare, de la coulisse au nez, chacun prend son pied comme il l'entend tandis que je me contente de l'exposer sur scène ou dans la Loire. Les uns prétendent que c'est une forme de névrose à prendre au pied de la lettre quand d'autres, plus taquins encore, affirment péremptoires, que je marche à côté de mes pompes.

Je ne puis leur donner tort, c'est là le clou du spectacle qui consiste parfois à s'enfoncer une écharde ou bien à marcher sur une pointe rouillée. La vue du sang permettant de bénéficier d'une certaine mansuétude parmi un public, ce qui empêche le spectacle de tourner en eau de boudin. Il convient de savoir payer de sa personne, de tout donner sans mesurer sa peine. L'estrade en bois est en quelque sorte le Golgotha de l'artiste qui se déchausse.

Nous sommes nombreux à agir de la sorte. Les plus connus font référence dans cet univers des étoiles tandis que d'autres demeurent anonymes malgré cette particularité qui devrait les distinguer du commun des chaussés. Le risque est grand de se présenter de la sorte parmi les câbles et les connexions. J'en veux pour mémoire la fin tragique de Barbara Weldens alors promise à une immense carrière tant son talent était évident, électrocutée sur scène un jour d'orage dans l'Aveyron.

Le pied nu n'est pas qu'une forme alambiquée de se distinguer. Pour ceux qui pratiquent de la sorte, c'est une manière de se sentir connecté, d'être en lien avec les éléments, de se sentir pleinement soi-même, en odeur de sainteté en sorte. C'est aussi l'occasion de se présenter en totale sincérité dans une forme de dépouillement archaïque. Pour ses adeptes, c'est se présenter en totale humilité.

L’apothéose de l’aponévrose en somme pour qui aime les jeux de mots laids. Une manière de refuser la pompe du décorum, de se présenter en toute simplicité. C'est encore l'opportunité de ne jamais oublier les chevilles ouvrières du spectacle vivant : sonorisateurs, éclairagistes et autres intervenants des coulisses. Vous seriez vite mis à l'orteil si vous omettiez de les citer.

Il ne suffit cependant pas d'une paire de petons à l'air libre pour se hisser sur un piédestal ou même sur un podium. Beaucoup battent longtemps de la semelle sans connaître le succès, même si en la circonstance, manger de la vache enragée leur tanne le cuir. Cela ne leur interdit pas de rester à la traîne, de ne pas parvenir à emprunter les pas de leurs glorieux prédécesseurs. Il y a beaucoup d'appelés et si tous ne portent pas de godillots, il n'en demeure pas moins qu'il y a bien peu d'élus.

La voûte céleste pour les étoiles, plantaires pour ceux qui piétinent devant ce triomphe qu’ils ne saisissent pas au bond. Les mots s'entrechoquent pour qui ne parvient pas à prendre son pied dans l'exercice périlleux du funambule sur son fil de micro. Il est plus aisé de franchir le mur du son sans retour que de faire le pied de grue devant les bureaux des programmateurs.

L'ampoule ne remplacera jamais le projecteur, il ne faut pas se bercer d'illusion. Pour percer, il ne suffit pas d'un fil blanc et d'une aiguille même si le passage de l'artiste ordinaire à la vedette adulée est aussi étroit qu'un chas. Certains se piquent de n'en avoir cure, l'important pour eux est de prendre leur pied et de faire plaisir à quelques personnes.

Il est possible de prendre des vestes mais jamais ô grand jamais, il ne sera question pour ceux-là d'enfiler les gros sabots des succès commerciaux. Le pied ne touche jamais le fond pour conserver la tête haute, c'est là la devise des va-nu-pieds...

À contre-pied.


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