La mondialisation barbare des conservateurs
par Boogie_Five
jeudi 28 novembre 2024
Avec la réélection triomphale de Donald Trump, la droite radicale et extrême prend son ancrage et s’étend toujours plus. Conséquence de la politique du tout-marché et de la dérégulation de l’économie, la barbarie qui s’est répandue aux frontières remonte désormais au cœur de l’empire. Comme autrefois avec la domination coloniale européenne, qui aiguisait la compétition mondiale entre les différents empires et débouchait périodiquement sur des guerres mondiales, de la guerre de Sept Ans à 1945.
Aujourd’hui dégonflée comme une baudruche, la mondialisation heureuse des atlantistes néolibéraux a répété à peu près le même schéma, sans l’artifice du cérémonial pompeux des vieux empires. Reposant en réalité sur des alliances inégales avec des oligarchies d’états-clients despotiques et autoritaires qui vendent au rabais leur main-d’œuvre et leurs matières premières, la violence de cette exploitation à l’échelle globale a fait imploser les sociétés du Sud et retourne vers les mégapoles du Nord, lieux du centre du pouvoir global.
Pour conjurer un naufrage et une incurie assurés, et éviter d’être emportés par la grande casse sociale qu’ils mettent en œuvre dans les pays développés, les conservateurs se raccrochent à un discours identitaire, culturel et nationaliste, à défaut d’investir des moyens réels pour retrouver un équilibre dans les rapports sociaux, économiques et internationaux. Les plateaux télé sont remplis de petits chefs de guerre à la semaine qui appellent à en découdre avec Poutine, Xi Xinping, les islamo-gauchistes, les syndicalistes, l’ayatollah iranien, bref... Avec au moins le tiers ou la moitié de la population mondiale. Tout cela grâce à des armées imaginaires innombrables, prêtes à se sacrifier et déjà en route vers le Valhalla, pour sauver les suprêmes intérêts d’une gérontocratie petite-bourgeoise inconséquente sur le plan stratégique.
Mais le subterfuge identitaire fonctionne, comme une pièce de rechange à l’austérité promise. Vous serez pauvres, mais au moins vous resterez vous-mêmes et vous mourrez dans une certaine dignité. Vous n’aurez plus d’argent ni d’autonomie, mais des armes vous seront données pour protéger votre famille, votre clan ou votre tribu. Et ce discours colle si parfaitement à l’idéologie libertarienne et à la réalité de la mondialisation néolibérale qu’elle influence, qu’il devient assez compliqué de présenter une alternative se détachant de ce récit, digne du far-west et du mythe américain de la frontière. Face à une personne n’ayant pas reçu au préalable de formation syndicale ou militante, et n’ayant jamais participé à aucune mobilisation sociale, avec tout ce que cela implique de connaissances sur l’histoire des mouvements sociaux, de l’économie mondiale, des partis politiques et des idéologies, c’est quasiment peine perdue. Parce que ce qu’il voit dans sa vie quotidienne, ou pour être plus précis, dans la situation où la domination le maintient, ne correspondra en rien à la vision alternative que vous lui proposez.
Il y a bien une barbarie qui a monté d’un cran, celle d’un capitalisme sans frein qui casse les règles de vie commune et l’ensemble des corps institués. L’argent facile et l’escroquerie en bande organisée se sont répandus à tous les étages. Et l’éclatement de la guerre civile à Haïti est aussi le miroir d’un monde où le profit est érigé en valeur suprême. Et où les autorités, pour fonctionner un minimum, ne peuvent plus se passer des ressources venant de la corruption, comme c’est le cas depuis des décennies dans les Pays du Sud. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que ceux qui polarisent les attentions se révèlent être les plus cyniques et corrompus. En vertu d’une certaine expérience de l’illégalité, ils peuvent paraître comme les plus aptes à gérer un pays en faillite morale, enlisée dans l’économie criminelle et où aucune alternative populaire n’arrive à s’imposer.
