Décomposition

par C’est Nabum
samedi 19 octobre 2024

 

Sans mesure.

 

Un compositeur singulier, accroché à une clef de sol, voulait prendre de la hauteur, découvrir l'air et ses mystères. Porté par le vent, sans se douter des répercussions de sa folle tentative, il entendait prendre la tangente dans sa fugue orchestrale. Un hélicon équipé de palles lui permit sans coup férir de s'émanciper de l'apesanteur pour atteindre les sommets de l'Olympe. Il s'était persuadé que là était sa place parmi ses pairs.

Dans un silence de cathédrale, devant un parterre de spectateurs médusés, il s'éleva au-dessus du commun des mortels, lui à qui on avait octroyé l'éternité par l'octroi divin d'une barre de reprise au bout de sa partition terrestre. C'est ainsi que sans fausse note ni même broyer du noir, il voguait vers le Métavers pour aller conquérir de nouveaux mondes.

Fâcheusement impressionné par le silence intersidéral, il comprit que cet univers ne pouvait être sien. Il avait besoin du tumulte que procure l'atmosphère et sa capacité de véhiculer les sons au-delà de ce mur d'indifférence contre lequel il venait de se fracasser. Il lui fallait renverser le cours de sa destinée…

Il entreprit de revenir sur cette bonne vieille Terre en dépit de toutes ses imperfections et de l'état déplorable de ses occupants. Il se chargerait ainsi de leur enseigner son savoir, de combattre leurs vieilles et illusoires croyances pour accéder enfin à un niveau de conscience supérieur. Son ambition n'avait d'égale que sa folle détermination à pourfendre le satanisme et les sophistes si nombreux sur cette malheureuse planète.

Il se fit par la grâce de sa puissance cérébrale virtuose de la métempsycose, convoquant autour de lui dans un vaste symposium des éveillés et des élus, le chantre de la rédemption terrienne. Il lui fallait chasser les vieux démons des despotismes anciens qui avaient su s'incarner en des humains proches des leviers du pouvoir.

Pour les vaincre, la musique allait servir de détonateur, de réveil des esprits par le souffle puissant qu'il savait insuffler à ses instruments. Prenant la tête des défilés et des manifestations, comme Moïse, il avait le pouvoir d'écarter les cordons de CRS, de briser les résistances des craintifs et de faire taire les LBD et les grandes lacrymogènes.

Il cessa de glisser des notes sur la partition, il se fit décompositeur, prétendant que ce fut pour le plus grand bien de l'humanité. Il rompit les codes de l’écriture pour inventer une nouvelle communication totalement subliminale. La rime ne suffisait pas à expliquer cette curieuse volonté de briser le temps tout en se détachant des règles harmoniques. Sa ballade céleste lui ayant singulièrement troublé l'esprit, il reprenait la main en abolissant tout l'héritage musical passé.

Il se vêtit de jaune, reprenant le flambeau d'un combat passé qui avait su investir les rondes pour éluder les anicroches. Ni soupir ni silence désormais dans sa marche en avant pour monde meilleur sans forcément l’assentiment des pauvres hères qui n'entendent rien à sa dialectique. L'essentiel est ailleurs, dans sa capacité à envoûter, à subjuguer ou même à hypnotiser ceux qui deviendront ses interprètes.

Il se mue en chef maniant la baguette comme le bâton afin que la musique devienne l'artéfact de sa tyrannie future. Tous les pouvoirs tyranniques ont besoin de fixer un tempo et une chorégraphie collective. Il l'avait compris et pensa que lui seul pouvait reprendre les recettes éculées pour les appliquer avec des intentions louables. Ce qu'il ignorait alors, c'est que toujours ceux qui prônent pareille abolition du libre-arbitre pour leurs semblables finissent toujours par être des bourreaux.

Ce cauchemar s'acheva sur les ultimes notes d'un requiem. La messe était dite, cela n'avait été qu'une désespérante illusion.


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