Ce qui est toujours étrange en revanche, c’est que les leaders de droite extrême se présentent comme les défenseurs de la civilisation contre la barbarie, alors qu’au fond leur projet constitue le plus court chemin vers le renversement de toutes les valeurs civiles et de l’état de droit. Ils importent au sein des pays développés le règne d’un ordre arbitraire qui fut au préalable imposé aux Pays du Sud par leurs prédécesseurs, les néoconservateurs de droite et de gauche. Ces leaders politiques assumant des positions criminelles, tel que Bolsonaro, Duterte, Orban et bien sûr leur maître à tous en la matière, Poutine, cultivent autour d’eux une sorte d’espérance de rédemption par la violence, qui légitime l’engagement total dans une guerre sociale et civile, au nom de valeurs identitaires dont la force serait supérieure à la barbarie et au terrorisme. Mais comment une vision célébrant la violence et la dictature, pourrait être porteuse de sécurité et d’apaisement ?
Mystère de la violence symbolique, qui chérit et frappe avec la même main. Les partis de droite proposent de lutter contre la barbarie (islamo-gauchisme, narcotafic, immigration de masse, incivilités…) en accroissant des moyens sécuritaires pour être plus forts et plus violents que les ennemis désignés, tout en favorisant un libéralisme dérégulé qui provoque la déliquescence de l’état de droit et fait donc augmenter l’insécurité. Un syndrome de Münchhausen par procuration appliqué à des populations entières, droguées et rendues malades, zombifiées par une oligarchie moins soucieuse du maintien d’un dispositif sécuritaire coûteux et compliqué à gérer, que d’un éveil de conscience et d’éclats de lucidité qui menaceraient l’emprise de leur pouvoir anesthésiant.
La propagande hégémonique ambiante, diffusée du haut d’une tour d’ivoire où pérore le cercle de la raison déraisonnante, s’est perdue et enfermée dans un cycle sans fin de peurs paniques et de violence, dont la très grande majorité de l’humanité est victime, en léthargie mais prise de convulsions périodiques. Fort peu probable que cette stratégie politique débouche sur un apaisement, mais plutôt sur l’importation définitive et confirmée de la barbarie du capitalisme dérégulé au sein même des pays développés, qui régnait déjà dans les pays périphériques depuis une trentaine d’années.
A cet égard, l’élection de Donald Trump peut être vue comme une normalisation de l’anormal, qui porte au pouvoir politique suprême ce que la domination économique bourgeoise imposait au monde depuis des décennies. Un rapprochement contrarié entre les pays hégémoniques, les démocraties libérales d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du nord, et les pays dominés, dont les régimes autoritaires ont été mis au service du capitalisme mondialisé, en adoptant même parfois une démocratisation de façade pour renforcer l’illusion d’une hégémonie culturelle pérenne du système néolibéral. Mais à partir du moment où le grand capital a brisé les chaînes réglementaires qui l’entravaient, en organisant un vaste système de spéculation anarchique, alimenté par l’endettement et le financement à perte, la fiction d’un capitalisme démocratique global, bénéfique à tous, n’a pas pu tenir longtemps.
Ce monde barbare de sans-papiers, de djihadistes kamikazes et de narcotrafiquants est un pur produit du monde fabriqué par les néolibéraux, qui favorisent la surenchère sécuritaire pour tenter de préserver une hégémonie sur un monde qu’ils ont eux-mêmes transformé en terre de désolation. Et le fait que la gauche soit tenue responsable de l’anarchie qui en résulte, après des décennies de défaite ou de renonciation suite à la Chute du Mur de Berlin, est d’autant plus déconcertant que cette fausse critique provient des coupables. Alors que la gauche a perdu la grande bataille et a perdu ses pouvoirs, les échecs du néolibéralisme des dernières décennies lui sont quand même imputés. Avec la droite extrême et décomplexée, une nouvelle catégorie de jugement est apparue : la peine prospective ! Un crime que vous auriez pu commettre si vous aviez été sur les lieux. Déjà qu’il faut assumer les crimes des régimes soviétiques, s’il faut en plus que la gauche se coltine ceux des néoconservateurs depuis les années 1990... Et pourtant, depuis combien de temps un véritable gouvernement de gauche n’a t’il pas siéger en Europe et en Amérique du Nord ? 30 ans ? 40 ans ? Et le bilan des gouvernements néolibéraux, est-ce possible d’en débattre un jour ou bien... ?
Mais ce serait oublier, comme le serinent tous les canards de droite extrême, que la gauche demeure finalement toute-puissante chez les élites et dans la rue. Un pouvoir occulte officiant dans les rédactions, la culture et les médias, allié à une armée de réserve de salafistes planqués dans les cités de banlieue. Mais concernant les élites progressistes, il s’agit très souvent de néoconservateurs, que les médias mainstream et la droite appellent encore des gens de gauche. Des sociaux-libéraux convertis en prophètes du marché libre, certains pouvant même crier au djihad contre la Russie, la Chine et l’Iran. Quand à la rue, Gilets jaunes mis à part, ce sont des voix qui la plupart du temps s’époumonent dans le vide, vite nassées et dispersées par les CRS. Quant aux fous de dieu, ils profitent clairement de toute cette confusion pour se faire entendre, et n’ont que faire de la lutte des classes, des syndicats, et de la politique en général. Ils peuvent s’incruster dans des meetings ou même dans des listes électorales, mais pour introduire du salafisme dans du socialisme, du marxisme ou de l’anarcho-syndicalisme, ce serait un défi théorique que seule pourrait relever une expertise théologienne très restreinte et avant-gardiste, assez éloignée du kamikaze islamiste banlieusard décervelé de base, dont la vision et l’idéologie identitaires se rapprocheraient bien davantage de CNEWS et de Cyril Hanouna, que de n’importe quel média de gauche, de Libération au Monde diplomatique, en passant par Politis et Le Média.
Serions-nous revenus à l’époque des conspirations clandestines, comme au début du XIXème siècle, lorsque les opinions politiques interdites étaient censurées ? Dans un monde techno-féodal dominé par les GAFAM et les grandes sectes new age, où les opposants politiques sont réduits à se regrouper dans des sous-réseaux autonomes, confidentiels et secrets ? Le traitement de la guerre israélo-palestinienne par les grands médias traditionnels et les autorités annonce peut-être un basculement définitif dans un ordre réactionnaire et despotique implacable, ou l’opposition est criminalisée, sous les griefs consacrés de terroriste et d’antisémite. Un totalitarisme du bien, où la victime sacrificielle historique, érigée en témoin sacré de justice divine régnant au-dessus de toutes les juridictions, permet encore de justifier un régime d’exception illimité. Quoi de mieux qu’une ancienne victime désormais réconciliée avec ses bourreaux, afin d’assurer une soumission totale des opposants, et plus largement, de la population ?
Ce qui signifie que le sort autrefois réservé aux juifs d’Europe, est désormais applicable à tous les autres. Pour reprendre ce que théorisait le philosophe Giorgio Agamben à propos du régime d’exception, qui observait que la suspension du droit s’est peu à peu généralisée au profit du pouvoir exécutif, la barbarie ne relève plus seulement du ressort de simples procédures extrajudiciaires pour éliminer des cibles au-delà des frontières, mais se trouve au cœur du mécanisme du pouvoir néolibéral. Et malheureusement ce ne sont plus la justice et le droit qui suffiront pour démonter cet assemblage mortifère, mais une force massive de plus grande envergure mobilisée par les classes populaires et les populations soumises. Espérons que ce sursaut populaire ne soit pas lui-même divisé, manipulé puis détourné par les oligarques, spécialistes dans l’exploitation de la détresse humaine, en vue d’étendre toujours plus le champ d’action des forces autoritaires, fanatisées et revanchardes.